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Le cardinal de Lorraine retourna vers son frère, puis revint proposer à Richelieu d'épouser sa nièce, madame de Combalet, comme gage de réconciliation entre le ministre et la maison de Lorraine : le cardinal François n'avait point encore reçu les ordres sacrés. Richelieu répondit qu'il était fort honoré de cette demande, mais qu'il ne se gouvernait point par des intérêts de famille, et qu'on devait, avant tout, satisfaire le roi. Ses ennemis essayèrent de lui ôter le mérite de ce désintéressement, en prétendant qu'il ne visait à faire casser le mariage de Monsieur que pour amener l'héritier du trône à épouser sa nièce.

Le roi, cependant, avançait toujours, et avait atteint déjà Pont-à-Mousson. Le cardinal de Lorraine revint le trouver une troisième fois, et offrit trois places fortes en échange de Nanci, et la remise de la princesse Marguerite entre les mains du roi. Il finit par déclarer que son frère abdiquerait en sa faveur, si sa personne était plus agréable au roi que celle de Charles. Louis fut inflexible sur la remise de Nanci. Le cardinal de Lorraine se servit alors du passe-port qu'il avait du roi pour faire évader sa sœur à travers les troupes françaises qui commençaient à bloquer Nanci. La princesse Marguerite se réfugia

avait le puissant instinct. Mais le cardinal s'était réservé de choisir entre les armes qu'on lui présentait, et, d'ailleurs, les prétentions les moins raisonnables pouvaient servir, au besoin, de diversions et d'objets d'échange. Le Traite touchant les Droits du Roi, etc., sur plusieurs États et Seigneuries, rédigé, en majeure partie, dès 1634, ne fut publié qu'en 1655, longtemps après la mort de Richelieu; mais un travail analogue, dans des proportions moins imposantes, et sans ce caractère quasi-officiel, avait paru dès 1652; c'est la Recherche des Droits du Roi, etc., par J. de Cassan, avocat du roi à Béziers. Le célèbre André Duchesne avait fait aussi quelques travaux du même genre. Voyez la Bibliothèque Historique de la France, t. II, p. 805-819, 866 et suivantes, et la Méthode historique de LengletDufresnoi, t. IV, p. 260; in-4°.

dans le Luxembourg. Le siége de Nanci fut aussitôt entamé (fin août).

Le duc Charles était à Epinal, bourrelé d'anxiétés, accablé de chagrin, hors d'état de secourir sa capitale : tout lui manquait; les troupes espagnoles et impériales des PaysBas et de l'Alsace, réduites à la défensive par les Hollandais et les Suédois, ne pouvaient rien pour lui: le corps d'armée espagnol et italien, que le duc de Feria, gouverneur de Milan, amenait en Allemagne, était à peine entré par la Valteline dans le Tyrol, et l'Espagne, d'ailleurs, se proposait de vendre chèrement son assistance: Feria avait demandé d'avance au Lorrain le dépôt de Nanci. Le malheureux duc se voyait réduit à livrer sa dépouille à ses ennemis ou à ses alliés.

Charles parut se résigner à subir les volontés de Louis XIII. Le cardinal son frère signa, en son nom, le 6 septembre, la promesse de remettre la nouvelle ville de Nanci sous trois jours au roi, qui la rendrait dans le terme de quatre ans, les autres conditions de l'accommodement étant accomplies. La principale de ces conditions était que la princesse Marguerite serait remise au roi sous quinze jours, afin que son mariage fût déclaré nul. Le Barrois serait rendu au duc, après qu'il se serait acquitté de l'hommage dù au roi. Charles ratifia le traité, mais manda secrètement au gouverneur de Nanci de ne point ouvrir les portes sans un nouvel ordre. Les trois jours expirés, le cardinal de Lorraine, après bien des détours, fut obligé d'avouer l'existence de ce contre-ordre. Le roi dépêcha aussitôt le maréchal de La Force, avec sept ou huit mille hommes, contre le duc, afin de le suivre et de le combattre partout où il se retirerait. Toutes les petites places lorraines se rendaient à

la première sommation. Charles n'essaya pas de se défendre dans les Vosges : menacé d'être jeté hors de son duché par le vieux maréchal, il demanda de nouveau à traiter. Richelieu, qui craignait que le siége de Nanci ne traînât en longueur, et que Feria n'arrivât à temps pour secourir la place, s'empressa d'aller conférer avec le duc à Charmes. Le duc s'engagea de livrer aux Français Nanci tout entier, vieille et nouvelle ville: le cardinal promit de rendre Nanci dans le cas où la princesse Marguerite serait remise au roi sous trois mois, et où le surplus du traité du 6 septembre serait accompli. Richelieu dit franchement, dans ses Mémoires, qu'il comptait bien ne pas manquer de prétextes pour garder Nanci (20 septembre).

Le cardinal, appréhendant encore quelque subterfuge, pressa le duc de venir visiter le roi au quartier général de La Neuville. Charles y consentit. Il n'avait renoué les négociations que pour avoir l'occasion de s'approcher de Nanci, de s'y jeter et de s'y défendre jusqu'à la dernière extrémité. Richelieu ne fut pas sa dupe. Le duc fut bien accueilli du roi; mais, lorsqu'il voulut prendre congé afin d'aller à Nanci commander lui-même, disait-il, l'ouverture des portes, on le retint sous divers prétextes. Le soir arriva: Charles, obligé de coucher au camp royal, essaya inutilement de sortir pendant la nuit; son logis était entouré de sentinelles. Le cardinal avait persuadé au roi que ce n'était pas violer le sauf-conduit accordé au duc, que de mettre Charles dans l'impossibilité de transgresser ses nouveaux serments. Le duc resta deux jours dans cette situation équivoque, moitié hôte, moitié prisonnier du roi, avant de se décider à expédier au gouverneur de Nanci un ordre en bonne forme de livrer la ville. La garnison lorraine sortit enfin de Nanci

le 24 septembre: le roi fit le lendemain son entrée dans cette belle conquête qui lui avait si peu coûté; la fortune de Richelieu ne se démentait pas!

Le roi et le cardinal repartirent dès le 1er octobre, laissant des garnisons françaises dans presque toutes les villes et les forteresses de la Lorraine, six mille cinq cents soldats dans Nanci, et vingt mille combattants disponibles au maréchal de La Force, pour couvrir la Lorraine et Trèves et appuyer les Suédois sur le Rhin. Pendant le blocus de Nanci, l'électeur de Cologne s'était placé, par un traité formel, sous la protection de la France, et s'était engagé à ne plus commettre d'actes d'hostilité directs ou indirects contre les Suédois. Le comte de Montbelliard, de la maison de Wurtemberg, avait mis aussi sa petite seigneurie sous le protectorat français: la ville libre de Mulhausen en avait fait autant depuis un an. Enfin, un nouveau parlement, fondé par lettres-patentes de janvier 1655, avait été installé à Metz au mois d'août. Un grand avenir, dans la pensée de Richelieu, était réservé à cette création: c'était un parlement d'Austrasie que le ministre espérait fonder, et sa juridiction devait, un jour, s'étendre jusqu'au Rhin'. L'établissement du parlement de Metz rompit les derniers liens des Trois Evêchés avec l'Empire auparavant, les procès allaient, en dernier ressort, à la chambre impériale de Spire.

On n'eut pas besoin de recourir à des échappatoires peu loyales pour conserver Nanci. La restitution de cette ville était soumise à une condition que le duc de Lor

1 Relation écrite par Louis XIII, dans la Gazette de France, de septembre 4655. - Mém de Richelieu, 2 série, t. VIII, p. 466-489. Mercure, t. XIX, p. 104

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Mém. du duc d'Orléans, 2° série, t. IX, p. 598.
580-585.

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raine ne pouvait remplir quand il l'eut voulu sa sœur se garda bien de quitter le territoire belge pour revenir se mettre à la discrétion du roi; elle alla, au contraire, joindre Gaston, qui la mena en grande pompe à Bruxelles, où elle fut accueillie en duchesse d'Orléans par la reine-mère et par l'archiduchesse Claire-Eugénie, qui mourut deux mois après. Gaston confirma son mariage par-devant l'archevêque de Malines.

Le roi répondit à cette bravade en faisant entamer l'action judiciaire contre le mariage de Monsieur. Louis et Richelieu avaient projeté de s'adresser d'abord à l'autorité religieuse, et de prier le pape de nommer des commissaires parmi les prélats français pour juger l'affaire; mais, le pape ayant manifesté l'intention de retenir le procès à Rome, on reconnut que ce serait s'exposer tout au moins à des délais interminables, et l'action fut intentée premièrement au civil et au criminel, devant le parlement de Paris, sous la forme d'une accusation de rapt contre le duc de Lorraine, vassal de la couronne, qui aurait enlevé Monsieur pour lui faire épouser clandestinement sa sœur contre la volonté du roi son suzerain (2-4 janvier 1654). (Mercure, XX, 855.) C'était pousser à bout le malheureux duc Charles, sans qu'il pût se plaindre qu'on violât le dernier traité, puisque le roi s'était réservé de poursuivre, par toutes voies de droit, la nullité du mariage de son frère.

Le duc de Lorraine, incorrigible dans ses illusions, n'avait pas sitôt vu le roi reparti, qu'il avait recommencé d'espérer dans la venue des Espagnols. Le duc de Feria, après avoir violé la neutralité de la Valteline, avait, en effet, débouché du Tyrol en Souabe à la tête d'une quinzaine de mille hommes: l'empereur, transgressant, pour

T. XIII.

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