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depuis tant d'années, à commencer par Augsbourg, ta cité sainte des luthériens (Mercure, XV, 195).

Tant que les princes catholiques soutiendraient ces mesures exorbitantes, la paix de l'Allemagne était impos

sible.

La mission de Charnacé en Bavière ne fut pourtant pas infructueuse. S'il ne réconcilia point les protestants avec les catholiques, il fit croître les germes de discorde qui s'élevaient entre les catholiques et l'empereur.

De Munich, Charnacé se rendit à Lubeck: il ne put empêcher le roi Christian de traiter isolément avec l'empereur, mais sa présence, en inquiétant les représentants de l'Autriche, contribua du moins à décider la restitution des provinces danoises. De là, il passa en Prusse, où la guerre se prolongeait, depuis trois ans, entre les rois de Suède et de Pologne. Charnacé n'avait pas trompé Richelieu au fond de la Scandinavie était éclos un génie politique et militaire du premier ordre. Le règne de Gustave-Adolphe, roi à dix-huit ans (en 1644), n'avait été qu'une longue suite d'actions héroïques. Lors de son avénement, sa couronne lui était disputée par son cousin-germain Sigismond, roi de Pologne, renversé jadis du trône de Suède par son père : ses provinces gothiques étaient envahies par les Danois, toujours prêts à revendiquer leur vieille suprématie sur la Suède; les Russes s'efforçaient de lui enlever l'Estonie, récente conquête de son père. Gustave repoussa les Danois, les plus proches et les plus dangereux de ses ennemis, et se débarrassa d'eux par quelques concessions peu onéreuses; puis il se tourna contre les Moscovites, leur arracha la Carélie et l'Ingrie, et imposa au tzar Michel Fedorowitz une trève de quarante ans, qui excluait les Russes des rivages de la

Baltique. Il prit ensuite l'offensive contre le roi de Pologne, et descendit de l'Estonie dans la Livonie, dans la Courlande, dans la Prusse polonaise, étendant ainsi la domination suédoise sur toute la rive septentrionale et orientale de la Baltique. C'était presque malgré lui qu'il poursuivait ses conquêtes sur ces rivages lointains, désireux qu'il était de porter ses armes sur le théâtre plus éclatant de l'Europe centrale, et d'arrêter les progrès des impériaux vers le midi de cette même Baltique. Dès 1625, il s'était offert comme chef aux confédérés de la BasseSaxe, qui, malheureusement pour eux, lui préférèrent leur voisin le roi de Danemark. Plusieurs fois il avait proposé la paix au roi de Pologne ; mais Sigismond, encouragé par l'empereur, qui tenait à occuper le Suédois hors de l'Empire, s'obstinait dans une lutte malheureuse. Quinze à vingt mille soldats, envoyés par Wallenstein à Sigismond en 1629, rétablirent un moment l'équilibre ; mais la noblesse polonaise était fort lasse d'une guerre entreprise pour les intérêts dynastiques de Sigismond et pour les intérêts religieux des jésuites, et se montrait sensible aux plaintes de l'électeur de Brandebourg, duc de Prusse, dont les terres étaient cruellement ravagées par les puissances belligérantes.

Ce fut sur ces entrefaites que l'envoyé de Richelieu arriva sur le théâtre de la guerre, et offrit aux deux partis la médiation de la France. L'opinion des chefs polonais se prononça si vivement, que Sigismond n'y put résister. On conclut, grâce à Charnacé, sinon la paix, au moins une trève de six ans : Gustave-Adolphe rendit une partie de ses conquêtes, mais garda de fortes positions le long de la Baltique, et surtout à l'embouchure de la Wistule (septembre 1629) (Mercure, t. XVI, an. 1629,

p. 1008). Gustave repartit pour la Suède : Charnacé l'y suivit, et d'importantes négociations remplirent tout cet hiver. La nation suédoise, faible en nombre, mais forte par le courage et l'intelligence, avait été inébranlablement confirmée dans la Réforme par le résultat de la lutte dynastique qui avait eu lieu entre la branche catholique et la branche luthérienne de la maison de Wasa: elle se sentait appelée à relever le protestantisme européen, menacé de ruine par la faiblesse et l'égoïsme des princes allemands, et à saisir, entre les réformés, cè premier rôle qu'abandonnait la puissante Angleterre, absorbée par ses dissensions. Gustave était donc sûr d'être soutenu par son peuple; néanmoins il montra d'abord beaucoup de réserve, afin d'engager plus fortement la France vis-à-vis de lui, avant de s'engager lui-même dans une si vaste et si audacieuse entreprise. La forme aristocratique de la constitution suédoise obligea l'envoyé français à traiter par écrit avec le sénat, ce qui amena des lenteurs; d'une autre part, Wallenstein, rabattant un peu de son arrogance, avait fait à la Suède quelques proposition d'arrangement au nom de l'empereur; mais Wallenstein ne voulait pas sincèrement une paix dont la première condition eût été de rendre le Mecklenbourg, sa conquête et son fief. Ferdinand eût fait des concessions, à cause des affaires d'Italie; Wallenstein l'en empêcha. La négociation entre l'empereur et la Suède avorta donc : la négociation entre la Suède et la France aboutit à un projet de traité convenu entre Charnacé et les conseillers de Gustave, en mars 1650, sauf la ratification de Louis XIII. Les deux couronnes contractèrent une alliance de six ans, pour défendre leurs amis opprimés, assurer le libre commerce de l'océan du Nord et de la

Baltique, faire démolir les forteresses bâties récemment sur les rivages de ces deux mers et chez les Grisons, et rétablir les princes et états de l'Empire romain en tous leurs droits. Le roi de Suède promettait de descendre en Allemagne, à cet effet, avec trente mille fantassins et six mille chevaux; le roi de France promettait de contribuer de 400,000 écus par an à l'entretien de cette armée. Le roi de Suède s'obligeait à respecter le culte catholique partout où il le trouverait établi, et à ne point attaquer le duc de Bavière ni la Ligue Catholique d'Allemagne, pourvu que ceux-ci gardassent la neutralité. Les deux parties s'engageaient à ne pas traiter l'une sans l'autre, et à renouveler le traité si le but n'était point atteint dans les six ans. Quelques difficultés relatives aux catholiques d'Allemagne retardèrent la signature définitive du traité jusqu'en janvier 1654, mais on lui donna un effet rétroactif quant aux six années de terme et au subside promis par la France pour l'année 1650 1.

Durant le séjour de Charnacé en Prusse et en Suède, une autre mission au fond du Nord avait attesté que le cardinal, au milieu de ses préoccupations politiques. n'oubliait pas son grand projet de rétablir le commerce. Deshaies de Courmenin, déjà connu par son ambassade à Constantinople et son voyage officiel à Jérusalem, avait été envoyé en Moscovie afin d'obtenir du tzar la liberté de commerce pour les Français dans ses états, avec juridiction consulaire entre eux et liberté de conscience. Le

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1 Dumont, Corps diplomatique, t. VI, p. 4. - Mercure, t. XVII, p. 468. Mémoires de Richelieu; ap. Col. Michaud, 2a série, t. VIII, p. 64–79, 298-306. Sur l'ensemble des affaires d'Allemagne, voyez Coxe, Hist. de la maison d'Autriche, C. L.-LI. Schiller, Histoire de la guerre de Trente Aus. Mercure fran

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çois, t. XII, XIII, XIV, XV, passim.

tzar Michel Fedorowitz y consentit moyennant un simple droit de 2 pour 0/0 sur les marchandises françaises. C'est le premier traité conclu entre la France et la Russie (novembre 1629). Deshaies avait, en passant, obtenu du roi de Danemark la réduction des droits du Sund à pour 0/0 pour les Français, tandis que les Anglais et les Hollandais payaient 5 pour 0/0 1.

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Les intérêts du commerce maritime et des colonies étaient, en ce moment, l'objet d'un grave débat avec l'Angleterre. Le diplomate Châteauneuf avait été envoyé à Londres pour détourner les Anglais de traiter avec l'Espagne, et pour inviter Charles Ier à prendre avec le roi de Suède, contre l'Autriche, les mêmes engagements qu'il avait eus avec le roi de Danemark. Sur ces entrefaites, on apprit que des aventuriers écossais, conduits par quelques huguenots français, avaient envahi la Nouvelle-France au nom du roi Charles, avant qu'on eût connu, dans cet autre hémisphère, la paix signée entre Louis XIII et le monarque anglais. La colonie, par suite de son mauvais régime, n'avait pu opposer presque aucune résistance.

Il faut, pour se rendre compte de cet événement, se reporter un peu en arrière. La compagnie privilégiée de la Nouvelle-France, malgré les conseils et les efforts de

1 Mémoires de Richelieu; Collection Michaud, 2e série, t. VIII, p. 74-454. – Mercure françois, t. XVI, p. 1022 et suivantes. Le Mercure donne déjà au tzar le titre d'empereur. La lettre de Michel Fedorowitz à Louis XIII, dans le Mercure, est très-curieuse. On y voit qu'un ambassadeur russe était venu en France en 1615. Le véritable but de l'envoi de Deshaies était de former une compagnie française pour le transit des soies de la Perse à travers la Moscovie; mais le tzar ne voulut pas autoriser des étrangers à opérer ce transit, et promil seulement de procurer aux Français les marchandises de l'Orient à bon marché. ➡ L'Angleterre avait conclu, en 4623, un traité analogue à celui de Deshaies. Dumont, corps diplomatique, t. V, 2e partie, p. 457.

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