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la rupture de la négociation avec Monsieur. La santé du roi était toujours chancelante, et le cardinal voulait à tout prix assurer sa fortune et celle de l'État, indissolublement liées, contre l'éventualité de la mort de Louis XIII. Il effraya le roi sur les espérances et les complots que recélait l'obstination des conseillers de Monsieur, lui montra son trône et sa vie menacés : «Il n'y a, » dit-il, « que deux moyens de garantir le roi et l'État des perni«< cieux desseins des Espagnols et des mauvais Français qui leur adhèrent l'un dépend de la bénédiction du << ciel, l'autre, de la prudence du roi. Le premier consiste << en la naissance d'un fils... Le second consiste à faire <«< une si étroite et si manifeste liaison de tous ceux qui << sont assurés au roi, que les bons esprits qui sont au

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près de Monsieur puissent juger clairement que, s'ils <faisoient vaquer la succession par mauvaise voie, ils << trouveroient en pied des vengeurs d'un tel crime, et « qu'ils aient lieu de douter s'ils pourroient même l'obtenir « sans dispute, lorsqu'elle viendroit à vaquer par voie ordi« naire... Si Monsieur croit que, le roi venant à mourir, la « succession lui puisse être fortement disputée, il n'aura pas « lieu de désirer le décès de Sa Majesté. »

C'était une ligue manifeste que Richelieu se proposait d'organiser, sous les auspices du roi régnant, contre l'héritier du trône, ligue composée des gouverneurs de provinces et de places fortes, des généraux, des ambassadeurs, des conseillers d'État, des maîtres des requêtes, etc.; si Louis XIII fût mort sans que Monsieur fût rentré dans le devoir, cette nouvelle Sainte-Union, vraiment digne d'un pareil titre, eût défendu l'État contre Gaston, et Gaston contre lui-même, en le forçant à rompre ses honteux engagements avec l'étranger avant de le re

connaître pour roi; peut-être même eût-elle brisé la loi de l'hérédité monarchique au nom de la première des lois, du salut public, et eût-elle frappé d'indignité le roi ennemi du royaume, pour élever au trône le premier prince du

sang.

Jamais le génie de Richelieu ne s'est montré plus français que dans ce plan héroïque: jamais le grand ministre n'a si bien prouvé qu'en servant la royauté, c'était la France seule qu'il servait, et qu'il ne sacrifiait pas l'immuable nationalité aux institutions qui en sont la forme passagère !

Le cardinal préludait à l'accomplissement de ce vaste dessein en défiant ses ennemis par de nouvelles rigueurs. Le 7 juillet, le parlement de Metz condamna à mort, par contumace, le favori de Marie de Médicis, le père Chanteloube, comme instigateur de diverses tentatives d'assassinat contre Richelieu : il y eut plusieurs exécutions capitales pour des complots tramés dans ce but, et un soldat lorrain fut exécuté pour avoir projeté « d'entreprendre, » non plus sur la vie du cardinal, mais sur celle du roi même. La chambre de l'Arsenal avait condamné, de son côté, au mois d'avril, deux hommes, dont un prêtre, qui avaient entrepris de faire mourir le cardinal, non par le fer ou le poison, mais «par sortilége. » Ces misérables furent pendus, et leurs cadavres furent brûlés avec leurs livres de magie".

1 Mém. de Richelieu, 2e série, t. VIII, p. 519-520. Dès 1631, dans un pamphlet attribué au père Joseph, on avait menacé Monsieur du sort de Charles de Lorraine, le dernier des Carolingiens, qui perdit la couronne de France pour s'être fait le vassal de l'empereur. V. Levassor, t. III, p. 663.

2 Les procès de magie étaient assez fréquents encore. L'affaire de la chambre de l'Arsenal aide à comprendre un fait déplorable de l'histoire de ce temps, un fait qui déshonore la civilisation du dix-septième siècle, et que les hommes qui révè

En même temps, la procédure contre le mariage de Monsieur était poussée avec vigueur devant le parlement

rent la mémoire de Richelieu voudraient ensevelir dans un éternel oubli : nous parlons du procès de Grandier. Urbain Grandier, curé de Saint-Pierre de Loudun, personnage de belles manières et d'esprit distingué, mais vaniteux, turbulent et fort peu réglé dans ses mœurs, s'était fait de nombreux ennemis dans sa ville, et n'était sorti qu'à grand' peine d'un procès scandaleux; ses querelles et ses aventures galantes mettaient tout le pays en rumeur, et préoccupaient surtout l'imagination des femmes. Des religieuses ursulines, dont une était parente éloignée de Richelieu, tourmentées de vapeurs hystériques, et obsédées par la pensée du beau curé de Saint-Pierre, s'imaginèrent être ensorcelées par Grandier, et possédées de démons soumis à ses ordres. Des prêtres et des moines, ennemis personnels de Grandier, saisirent avidement cette occasion de perdre leur adversaire, confirmerent ces religieuses dans leur fantaisie, et se mirent à les exorciser. Les ursulines redoublèrent de cris, de convulsions, de postures extravagantes. Un commencement de procédure eut lieu, mais sans beaucoup de succès. Si l'évêque de Poitiers, diocésain de Loudun, était contraire à Grandier, le métropolitain Henri de Sourdis, archevêque de Bordeaux, le protégeait. L'affaire allait tomber d'elle-même, quand, par malheur, vint à Loudun le conseiller d'Etat Laubardemont, alors en tournée dans l'ouest, avec le titre d'intendant de justice et la mission de surveiller le demantèlement des châteaux. C'était un homme sombre et atrabilaire, dont l'activité malfaisante était dirigée par une âme impitoyable, une de ces natures d'inquisiteur, dangereuses en tout temps, terribles et fatales sous les gouvernements absolus qui ont le malheur de leur livrer une part de l'autorité publique. Les ennemis de Grandier circonvinrent Laubardemont, qui prit feu, et qui écrivit en cour afin de demander l'autorisation de poursuivre le curé de Saint-Pierre. Richelieu était déjà, dit-on, prévenu contre Grandier; Laubardemont eut ordre d'instruire le procès. Dès que les interrogatoires et les exorcismes eurent commencé avec plus d'apparat, les phénomènes prétendus surnaturels se multiplièrent, et dans le couvent des ursulines et dans la ville, par suite de la monomanie contagieuse qui se propage si aisément en pareil cas, la fourberie et la haine aidant, d'ailleurs, selon toute apparence, à la superstition et à la folie. Ce qui est certain, c'est que la procédure, violente et peu régulière, même selon le droit ecclésiastique, fut souillée par d'atroces barbaries. L'instruction étant achevée, l'évêque de Poitiers et son officialité déclarèrent les caractères de la possession diabolique constatés; la Sorbonne, consultée, fut du même avis. Le roi avait nommé, pour juger Grandier, une commission de quatorze magistrats pris dans les divers bailliages des environs, sous la présidence de Laubardemont; le 18 août 1634, la commission, à l'unaRimité, condamna Grandier à être brûlé vif. On lui promit, par grâce, qu'il serait étranglé avant d'être brûlé; mais les moines qui avaient dirigé les exorcismes étaient

de Paris. Le bon droit du gouvernement était trop clair dans cette affaire pour que le parlement y pût montrer du mauvais vouloir. Dès le 24 mars, les princes lorrains

si acharnés contre ce malheureux, qu'ils eurent l'horrible méchanceté de faire un nœud à la corde, afin que la douleur des flammes ne lui fût pas épargnée. Un récollet et deux capucins, faisant l'office du bourreau, mirënt eux-mêmes le feu au bûcher.

Quelle fut la part de Richelieu dans cette odieuse tragédie? On peut rejeter sur les subalternes la responsabilité de quelques détails hideux, mais non du procès en lui-même, puisque l'autorisation d'instruire fut donnée, et la commission extraordinaire, nommée par le conseil du roi. Le capucin Tranquille, un des exorcistes, affirme, dans sa relation imprimée à Paris aussitôt après l'événement, que le roi et le cardinal étaient tenus au courant des exorcismes et des interrogatoires par M. de Laubardemont. Y a-t-il donc là, comme on l'a dit, quelque mystère d'iniquité? Quel intérêt avait Richelieu à la perte du curé de Saint-Pierre ? Les ennemis de Grandier l'avaient, dit-on, dénoncé calomnieusement à Laubardemont et au pêre Joseph comme l'auteur d'un plat et ignoble libelle qui venait d'être lancé contre le cardinal. C'est bien mal connaître Richelieu que de l'accuser d'avoir enveloppé hypocritement ses vengeances: il avait coutume de se venger au grand jour; il eût fait poursuivre Grandier, non comme sorcier, mais comme pamphlétalre, en vertu des terribles ordonnances qui punissaient de mort les auteurs de libelles séditieux. On a parlé de l'intervention active du père Joseph contre Grandier; rien n'est moins prouvé. On s'est donné beaucoup de peine pour assigner un caractère politique à cette triste affaire, sans rien rencontrer de raisonnable, à notre avis. L'explication la plus naturelle est peut-être celle à laquelle personne ne semble avoir songé. Est-on bien sûr que Richelieu, qui croyait à l'astrologie et à la pierre philosophale, ainsi que nous l'apprennent les lettres de Grotius (Grotii Epistolæ, añ. 1636, passim), ne crût pas aux possédés et aux sorciers, comme y avait cru naguère le sage Bodin, comme tant de gens, même parmi les protestants, continuaient d'y croire, comme le grand Pascal, et tout le jansénisme, y crurent encore! On peut remarquer à ce sujet, en passant que l'évêque de Poitiers, qui contribua, autant que Laubardemont lui-même, à la mort de Grandier, était l'ami de Saint-Cyran. Là où l'on veut trouver un abominable machiavélisme, il n'y eut peut-être qu'une erreur et qu'une faiblesse, et les Mémoires de Richelieu peuvent fort bien exprimer sincèrement sa pensée sur le procès de Grandier.

Mém. de Richelieu, 2e serie, t. VIII, p. 568-569. — Archives Curieuses, 2o série, t. V, p. 183–279. – M. Danjou a réuni, dans ce volume, plusieurs pièces importantes, les unes rares, les autres inédites, sur l'affaire de Grandier.- Mercure françois, t. XX, p. 746-780. — Griffet, Hist. de Louis XIII, t. II, p. 532-536. — Bazin, Hist. de France sous Louis XIII, t. III, p. 328-338.

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par

avaient été ajournés en personne: le 5 septembre, le lement déclara le mariage de Gaston de France et de Marguerite de Lorraine non valablement contracté, et le duc Charles de Lorraine criminel de lèse-majesté pour rapt sur la personne du duc d'Orléans et attentat contre les lois de la France et la sûreté de l'Etat. Le parlement ne prononçait pas seulement la confiscation des fiefs de Charles et de son frère Nicolas-François, mais invitait le roi « à se faire raison à soi-même » sur les autres terres et biens des princes lorrains non situés en France. Cet arrêt singulier fut suivi de l'établissement d'un conseil souverain qui rendit la justice, au nom du roi, à Nanci, et qui obligea tous les juges inférieurs du duché de Lorraine à prêter serment à Louis XIII. Le même serment fut partout exigé des particuliers.

Une péripétie soudaine changea la situation. Richelieu ne considérait ses plans contre Gaston que comme une périlleuse et dernière ressource: Gaston, de son côté, avait traité avec l'Espagne par peur plus que par passion, et s'ennuyait de son exil. Les Espagnols, d'ailleurs, ne lui tenaient point parole: le mois de septembre était arrivé, et les quinze mille soldats qu'on lui avait promis n'étaient pas prêts. Les pourparlers secrets recommencerent, et, le 1er octobre, tout fut conclu. Une abolition générale fut accordée à Monsieur et à ses fauteurs, cinq ou six exceptés : le gouvernement d'Auvergne fut donné à Monsieur, au lieu de l'Orléanais et du Blaisois. On rédigea, sur son mariage, une clause assez ambiguë: le roi et Gaston convinrent de s'en remettre, « pour la validité ‹ ou nullité du mariage, au jugement qui interviendra,

en la manière que les autres sujets du roi ont accou« tumé d'être jugés en pareil cas, selon les lois du

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