Images de page
PDF
ePub

sines de Pignerol, par le duc de Savoie. Il est probable que Richelieu se réservait d'échanger, quelque jour, ces possessions ultramontaines contre la Savoie.

En Allemagne, la diplomatie française ne put ni gagner le duc de Bavière, qui resserra ses liens avec la maison d'Autriche en épousant une fille de l'empereur, ni arrêter la défection de l'électeur de Saxe, qui, foulant aux pieds l'honneur et la reconnaissance, trahit la cause commune par une paix particulière, qu'il prétendit ensuite imposer à tous les confédérés, comme si elle eût été votée par une diète générale. Par le traité de Prague (30 mai), l'empereur et l'électeur Jean-Georges convinrent que l'édit de restitution des biens ecclésiastiques serait suspendu pendant quarante ans, et que les choses seraient remises, à cet égard, sur le pied où elles étaient le 1er novembre 1627; que la profession de la confession d'Augsbourg serait permise à la noblesse immédiate, aux villes impériales, et, parmi les provinces dépendantes de la maison d'Autriche, à la Silésie seule. Le prétendu droit hérédi– taire de la maison d'Autriche sur la Bohême était reconnu. La Lusace était définitivement cédée en fief à l'électeur de Saxe; l'administration de l'archevêché de Magdebourg était conférée à un de ses fils; si l'électeur de Brandebourg adhérait au traité, il aurait la Poméranie; catholiques et luthériens devaient être rétablis dans leurs biens, et amnistie générale était accordée par l'empereur, excepté aux sujets autrichiens rebelles, à la maison palatine, au landgrave de Hesse-Cassel, au duc de Würtemberg, au margrave de Bade-Dourlach, aux membres du conseil de direction présidé par Oxenstiern, etc. Les deux ligues catholique et évangélique étaient dissoutes et l'on ne devait plus reconnaître dans l'Empire d'autre chef que

l'empereur. Les étrangers et les confédérés protestants, qui ne reconnaîtraient pas le traité de Prague, seraient déclarés ennemis de l'Empire. On poursuivrait par tous les moyens le rétablissement du duc de Lorraine dans ses états. Par un reste de pudeur, l'électeur stipulait qu'on offrirait aux Suédois une misérable indemnité pécuniaire.

Ce traité, qui récompensait si étrangement les Suédois de leurs bienfaits, et qui livrait tous les calvinistes, sauf l'électeur de Brandebourg, et une partie des luthériens, à la vengeance de l'Autriche, était, pour Ferdinand, au début de sa lutte contre la France, une victoire plus importante peut-être que celle de Nordlingen. L'attitude de l'électeur de Brandebourg et des princes et des villes libres de la Basse-Saxe annonçait déjà leur prochaine adhésion, et la Thuringe, la Franconie et la Westphalie étaient au moins ébranlées, quand un succès de la diplomatie française vint ranimer les Suédois, menacés d'un abandon général. La politique autrichienne, victorieuse à Prague, fut battue à Varsovie. Claude de Mesmes, comte d'Avaux, le plus éminent, par l'esprit et par cœur, entre tous ces hommes d'élite qui servaient au loin la pensée de Richelieu, réussit à maintenir le Danemark dans une complète neutralité, et à ménager, entre la Pologne et la Suède, malgré les efforts de la cour de Rome, une nouvelle trève de vingt-six ans, moyennant la restitution des conquêtes faites par Gustave-Adolphe dans la Prusse polonaise (septembre 1635). Les Suédois recouvrèrent ainsi la libre disposition de toutes leurs forces, et Oxenstiern, qui avait paru un moment tout à fait découragé, put, après son retour d'un voyage qu'il avait fait en France pour conférer en personne avec Richelieu (fin

le

avril), soutenir vigoureusement les hostilités, et contre les anciens adversaires, et contre les perfides alliés changés en ennemis.

Oxenstiern s'était trouvé en France à point pour voir éclater la rupture entre la France et l'Espagne.

Le 26 mars, Trèves, grande ville mal fortifiée et gardée par une faible garnison française, avait été surprise par un corps espagnol sorti du Luxembourg: la connivence des habitants, qui détestaient leur archevêque, assura la victoire aux aggresseurs; la garnison fut taillée en pièces, et l'archevêque-électeur fut emmené prisonnier en Belgique.

Richelieu ne pouvait souhaiter un meilleur prétexte pour déclarer la guerre à l'Espagne. Il fit demander au cardinal-infant, gouverneur des Pays-Bas catholiques, la mise en liberté de l'électeur, « enlevé en trahison de sa capitale, sans autres motifs que son titre de protégé du roi. » Le cardinal-infant répondit qu'il ne pouvait rien faire sans les ordres de l'empereur et du Roi Catholique. Un héraut alla aussitôt, avec le cérémonial des anciens temps, declarer la guerre ouverte, par terre et par mer, au roi d'Espagne, dans la personne du prince qui le représentait à Bruxelles (19 mai); puis une déclaration de Louis XIII fit connaître à l'Europe les motifs de la rupture, et appela les Pays-Bas espagnols à la liberté (6 juin) (Mercure, XX, p. 913-965). C'était quelque chose d'assez remarquable que de voir un gouvernement absolu proclamer ainsi le droit de révolution. Tous les incidents des dernières années n'avaient été que les préludes de la lutte

1 Mémoires de Richelieu, 2e série, t. VIII, p. 617. L'illustre Grotius, alors ambassadeur de Suède, servit d'interprète à Oxenstiern auprès du roi, dans l'audience qu'eut le chancelier suédois.

colossale qui s'engageait. Un quart de siècle devait s'écouler, et la face de l'Europe devait être changée avant que l'épée de la France rentrât dans le fourreau!

L'Europe écouta ce terrible signal avec un effroi mêlé d'admiration pour l'audacieux génie qui jetait un défi mortel aux héritiers de Charles-Quint et de Philippe II. L'étonnement redouble, quand on voit que les soins de la guerre, de l'administration et de la diplomatie, joints aux périls intérieurs, aux soucis du palais, ne suffisaient point à l'activité de cet homme, qui semblait n'avoir que le souffle; quand on le voit trouver du temps et de la liberté d'esprit pour les loisirs des lettres, les arts de la paix et les lointains établissements du commerce maritime, fonder une nouvelle compagnie pour le commerce et la colonisation des îles d'Amérique', poursuivre et

[ocr errors]

1 Cette nouvelle compagnie, séparée de celle du Canada, fut instituée par des lettres patentes du 12 février 1635, qui lui accordèrent, pour vingt ans, le commerce exclusif des îles d'Amérique, entre les 10e et 20e degrés de latitude nord à condition qu'elle y fit passer quatre mille colons français et catholiques. Le privilége de la compagnie des îles fut calqué sur celui de la compagnie du Canada (Voyez ci-dessus, p. 15). L'ordonnance est dans Isambert, t. XVI, p. 421. La même année, des colons, partis de Saint-Christophe, où commandait le brave d'Enambuc, le véritable fondateur des Antilles françaises, allèrent fonder des établissements à la Martinique, sous la conduite de Du Parquet, et à la Guadeloupe, sous la direction de l'Olive et de Duplessis. En 1642, le privilége fut prorogé pour vingt ans, et étendu jusqu'au 30e degré de latitude nord, avec exemption, pour le même temps, de tout droit d'entrée sur les marchandises apportées des îles en France. Ces monopoles étaient bien contraires aux principes posés par les derniers États-Généraux, dont Richelieu réalisait les vœux à tant d'autres égards. Des établissements militaires au compte de l'État, protégeant le libre commerce des particuliers, telle avait été la pensée de l'assemblée de 1614 Richelieu se laissa entraîner dans une autre direction par l'exemple de l'Angleterre et de la Hollande, qu'avait suivi également Gustave-Adolphe.

La colonie des corsaires de l'île de la Tortue, sur la côte nord de SaintDomingue, si fameux sous le titre de flibustiers, date de 1636; les Anglais et les Français dominèrent tour à tour dans cette étrange république de pirates, qui était composée d'aventuriers de ces deux nations, et qui se rendit si terrible

;

achever tous les travaux commencés dans Paris par Henri IV, embellir; agrandir la capitale, à l'étroit dans sa vieille enceinte, bâtir, en face du Louvre et des Tuileries, son splendide Palais-Cardinal, rival des demeures des rois, en même temps qu'il se prépare, avec un sangfroid intrépide, une demeure plus austère et plus durable, un tombeau, dans la vieille Sorbonne réédifiée de ses mains; enfin, porter à la fois dans l'Eglise et dans la République des Lettres l'influence d'un esprit d'ordre et de lumière, introduire parmi l'antique milice de saint Be-noit, corrompue par l'opulence et l'oisiveté, cette réforme de saint Maur qui doit produire des fruits si précieux de science et de vertu, et fonder, avec l'Imprimerie Royale', l'Académie française, dans un but qui atteste sa profonde intelligence du génie de la France.

Ce n'était pas seulement la suprématie politique qu'il

aux Espagnols des îles et du continent américain par ses immenses déprédations maritimes et ses descentes dévastatrices. Les gouverneurs des Antilles françaises revendiquaient sur les flibustiers une autorité parfois reconnue nominalement, parfois complètement niée. — L'élément français finit par prendre le dessus. Voyez l'Histoire de Saint-Domingue, par le père Charlevoix, t. II.

Ce fut à l'occasion des établissements d'Amérique que le premier méridien fut fixé, par ordonnance royale de 1634, à l'Ile de Fer, la plus occidentale des Canaries, comme l'avaient fait également les Espagnols. Jusqu'à la déclaration de guerre contre l'Espagne, il avait été établi qu'à l'est du premier méridien, et au nord du Tropique du Cancer, la France et l'Espagne étaient en paix ; qu'au delà de ces limites on rentrait dans le droit du plus fort; singulier droit des gens, qni résultait de la prétention des Espagnols à interdire la navigation des deux Indes aux autres peuples. Mémoires de Richelieu, 2e série, t. VIII, p. 374; Mercure, t. XX, p. 744.

1 Le point de départ de l'Imprimerie Royale avait été le privilége accordé, en 1620, à deux imprimeurs, pour tous les actes officiels ; mais l'Imprimerie Royale ne devint un instrument littéraire et scientifique que par l'organisation qu'elle reçut vers la fin du gouvernement de Richelieu (en 1642); 70 volumes grecs, latins, français, italiens, y furent imprimés de 1642 à 1644. Voyez Dulaure, 6e édit., t. IV. p. 455. — Isambert, t. XVI, p. 133.

« PrécédentContinuer »