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de Toul et de Metz, à l'entrée de la Champagne. Le roi accourut en personne pour reconquérir Saint-Mihiel, sans être accompagné de Richelieu, alors en proie à une troisième atteinte du mal qui l'avait frappé en 1632 et 1633. Une armée de réserve, formée en Champagne sous les ordres du comte de Soissons, gouverneur de la province, et composée, en partie, du ban et arrière-ban noble, mit le siége devant Saint-Mihiel : le roi arriva le 30 septembre au camp; la place se rendit le 2 octobre, à des conditions fort dures. La garnison n'eut que la vie sauve les officiers furent envoyés à la Bastille, et les soldats, aux galères; quelques-uns des habitants furent punis de mort pour avoir livré la ville à leur ancien maître; la ville fut châtiée par une forte amende et par la perte de ses priviléges. Richelieu, aigri par ses souffrances physiques et par l'opiniâtreté des partisans de Charles IV, avait conseillé au roi une rigueur qu'expliquaient, si elles ne l'excusaient pas, les violences du duc Charles et de ses soldats contre ceux des Lorrains qui acceptaient la domination française.

Le roi repartit pour Paris, après avoir partagé ses troupes entre La Valette et La Force, et ordonné de nouvelles levées d'infanterie et de cavalerie, pour combler les vides des régiments qui se débandaient sans cesse: douze mille Suisses à sa solde venaient d'entrer en France. Vers le milieu d'octobre, les quatre corps d'armée de La Valette et de Weimar, de La Force et d'Angoulême, de Galas, du duc Charles, se rencontrèrent aux environs de Vic, à quelques lieues à l'est de Nanci: plus de quatrevingt mille combattants se trouvèrent en présence au cœur de la Lorraine. On s'attendit à une bataille générale les Français la désiraient, les Impériaux l'évitèrent.

Galas n'osa risquer un choc décisif qui pouvait enlever à l'empereur tout le bénéfice de la victoire de Nordlingen et de la paix de Prague. Les généraux ennemis, établis dans un bon poste, essayèrent de lasser la patience des Français. En effet, le ban et l'arrière-ban, voyant qu'on ne combattait pas, exigèrent leur congé aussitôt la SaintMartin venue (11 novembre); le départ de cette pesante cavalerie, armée de toutes pièces à l'ancienne mode', affaiblit l'armée; mais l'ennemi n'était pas en état d'en profiter si les Français, qui avaient à dos les grands magasins de Metz et de Nanci, se trouvaient cependant fort mal à l'aise, les Impériaux, dépourvus de semblables ressources, mouraient de faim, Galas et le duc Charles se décidèrent enfin, au bout d'un mois, à quitter la place et à se retirer, le premier, vers l'Alsace, le second, vers la Franche-Comté. Le désordre qui régnait dans l'armée française empêcha qu'on ne troublât leur retraite comme on l'aurait pu, et Galas, toutes ruinées que fussent ses troupes, trouva encore moyen de prendre Saverne en passant avant d'aller chercher ses quartiers d'hiver le long du Rhin. Les Français, de leur côté, recouvrèrent quelques places de Lorraine.

L'ennemi avait donc échoué dans ses tentatives pour chasser les Français de la Lorraine et de l'Alsace; mais les résultats positifs des opérations militaires, dans l'Est, étaient néanmoins en faveur de l'empereur, puisque le

1 Les armures complètes commençaient à tomber en désuétude : les compagnies d'ordonnance ne portaient plus guère que le casque, la cuirasse et les tassettes (lames de métal qui pendaient de la cuirasse sur les reins et le haut des cuisses). De nouveaux corps appelés dragons n'avaient plus du tout d'armes défensives; c'est la première cavalerie vraiment légère que nous ayons eue, les anciens chevau-légers étant cuirassés. Nos dragons furent créés pour tenir tête à la cavalerie légère hongroise et slavonne.

moyen Rhin et tout le cours du Mein, du Necker, et même de la basse Moselle et de la Sarre, étaient retombés en son pouvoir. Manheim, Frankenthal, Heidelberg, Mayence enfin, avaient capitulé devant des détachements impériaux, pendant que les armées manoeuvraient dans la Lorraine. Les princes palatins, chassés encore une fois de leurs domaines, s'étaient réfugiés à Sedan, comme les princes de Würtemberg et de Bade-Dourlach à Strasbourg.

par

L'état des affaires en Allemagne décida le gouvernement français aux plus grands sacrifiées pour s'attacher irrévocablement le duc Bernard de Weimar, qui pouvait seul, par ses talents et son renom guerrier, empêcher l'entière soumission de la confédération protestante à l'empereur. Tandis que Bernard guerroyait en Lorraine pour la France, son fondé de pouvoir avait signé à Paris, avec les ministres français, le 27 octobre, un traité lequel le roi accordait à Bernard, comme général des confédérés, quatre millions par an pour entretenir douze mille fantassins et six mille cavaliers allemands, avec une artillerie proportionnée, moyennant quoi Bernard s'engageait secrètement à servir le roi, non plus seulement dans les limites des traités antérieurs, mais absolument et sans réserve, envers et contre tous. Le roi lui céda le domaine utile du landgraviat d'Alsace, y compris le baillage de Haguenau, à charge d'y maintenir les catholiques en leurs biens et libertés des garnisons françaises continuèrent d'occuper Colmar et Haguenau. La France renonçait ainsi à la possession directe de l'Alsace, mais pour y établir un vassal d'une fidélité assurée; le landgraviat appartenant héréditairement à la maison d'Autriche, on

n'avait à redouter aucune transaction sur ce point entre Bernard et l'empereur1.

L'aspect de l'Italie n'était pas beaucoup plus satisfaisant pour Richelieu, que celui de la Belgique ou de l'Allemagne. A la vérité, le duc de Rohan, cantonné dans la Valteline avec un petit corps français grossi par des levées suisses et grisonnes, s'y conduisit admirablement et repoussa toutes les attaques combinées contre lui, avec des forces très-supérieures, par les Autrichiens du côté du Tyrol et de l'Engaddine, et par les Espagnols du côté du Milanais : courant sans cesse d'un bout à l'autre de la vallée de l'Adda, il battit successivement quatre divisions ennemies et accomplit glorieusement la mission qu'il avait reçue d'empêcher toute communication entre le Milanais et l'Autriche. L'importante entreprise que Rohan protégeait par ses victoires, l'invasion du Milanais, n'en échoua pas moins. Le maréchal de Créqui était entré en campagne sur les rives du Pô, vers le milieu d'août, avec une dizaine de mille hommes. Le duc de Parme, jeune prince courageux et ambitieux, amena aussitôt son contingent aux Français; mais le duc de Savoie, qui devait commander en chef l'armée confédérée, ne montra pas tant de zèle, et différa le plus qu'il put de prendre part aux hostilités : il fallut, en quelque sorte, le traîner à la guerre. Créqui et Parme ayant entamé, sans l'attendre, le siège de Valenza, il n'envoya que vers la fin de septembre les troupes nécessaires pour compléter l'investissement, et laissa ainsi à l'ennemi tout le temps

1 Recueil d'Auberi, t. Ier, p. 500-570. p. 595, 615, 623-643.

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Mém. de Richelieu, 2e sér., t. VIII, Mém. de Fontenai-Mareuil, p. 245–249. — Mém. de Brienne,

p. 63-65. Mém. de La Force, t. III, p. 116–167. Griffet, t. II, p. 600-624.

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de munir la place. Il arriva enfin en personne, le 18 octobre un corps d'armée espagnol s'avançait au secours de Valenza; on marcha au-devant de l'ennemi; mais on manqua l'occasion de l'attaquer avec avantage, cette fois, à ce qu'il semble, par la faute de Créqui. Un convoi entra de nuit dans Valenza, et les généraux confédérés, n'espérant plus réduire la ville à capituler, levèrent le siége dans les derniers jours d'octobre. Le duc de Savoie bâtit à Bremo, sur le territoire milanais, un fort qui incommoda les garnisons espagnoles; ce fut là tout le bénéfice de l'expédition.

Les Espagnols s'en étaient dédommagés d'avance, en mettant le pied, de leur côté, sur le territoire français. Leur flotte avait fait une descente, au mois de septembre, dans les petites îles de Lérins, sur la côte de Provence, et y avait laissé des garnisons et des galères qui interceptèrent le commerce du midi de la France avec l'Italie'.

Ainsi, l'ensemble de la campagne de 1655 ne répon dait aucunement ni aux vastes espérances conçues ni aux grandes forces déployées : la France avait mis en mouvement cent-cinquante mille combattants sans résultat. Dans la position agressive qu'avait prise Richelieu, ne pas vaincre, c'était presque être vaineu. Les incidents de la campagne étaient de nature à suggérer de tristes réflexions. Les troupes françaises s'étaient montrées partout excellentes sur le champ de bataille, presque partout mauvaises à tout autre égard, impatientes, indisciplinées, ne sachant supporter ni la disette, ni la fatigue, ni même l'ennui : jamais les compagnies n'étaient au complet; la cavalerie noble montrait le mauvais exemple à l'infante

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1 Mém. de Rohan, 2e sér., t. V, p. 645-648. Mém. de Richelieu, ibid., t. VIII, p. 644-656. - Levassor, t. V, p. 4-49.

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