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rie; la maison du roi, à la cavalerie'. Onze ans d'un gouvernement énergique n'avaient pas suffi à dompter l'esprit violent et désordonné de la noblesse, et le véritable esprit militaire n'existait pas encore, si ce n'est dans quelques vieux régiments nourris dans la tradition des an→ ciennes guerres d'Italie. Les soldats étaient encore à former, les grands capitaines ne se révélaient point encore. Richelieu dut reconnaître que le but était bien éloigné et ne pourrait être atteint qu'au prix de bien du temps, de bien des efforts, de bien des souffrances. Il lui fallut,

1 La conduite désordonnée des troupes provoqua une ordonnance qui mérite d'être citée comme exemple et des mœurs militaires du temps, et du langage que le gouvernement d'alors tenait à la nation et à l'armée :

« Nous avons toujours cru que le seul désir d'acquérir de l'honneur, qui a paru en tout temps dans l'esprit des François, seroit capable de retenir un chacun dans son devoir, sans qu'il seroit besoin de faire valoir les peines que les lois ont ordonnées contre ceux qui y défaillent; mais, l'expérience nous faisant voir tous les jours, à notre grand regret, que non-seulement les soldats,... mais les chefs,... donnent eux-mêmes l'exemple de la désertion,... abandonnant leurs charges sans congé, comme si, par un emploi de peu de durée qu'ils quittent presque aussitôt qu'il leur a été donné, ils avoient évité le blâme qu'encourent ceux qui, dans une nécessité publique, refusent de servir leur souverain et leur patrie;... nous avons estimé à propos... d'user à l'avenir de la sévérité portée par les anciennes lois contre les déserteurs, dont le crime n'est pas moins préjudiciable à l'Etat pour être causé par l'impatience et la légèreté, lorsque les armées sont en présence de l'ennemi, que s'ils se retiroient du péril par leur lâcheté... »

Suivent les peines décrétées: la mort pour les soldats; pour les officiers, la dégradation de noblesse et note d'infamie, s'ils sont gentilshommes; les galères, s'ils sont roturiers. Recueil d'Isambert, t. XVI, p. 458.

Par une autre ordonnance, qui peut être considérée comme la conséquence morale de la précédente, Richelieu fit établir par Louis XIII, sous le titre d'Académie Royale, une école militaire, afin d'instruire la jeune noblesse et de la dresser à la discipline du service de terre et de mer: il y fonda vingt bourses à ses frais; l'histoire, surtout l'histoire romaine et française, la politique et la géographie, devaient étre, avec les mathématiques et les exercices militaires, les principales bases de l'enseignement.Mercure françois, t. XXI, p. 278. C'était encore l'accomplisse

ment d'un des vœux formulés par les Etats-Généraux de 1644.

pour continuer son œuvre, joindre à une foi inébranlable dans la puissance intime de la France la conviction qu'un seul pas en arrière menait aux abimes; il lui fallut, non pas seulement la persévérance intrépide, mais l'inflexibilité de ces hommes du destin qui, les yeux fixés sur l'avenir, bravent les malédictions de leurs contemporains et immolent, non sans douleur, mais sans remords, la génération qui passe au salut de la patrie qui ne passe pas 1.

Si du moins le bon ordre des finances eût assuré que tous les sacrifices exigés du peuple iraient à leur destination, eût prévenu la déperdition des ressources réunies au prix de tant de douleurs!... Mais la détestable administration de la reine-mère et de Luines avait rendu l'ordre impossible. Un arriéré, dont une longue paix eût pu seule affranchir l'Etat, écrasait un gouvernement obligé de faire la guerre, et quelle guerre !... La tentative hardie de 1634 pour la réforme de l'impôt foncier ayant échoué, dès la première campagne, il fallut se remettre entre les mains des traitants, et rentrer dans le funeste système des

1 Un écrivain contemporain, qui, comme il le dit lui-même, sut voir Richelieu << des mêmes yeux dont la postérité le verra,» exprime cette idée avec une rare élévation de pensée et de style:

« Lorsque, dans deux cents ans, ceux qui viendront après nous liront notre histoire,.... s'ils ont quelques gouttes de sang françois dans les veines et quelque amour pour la gloire de leur pays, pourront-ils lire ces choses (le récit des actions de Richelieu) sans s'affectionner à lui; et, à votre avis, l'aimeront-ils ou l'estimeront-ils moins à cause que, de son temps, les rentes sur l'hôtel-de-ville se seront payées un peu plus tard, ou que l'on aura mis quelques nouveaux officiers dans la chambre des comptes? Toutes les grandes choses coûtent beaucoup!.... Mais on doit regarder les Etats comme immortels, et y considérer les commodités à venir comme présentes. » Voiture, lettre LXXIV; édit. de 1705, p. 175–185. Voiture avait été longtemps attaché aux ennemis de Richelieu, à Gaston et même ȧ Olivarez. Il expose, dans la lettre que nous venons de citer, les motifs de sa conversion.

partis et des avances chèrement payées 1. L'institution nouvelle des intendants-généraux, placés, par ordonnance de mai 1635, à la tête de chaque généralité financière, si utile qu'elle fût pour remédier aux abus invétérés parmi les officiers de finances, et pour rendre ce corps nombreux et puissant plus dépendant de l'autorité ministérielle, ne pouvait changer l'ensemble de la situation ni préserver l'Etat d'une déplorable nécessité'.

La joie causée au peuple par la diminution des tailles n'avait pas été de longue durée ! Les plaintes succédèrent aux actions de grâces les impatientes populations du Midi passèrent bientôt des plaintes aux cris de colère, et des séditions éclatèrent à Bordeaux, à Agen, à Périgueux et dans plusieurs autres cités de Guyenne et de Gascogne, contre les partisans et les percepteurs, à propos de l'augmentation des droits sur les boissons, éternel objet de la haine des Bordelais. L'hôtel de ville de Bordeaux fut incendié des officiers royaux, des receveurs des tailles et des aides périrent dans les émeutes qui agitèrent les villes et les campagnes. Le duc d'Épernon arrêta un peu tardivement en Guyenne le mouvement qui, pendant ce temps, gagnait Toulouse : le parlement de Languedoc réprima la sédition à Toulouse, mais défendit la perception des nou

1 Voyez le Testament Politique, p. 330 331. Le chapitre du Testament sur les finances (20 part., c. X, sect. VII) prouve que Richelieu connaissait bien le mal tout en le subissant par nécessité.

2 « Les trésoriers de France et généraux des finances, » à la suite des cours des aides et des chambres des comptes, du corps desquelles ils étaient membres, faisaient de l'opposition depuis plusieurs années; on ne les spolia point, comme le dit M. de Sainte-Aulaire dans son histoire de la Fronde, mais on leur donna pour chefs des intendants nommés par commission, et, par conséquent, révocables, avec juridiction sur le domaine royal, la voirie, les ponts et chaussées; c'est une des créations les plus importantes de Richelieu. Recueil d'Isambert, t. XVI, p. 441.

T. XIII.

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veaux droits, comme contraires aux priviléges de la province. Le gouvernement obligea le parlement de Toulouse à révoquer son arrêt, et maintint les nouveaux droits, mais accorda une amnistie, « à la réserve des cas exécrables (meurtre, incendie, etc.). » Richelieu sentit qu'il convenait d'user de clémence.

On recourut à des expédients qui devaient rencontrer des résistances d'une autre nature. Le roi alla, le 20 décembre 1635, porter au parlement de Paris quarantedeux édits bursaux, dont la plupart étaient des créations d'offices, de la vente desquels le gouvernement espérait retirer de grosses sommes. Le nombre des membres des cours souveraines et des tribunaux inférieurs était augmenté : l'exemption des tailles était rendue aux juges de tous les degrés, pour donner plus de prix aux nouvelles charges; 400,000 livres de rentes étaient créées sur les cinq grosses fermes, et 100,000, sur les gabelles du Lyonnais.

Le parlement s'émut, moins pour l'intérêt du public que pour le sien propre, lésé par l'accroissement du nombre des charges. Les chambres des enquêtes, composées des conseillers les plus jeunes et les plus remuants, voulurent revenir sur un enregistrement qui avait été forcé par la présence du roi : malgré les représentations du premier président et de la grand'chambre, toujours plus docile et plus pacifique, elles protestèrent opiniâtrément et firent toutes sortes d'affronts aux premiers d'entre les nouveaux conseillers qui se présentèrent au parlement. L'exil de quelques-uns des meneurs n'effraya pas les autres, et le gouvernement, craignant que cette lutte n'empêchât la vente des nouvelles charges, montra plus de ménagements qu'à l'ordinaire; la suppression de

quelques-uns des nouveaux offices et la prorogation du droit annuel jusqu'en 1644 scellèrent une paix toujours

mal assurée.

D'autres rentes furent encores créées, à diverses reprises, sur les gabelles, sur les aides, sur les fermes: on ménagea, autant qu'on put, les tailles, déjà bien assez grevées par la conversion des rentes en 1654. L'épargne ne tarda pas à cesser de payer les pensions et les appointements des grands, des gouverneurs, etc., qui furent rejetés en partie sur les provinces. On obtint, de l'assemhlée du clergé, un don de 3 millions 600,000 livres, outre le renouvellement du contrat annuel de 1 million 500,000 livres pour dix ans (avril 1658) '.

Il fallait du temps pour réaliser ces ressources; néanmoins on entreprit d'agir sur une aussi grande échelle en 1636 qu'en 1635, bien que d'après un plan de campagne différent.

On résolut de se tenir sur la défensive du côté des PaysBas, et de se contenter d'aider les Hollandais à poursuivre la recouvrance du fort de Schenk, sauf à tenter ensuite quelque diversion sur le bas Rhin. On espérait que l'empereur, occupé par les Suédois, ne renouvellepas la manœuvre de l'année précédente, et n'enverrait pas une seconde armée en Belgique. Les affaires allaient mieux dans le nord de l'Allemagne : l'expédition de Piccolomini en Belgique, avec une partie des forces impériales, et la trève avec la Pologne, avaient permis

rait

Mém. de Richelieu, 2e sér. t. VIII, p. 672; t. IX, p. 219. Vitt. Siri, t. VIII, p. 364. Griffet, t. II, p. 659-680. Mém. d'Omer Talon, Ille sér, t. VI, 41-59. p. - Mercure françois, t. XXI, p. 69. Les derniers volumes du Mercure, à partir du t. XXI, sont bien inférieurs aux précédents, en exactitude comme en développement. Le Mercure, si bien conduit par les frères Richer, s'éteignit entre les mains du gazelier Renaudot. Forbonnais, t. Ier, p. 227-229.

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