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Champlain et d'autres braves et intelligents officiers, avait donné ses soins exclusivement au trafic, et rebuté plutôt qu'encouragé les colons, sans comprendre que la colonisation eût été la seule base solide du commerce. C'était

en vain que le gouvernement royal, en 4620, lui avait imposé l'obligation d'établir un certain nombre de colons, comme condition du renouvellement de son privilége. Elle n'avait pas exécuté ses engagements. Richelieu songea, en 1627, à mettre un terme à ce fâcheux état de choses, et provoqua la formation d'une nouvelle compagnie de cent associés, au capital de 500,000 livres, pour le commerce de la Nouvelle-France et des Indes-Occidentales. La nouvelle compagnie promit de faire passer au Canada, dans l'espace de quinze ans, quatre mille Français catholiques, de les y nourrir, chacun trois ans durant, après lequel temps elle leur délivrerait des terres tout ensemencées. Le gouvernement, à cette condition, investit la compagnie de la propriété de la NouvelleFrance, sans autre réserve que le ressort, foi et hommage, et la provision des officiers de justice souveraine. A cette société de marchands fut accordé le droit d'ériger des duchés et toutes sortes de seigneuries, sauf la confir mation du roi. Le roi la gratifia de deux navires armés, et lui concéda le monopole à perpétuité des cuirs et des pelleteries du Canada, et le monopole de toutes les autres branches de commerce pour quinze ans, la grande pêche exceptée. Ce fut une faute grave, comme le prouva la diminution du mouvement maritime, et les économistes, tels que Forbonnais, ont eu le droit de reprocher cette faute à Richelieu, car les lumières du temps suffi

1 La grande pêché occupait, dit-on, alors 800 bâtiments, qui gagnaient 30 pour 100 des capitaux engagés. Mercure, t. XVIII, p. 75.

saient à en préserver le cardinal, et les États-Généraux de 1644 avaient protesté d'avance contre les monopoles.

Un autre article de la charte octroyée à la compagnie est, au contraire, extrêmement honorable à Richelieu ; c'est la disposition qui assimile aux Français régnicoles, pour tous les droits utiles ou honorifiques, non-seulement les Français qui s'établiront au Canada et leur postérité, mais les sauvages qui embrasseront le christianisme. Le génie vraiment chrétien et philosophique de la France brille de son plus pur éclat dans cette solennelle abjuration des préjugés de la race et de la couleur. On reconnaît là le principe de la préférence que donnèrent généralement les Peaux rouges aux Français sur les Anglais, si durs envers les races inférieures1.

La constitution de la compagnie fut ratifiée par le roi devant La Rochelle, en mai 1628; mais la compagnie n'eut pas le temps de réparer les fautes de sa devancière. Il n'y avait qu'un méchant fort à Québec, avec quarante ou cinquante hommes de garnison, et probablement pas davantage au Fort-Royal d'Acadie et au Cap-Breton. L'ennemi, au printemps de 1629, prit possession de ces postes quasi sans coup férir. Les Anglais attaquèrent aussi les Français à Saint-Christophe, une des petites Antilles, où les deux nations avaient fondé, chacune de leur côté, un établissement depuis quelques années. Les

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1 Mercure françois, t. XIV, ap. 1628, p. 252-267. Les Anglais eurent aussi des alliés parmi les hommes-rouges ; mais ce furent les peuplades ennemies des tribus du Saint-Laurent avec lesquelles nos premiers colons s'étaient liés d'une amitié qui ne fut jamais rompue. La France, fidèle au principe d'humanité qu'elle avait posé, s'abstint de faire avec les sauvages le commerce de l'eau-de-vie, quand on se fut aperçu des terribles effets de cette liqueur sur des peuples enfants. Les Anglais ne se firent pas le même scrupule. Forbonnais, t. Ier, p. 214.

Français furent dépouillés d'une partie des positions qu'ils occupaient dans l'île. A cette nouvelle, Richelieu expédia du Havre à Saint-Christophe dix navires armés, sous les ordres du sieur de Cahusac, qui força les Anglais de restituer ce qu'ils avaient pris (juillet-août 1629). Richelieu ne négligea rien pour consolider l'établissement naissant des Antilles, qui dépendait de la compagnie de la Nouvelle-France, et qui s'accrut beaucoup plus vite que la colonie du Canada: les splendeurs des tropiques attiraient davantage nos aventuriers que les sombres et glaciales forêts du Saint-Laurent. Les Français prirent possession de la Barbade, et une déclaration royale du 17 novembre 1629, qui établit un droit de 50 sous par livre sur le tabac ou pétun, exempta le tabac importé des îles appartenant à la compagnie 1.

L'affaire du Canada ne fut pas vidée aussi prestement que celle de Saint-Christophe : on négocia; les Anglais tergiversèrent tant qu'ils purent, mais ils sortirent pourtant de la Nouvelle-France en 1632 ( Mercure, t. XVIII, p. 59-75). Charles Ier n'avait pas envie de renouveler la guerre contre la France, à l'occasion du Canada, et s'engageait de plus en plus dans une politique violente au dedans, pacifique au dehors. Il conclut, en 1650, la paix avec l'Espagne, malgré les efforts des négociateurs fran

1 Recueil d'Isambert, t. XVI. p. 347. L'édit observe que le trop bon marché du tabac est grandement préjudiciable à la santé des sujets du roi, parce qu'ils en prennent à toute heure. C'est là le point de départ de cet impôt aujourd'hui si productif. Mémoires de Richelieu, 2e série, t. VIII, p. 91-93. L'introduction des nègres esclaves dans les Antilles françaises et anglaises, à l'imitation des Espagnols et des Portugais, fait ombre à la générosité de la France envers les sauvages américains. Louis XIII eut d'abord, dit-on, beaucoup de répugnance à autoriser l'esclavage; on le persuada en lui remontrant que c'était le moyen de convertir les noirs. Le P. Labat. Nouveau Voyage aur îles de l'Amérique, t. IV, p. 444; 4722, in-42.

T. XIII.

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çais et hollandais; cependant, ainsi que le souhaitait Richelieu, il resta dans le système de guerre indirecte quant à l'Allemagne et aux Pays-Bas, n'abandonna point entièrement la cause du Palatin, son beau-frère, et des autres princes dépouillés, promit des secours au roi de Suède contre l'Autriche, et continua d'assister les Hollandais.

Les Anglais et les Français, alors même que leurs princes étaient en guerre, avaient continué de se trouver sous les mêmes drapeaux en Allemagne et en Hollande. Ils venaient de figurer ensemble parmi les vainqueurs de Bois-le-Duc, pris, en septembre 1629, par le prince d'Orange, Frédéric-Henri, après un terrible siége, où un maréchal de France, le protestant Châtillon, avait commandé sous le prince. Une puissante diversion austroespagnole au cœur de la Hollande n'avait pu sauver Bois-le-Duc, et les Hollandais n'avaient pas seulement repoussé l'ennemi, mais s'étendaient victorieusement sur les deux rives du Rhin, jusque dans le cœur de la Westphalie. Le duc de Bavière avait refusé de coopérer avec les Austro-Espagnols contre les Hollandais.

Ainsi Richelieu avait été partout présent, d'un bout de l'Europe à l'autre, par ses agents ou par ses lieutenants, durant tout le cours de cette année si bien remplie. Dans les derniers jours de l'année, le cardinal partit, afin de se porter de nouveau vers l'Italie, où la France était directement engagée.

C'était pour intervenir en Italie et complaire à l'Espagne, que l'empereur, contrairement à ses vrais intérêts, avait rappelé des rives de la Baltique une partie de ses forces. Dès la fin de mai 1629, un corps d'armée autrichien était entré brusquement chez les Grisons, et s'était

saisi des passages du Rhin et de la ville de Coire. Une déclaration impériale du 5 juin somma les Français d'évacuer les fiefs impériaux d'Italie. Les Autrichiens ne descendirent pas toutefois sur-le-champ dans la Valteline, et l'été se passa en négociations. La France essaya en vain de transiger avec l'empereur et d'obtenir que Ferdinand ratifiât la prise de possession de Mantoue et du Montferrat par le duc de Nevers. Les Suisses, toujours en proie à leurs funestes discordes religieuses, ne purent s'entendre pour chasser les étrangers de chez les Grisons. Les Impériaux, de leur côté, tâchèrent inutilement d'amener les Français à quitter Suze, et de détacher de la France le duc de Mantoue par des promesses insidieuses. Pendant ce temps, le vieux Spinola venait prendre le gouvernement du Milanais Olivarez espérait que le fameux vainqueur d'Ostende et de Breda donnerait Casal à l'Espagne. A la fin de septembre, les Allemands, enfin prêts, descendirent en Lombardie, et, sous les ordres du géneral italien Colalto, assaillirent le Mantouan Spinola envahit le Montferrat. Les auxiliaires français défendirent beaucoup mieux ce marquisat que les auxiliaires vénitiens ne défendirent les petites places des environs de Mantoue, et Colalto commença de serrer de près cette forte ville avant la fin de l'automne.

Le roi et le cardinal étaient bien décidés à ne pas laisser périr les fruits de l'expédition de Suze. Des masses de soldats furent levés en France et à l'étranger: on enrôla quatre mille Liégeois, six mille Allemands, deux mille Écossais, six mille Suisses. Le roi ne pouvait partir en personne, comme il l'eût désiré : l'affaire de Monsieur n'était pas encore tout à fait accommodée, et il fallait pourvoir à la sûreté de la Champagne et des Trois-Évêchés, qui sem

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