Images de page
PDF
ePub

« la guerre sans avoir les moyens de la soutenir? - Nous « portons la peine de son ingratitude envers sa bienfai«<trice! Et de son alliance avec les hérétiques! » Le peuple s'émouvait à ces clameurs : des rassemblements menaçants remplissaient les carrefours.

Richelieu eut, dit-on, un moment de doute et d'effroi. Il sentait le sol trembler sous ses pas : il voyait Paris prêt à se révolter, les provinces agitées, la noblesse malveillante, le peuple aigri par l'aggravation des impôts: les paysans du Poitou, de l'Angoumois et de la Saintonge étaient en insurrection, et avaient à leur tête un frère du malheureux Chalais; le gouverneur de Guyenne, le vieux duc d'Epernon, mal depuis longtemps avec le ministre, n'allait-il pas ouvrir la Guyenne aux Espagnols? La foi du comte de Soissons, chef de l'armée qui couvrait Paris, était très-suspecte. L'unique, l'indispensable appui du cardinal, le roi lui-même, n'allait-il pas lui manquer? Le roi était inquiet, morose et sombre: il commençait à reprocher à son ministre les revers qui arrivaient au lieu des victoires promises!

Cette angoisse nerveuse et physique fut de courte durée : l'esprit dompta la chair'. Dès le 4 août, tandis que le roi s'installait au Louvre, Richelieu monta en carrosse et ordonna qu'on le menât droit à l'Hôtel-de-Ville. « Tous les intéressés à sa fortune» l'avaient en vain supplié d'arrêter, et croyaient qu'il n'en reviendrait jamais. Mais, lui, poursuivit son chemin, au pas, sans suite et sans gardes, à travers les flots du peuple soulevé. « On

1 Vittorio Siri (t. VIII, p. 438-9) et l'auteur des deux Vies du père Joseph prétendent que Richelieu voulut quitter le ministère, et que ce fut son capucin Joseph qui le rassura, avec l'aide du surintendant Bullion. L'on n'est pas obligé de les croire sur parole.

vit alors,» dit un contemporain, «ce que peut une grande vertu» l'effet de ce courage et de cette magnanime confiance fut prodigieux sur les masses populaires : à mesure que le cardinal approchait, tous ces gens exaspérés, qui, l'instant d'auparavant, ne parlaient que de le mettre en pièces, se calmaient, se taisaient ou priaient Dieu de lui donner bon succès et de permettre qu'il sauvât la France'.

Richelieu porta en personne, au bureau de la ville, l'ordre d'assembler les corps de métiers pour leur demander assistance au nom du roi. Semblable demande fut adressée au parlement et à tous les autres corps et communautés civiles et religieuses. Le même jour, des ordonnances royales enjoignirent à tous les gentilshommes et soldats sans emploi, présents à Paris, d'aller s'enrôler chez le maréchal de La Force, pour être dirigés sur l'armée active, et à tous les privilégiés et exempts de tailles (tout le corps de la bourgeoisie parisienne était dans ce cas) de se trouver en armes, sous six jours, à Saint-Denis. pour former le noyau de l'armée de réserve.

Un immense élan succéda, sans transition, à la panique; le lendemain, les députations de tous les corps, et les syndics, gardes des métiers et maîtres jurés en masse, accoururent au Louvre, rivalisant de zèle et offrant leurs biens et leurs vies au roi avec une gaîté et une affection sans pareilles. Le roi embrassa tous les chefs de corps, sans en excepter les jurés des savetiers. Ces pauvres gens, dans leur joie d'un tel honneur, donnèrent 5,000 livres au roi, presque autant que donna le corps des notaires.

1 Mém. de Fontenai-Mareuil, p. 255–23€. — Mém. de Brienne, 5e sér., t. III, p. 67. - Mém. de Montglat, ibid., t. V, p. 43-44. Mém. de l'abbé Arnaud, 2e série,

[blocks in formation]

:

Le corps-de-ville accorda la solde de deux mille fantassins; le parlement, autant pour deux mois. En moins de dix jours, Paris fournit de quoi entretenir, trois mois durant, douze mille fantassins et trois mille chevaux. Les hommes affluaient comme l'argent : les volontaires allaient en foule donner leurs noms au vieux maréchal de La Force, qui s'était installé sur les degrés de l'Hôtel-deVille, et dont l'aspect vénérable excitait l'enthousiasme du peuple. On ne se reposa pas uniquement sur l'élan populaire les ateliers furent fermés à Paris, puis dans tout le royaume; on interdit aux maîtres artisans, sauf dans les professions qui tiennent à l'alimentation publique ou aux fournitures militaires, de garder chacun plus d'un apprenti, afin que tous les ouvriers s'enrôlassent; chaque maison de Paris dut fournir un soldat, sauf au roi à l'entretenir; chaque propriétaire de carrosse, chaque maître de poste, fut invité à donner un cheval. Le monopole de la poudre fut aboli. Les populations des campagnes furent requises de venir travailler aux fortifications de Paris et de Saint-Denis; ordre fut expédié au prince de Condé de lever le siége de Dôle, et d'expédier vers Paris la majeure partie de ses troupes. Le parlement de Paris, à la faveur du trouble public, avait renouvelé ses vieilles prétentions, et manifesté l'intention d'envoyer des commissaires à l'Hôtel-de-Ville pour aviser à la sûreté de Paris, et surveiller l'emploi des fonds accordés au roi : le président de Mesmes avait fait, dans le sein de la compagnie, une virulente sortie contre Richelieu. Le roi coupa court à cette tentative par une défense formelle au parlement de traiter des affaires d'Etat'.

1 Manuscrits de Béthune, n° 9335. Mém. de Richelieu, 2e sér., t. IX,

Tandis qu'on prenait à la hâte ces larges mesures de défense, on reçut la nouvelle que l'ennemi, au lieu de pousser sa pointe sur Paris, s'était arrêté au siége de Corbie, afin de s'assurer d'un bon poste sur la Somme. Le danger n'avait pas été aussi grand pour la capitale que l'avaient cru les Parisiens, et que l'ont dit beaucoup d'historiens, qui ont pris l'émotion de Paris pour la mesure exacte de son péril. L'ennemi n'avait point, à beaucoup près, assez d'infanterie pour s'attaquer à cette colossale cité sa cavalerie même était plus formidable d'apparence que d'effet; ces nuées de Hongrois et de Croates, plus propres au pillage qu'à la guerre régulière, étaient alors ce qu'ont été les Cosaques dans nos denières guerres.

Corbie, cependant, ne se défendit pas mieux que n'avaient fait La Capelle et Le Câtelet: la garnison et les habitants, également effrayes du délabrement des remparts, obligèrent le lieutenant-général de Picardie, enfermé dans la place, à capituler dès le 15 août. Richelieu, exaspéré, fit condamner à mort par contumace, comme les deux autres gouverneurs, cet officier plus malheureux peut-être que coupable.

L'ennemi ne tenta pas d'autre entreprise. Le cardinalinfant, inquiet des mouvements des Hollandais, qui, à la prière de Richelieu, menaçaient la Belgique1, avait mandé au prince Thomas de Savoie de ne pas s'engager trop avant en France. D'ailleurs, les villes les plus proches de l'ennemi, Beauvais et Saint-Quentin surtout,

p. 66-73. - Mém. de Bassompierre, ibid., t. VI, p. 338-339. Griffet, t. II, p. 739750. H. Grotii Epist. 633.

1 Un nouveau traité fut signé, le 6 septembre, entre la France et les Provinces

Unies.

T. XIII.

13

montraient les dispositions les plus énergiques, et l'armée française grossissait de jour en jour le mouvement de Paris avait gagné les provinces; les levées se faisaient partout avec rapidité. Dès le commencemeut de septembre, on eut sur l'Oise vingt-cinq à trente mille fantassins, dix à douze mille cavaliers et trente canons: l'armée fut en état de marcher, au milieu de ce mois.

Si l'armée eût été bien commandée, l'ennemi eût payé cher les alarmes qu'il avait causées; malheureusement, si l'on avait des soldats, on n'avait pas de général. Richelieu, jugeant qu'un éclat serait dangereux dans les circonstances où l'on se trouvait, et n'osant ôter le commandement au comte de Soissons, dont il se défiait, pour se l'attribuer ou pour le confier à quelque chef de moindre condition, ne vit rien de mieux à faire que d'appeler Monsieur à la tête de l'armée, en entourant Gaston et Soissons des officiers-généraux les plus fidèles. Monsieur avait témoigné de la bonne volonté, et avait amené au camp l'arrière-ban de son apanage. Il partit, le 15 septembre, de Senlis, pour joindre l'armée massée au delà de Compiègne, et se porta sur Roie. Au lieu de laisser un détachement devant cette petite ville, occupée par une poignée d'Impériaux, et de pousser au gros de la cavalerie ennemie, qui se retirait en assez mauvais ordre vers la Somme, on perdit deux jours à reprendre Roie, et Jean de Wert eut ainsi le temps d'opérer sa retraite. L'armée ennemie, fort diminuée par la désertion de ses cavaliers, empressés de mettre leur butin en sûreté, était hors d'état de disputer la campagne, et rentra en Artois, où on ne la suivit pas. Toutes les forces françaises se reunirent sur les deux rives de la Somme, autour de

« PrécédentContinuer »