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Corbie, où le prince Thomas avait laissé une garnison de trois mille hommes.

Le cardinal, fort peu satisfait des opérations des princes, se hâta d'amener le roi sur le théâtre de la guerre, et s'établit à Amiens, tandis que le roi s'établissait au château de Demuin, entre Amiens et Corbie. Des lignes de circonvallation enfermèrent Corbie, et empêchèrent les ennemis de secourir cette place. Richelieu commençait à respirer, et ne se doutait pas qu'un danger, plus grand que tous ceux qu'il avait surmontés, était suspendu sur sa tête. Il croyait le duc d'Orléans et le comte de Soissons ennemis personnels, et ces deux princes étaient réconciliés et secrètement d'accord avec lui. Le cardinal avait fait en vain beaucoup d'avances au comte de Soissons le comte avait regardé comme un outrage à son sang royal la proposition d'épouser madame de Combalet, veuve d'un petit officier d'infanterie; depuis, il s'était trouvé blessé de n'avoir pu obtenir le commandement de l'armée d'Alsace, que Richelieu jugeait mieux placé dans les mains de Weimar et du cardinal de La Valette. Une fois réuni à Monsieur, au milieu de grandes masses de troupes, le comte ne songea plus qu'à profiter de l'occasion. Des subalternes d'esprit violent et sans scrupule, Montrésor, confident de Gaston, Saint-Ibal, confident du comte, poussèrent les princes aux résolutions les plus extrêmes. On projeta de poignarder le cardinal, au sortir du con

seil, que le roi allait tenir à Amiens chez Richelieu, toujours souffrant. Le jour et l'heure furent pris : déjà le roi était reparti; le cardinal était au bas d'un escalier, entre les deux princes, qu'il reconduisait, et quatre de leurs complices. Au moment de donner le signal, le cœur fail

lit à Gaston. Ce prince s'éloigna précipitamment; les autres n'osèrent frapper sans son ordre1.

L'assassinat manqué, on se rabattit sur des projets de révolte et de guerre civile. Le duc de La Valette promit de gagner son père, le vieux duc d'Épernon : le gouverneur de Péronne promit de livrer sa place; le duc de Bouillon, qui avait abjuré le protestantisme, était engagé dans la cabale; on comptait sur bien d'autres adhérents. Il s'agissait d'abord de ne pas prendre Corbie, afin d'embarrasser et de dépopulariser le gouvernement. On fit les plus grands efforts pour persuader au roi de ne réduire la place que par famine, ce qui eût traîné tout l'hiver et ruiné l'armée. Richelieu déjoua cet honnête calcul aussitôt la circonvallation terminée, il fit décider l'attaque de vive force. Le 5 novembre, la tranchée fut ouverte le 10, la garnison parlementa; le 14, la place fut rendue. Ceux des habitants notables, qui, trois mois auparavant, avaient ameuté le peuple pour obliger le gounerneur à capituler, furent déclarés criminels de lèsemajesté deux d'entre eux furent exécutés, comme l'avait été le mayeur nommé à Roie par les Espagnols. La ville de Corbie fut dépouillée de ses priviléges.

:

L'étoile de Richelieu dissipa encore les nuages amonce. lés sur tous les points de l'horizon.

Les Espagnols avaient compté que Galas et le duc de Lorraine non-seulement feraient lever le siége de Dôle, mais combineraient une attaque contre la Bourgogne avec l'invasion de la Picardie. Le duc Charles et Galas ne

1 Mém. de Montrésor, 3e série, t. III, p. 204-205. p. 49.

2 Mém. de Richelieu, 2e sér., t. IX, p. 75-81.

Mém. de Montglat, ibid., t. V,

reçurent que tardivement d'Allemagne les renforts nécessaires pour tenter l'entreprise, et ce ne fut que le 22 octobre qu'ils passèrent la frontière à la tête de trente mille hommes, après avoir lancé un manifeste au nom de l'empereur contre la France. Le duc de Weimar et le cardinal de La Valette étaient arrivés au secours du prince de Condé : la Bourgogne avait fourni quelques nouvelles levées, bien que le parlement de Dijon, jusque-là si docile, eût refusé d'enregistrer des édits bursaux qui n'étaient que trop nécessaires pour payer les soldats ; les levées de la Normandie, inutiles devant Corbie, avaient été expédiées en Bourgogne, et les généraux français se trouvèrent en état d'arrêter l'ennemi. Les Impériaux, après avoir assailli sans succès la petite ville de Saint-Jean de Losne, dont les habitants, et jusqu'aux femmes, se défendirent héroïquement, rentrèrent dans la Franche-Comté avant le milieu de novembre, harassés par la disette et par les pluies d'automne, et poussés l'épée dans les reins par les Français, qui leur offrirent en vain la bataille (Richelieu, 2° sér., t. IX, p. 82-85).

Les Espagnols avaient fait de grands projets de vengeance et de conquêtes cette année-là. Ils avaient envoyé une escadre contre la Bretagne, une armée contre le Labourdan. Les troupes qu'ils essayèrent de débarquer sur les côtes du Morbihan ne purent pas même forcer l'abbaye de Prières, grâce à la bravoure des moines, et n'eurent que le temps de regagner leurs galions, pour n'être pas taillées en pièces par les populations levées en masse (Montglat, p. 47). Du côté de la Biscaye, ils furent un peu plus heureux : ils passèrent la Bidassoa, le 23 octobre, et occupèrent Andaye, Saint-Jean de Luz et Socoa, places sans défense; mais ils n'osèrent entreprendre le

siége de Bayonne, défendue par le comte de Grammont et par le vieux d'Epernon, qui se comporta honorablement dans cette occurrence, et qui s'était déjà employé auparavant à calmer les troubles de l'Angoumois et de la Saintonge.

La situation, un moment si critique, se raffermissait ainsi partout, quand le roi et le cardinal furent informés que le duc d'Orléans et le comte de Soissons, revenus de l'armée à Paris, en étaient partis dans la nuit du 19 au 20 novembre, le premier, pour Blois, le second, pour Sedan. La peur que Richelieu n'eût appris quelque chose de leurs complots et ne les fit arrêter, les avait entraînés à cette équipée. Sedan, place neutre, était une bonne position pour traiter, au besoin, avec l'Espagnol, et Gaston, de son côté, pouvait, de la Loire, se retirer sur la Garonne, si le duc d'Épernon se décidait enfin à entrer dans la faction. Épernon et ses deux fils aînés, les dues de Candale et de La Valette, haïssaient presque autant Richelieu que le troisième fils, le cardinal de La Valette, l'affectionnait 1; néanmoins, le vieux gouverneur de Guyenne ne voulut point, à quatre-vingts ans, se rejeter dans la rebellion, et pria les princes de le laisser mourir en paix. Aucun autre grand n'osa remuer.

Gaston recommença de négocier avec le roi, dans des formes, du reste, assez soumises. Le temps était bien choisi pour obtenir quelques concessions : l'agitation qui

1 Épernon avait subi, deux ans auparavant, une grande humiliation, provoquée par son arrogance. A la suite de longues querelles avec Sourdis, archevêque de Bordeaux, il avait injurié et frappé ce prélat en pleine rue. Le roi, ou plutôt Richelieu, le suspendit de son gouvernement, et l'obligea d'aller demander à genoux l'absolution du prélat outragé, qui l'avait excommunié (1633-1634). Richelieu saisit cette occasion d'obliger Epernon à céder le gouvernement de Metz au cardinal, son troisième fils.

régnait parmi le peuple eût pu rendre une révolte de Monsieur plus dangereuse que par le passé. Richelieu ne marchanda pas, et offrit à Gaston tout ce qu'il pouvait raisonnablement souhaiter, c'est-à-dire la ratification de ce mariage qui avait soulevé tant de tempêtes, et dont la cour de Rome persistait à ne pas reconnaître la nullité, à condition que Gaston, tout en restant le mari d'une princesse lorraine, se séparerait absolument des intérêts lorrains. Gaston accepta d'abord, puis, excité par les lettres du comte de Soissons, qui refusait de revenir à la cour et d'accepter son pardon, prétendant n'avoir point failli, il se remit à demander des places de sûreté. Le roi et le cardinal perdirent patience, et s'avancèrent vers Blois. Monsieur se décida à venir trouver le roi à Orléans, et à faire sa soumission aux conditions offertes (8 janvier 1637).

Le comte de Soissons ne se soumit pas si vite'; en sûreté à Sedan, chez le duc de Bouillon, il parlementait à la fois avec le roi et avec la reine-mère, qui servait d'intermédiaire entre le comte et le cardinal-infant. Plusieurs mois se passèrent ainsi : le 28 juin, la reine-mère signa avec le cardinal-infant un traité par lequel le roi d'Espagne s'engageait à ne conclure ni paix ni trève avec la France, que Marie de Médicis et le comte de Soissons ne fussent rétablis en leurs honneurs, et Marie promettait de ne pas s'accommoder que Richelieu ne fût mort ou disgracié. Marie se portait fort pour le comte de Soissons et le due de Bouillon. Marie et Soissons, peu de jours après, échangèrent une promesse de garantie mutuelle. Des dépêches interceptées apprirent à Richelieu cet état de choses. Le cardinal jugea le cas assez grave, et crut devoir concéder quelque chose pour éviter qu'un prince du sang passât à l'ennemi. Soissons, de son côté, ne pouvant plus compter

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