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sur Monsieur, hésitait un peu devant le crime de haute trahison, et le duc de Bouillon, son hôte, qui était neveu du prince d'Orange, hésitait encore plus à rompre avec la France et avec les Provinces-Unies: Soissons se résigna au parti le plus prudent; le 26 juillet, il signa une promesse d'entière fidélité et obéissance au roi, qui lui accorda l'autorisation de demeurer quatre ans à Sedan, sans qu'on pût l'appeler à la cour malgré lui; toutes ses pensions, appointements et revenus lui seraient payés comme de coutume, et personne ne serait recherché à l'occasion de sa retraite à Sedan. Rien n'avait pu ôter à Soissons la conviction qu'il serait arrêté s'il remettait le pied à la cour 1.

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La fermentation de l'intérieur avait rendu Richelieu plus disposé à transiger. Les édits bursaux irritaient les privilégiés, dont on avilissait les priviléges en les faisant partager à tant de nouveaux venus : la crue des impôts indirects, et surtout les abus de la perception et les exactions des traitants, froissaient le peuple; les emprunts exigés des villes mécontentaient la bourgeoisie. Le sens politique n'était point assez développé chez les masses pour qu'elles se résignassent aisément à des sacrifices nécessaires, et pour qu'elles ne soupirassent point après une paix dont elles ne comprenaient pas l'impossibilité. Après un moment d'élan, elles retombaient dans leurs murmures. Il eût fallu de grandes victoires pour donner aux passions nationales une impulsion qui réduisit les inté

1 Mém. de Richelieu, 2e sér., t. IX, p. 117. 299.

Levassor, t. V, p. 233-268, 281,

2 L'emprunt exigé, cette année-là, des villes et gros bourgs, avait pour but de compenser la diminution des tailles, qui venaient d'être réduites de moitié pour l'an 1637. Mém. de Richelieu, 2e sér., t. IX, p. 444-205. Richelieu s'efforçait toujours d'alléger le fardeau des campagnes.

rêts matériels au silence, et les victoires n'arrivaient pas. La politique du grand ministre, trop profonde et trop rigoureusement rationnelle pour être accessible à la foule, n'obtenait point la sympathie du peuple en compensation de la haine des grands! Le faste que déployait Richelieu, faste intelligent et très-favorable aux arts et aux lettres, mais dont l'excès était déplacé parmi de si grandes nécessités publiques, lui était imputé à crime par un peuple souffrant, et ses ennemis lui reprochaient de vouloir être le vrai roi de France, non-seulement d'effet, mais d'apparence 1.

Les parlements provinciaux, les chambres des comptes, les cours des aides, s'engageaient presque tous dans la résistance au commencement de mars 1637, le roi et le cardinal furent sur le point de marcher en armes contre Rouen, le parlement de Normandie refusant d'enregistrer des édits bursaux, et le corps de ville de Rouen refusant l'emprunt demandé par le roi aux bonnes villes. Les Rouennais cédèrent. Dans la Guyenne, où il y avait déjà eu des troubles graves en 1635, les choses allèrent beaucoup plus loin. Les campagnes du Périgord, puis tout le pays

1 Sa maison était en effet celle d'un souverain et non d'un ministre : il avait quatre compagnies de gardes à cheval, les plus braves soldats de l'armée; on assure que sa dépense s'élevait à 4 millions par an, ce qui ne paraîtra point invraisemblable si l'on admet qu'il ait dépensé, comme on le dit, plus de 200,000 écus pour l'ouverture de son grand théâtre du Palais-Cardinal, et pour la mise en scène de la fameuse tragi-comédie de Mirame, en 1641. On a voulu voir dans cette pièce, où se trouvent bon nombre de vers de sa façon, des allusions hardies à sa victoire sur Buckingam et à la pasion de la reine pour cet Anglais. Cela n'est guère vraisemblable, après tant d'années écoulées ! Il est juste d'observer, pour ce qui regarde les 4 millions annuels, qu'une partie des dépenses de Richelieu étaient directement d'utilité publique: les pensions qu'il faisait à une foule de militaires, de diplomates, de gens de lettres, d'artistes, étaient de véritables récompenses nationales. Griffet, t. II,

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entre la Garonne et la Charente, s'insurgèrent contre les impôts et les percepteurs. On vit sous les armes plusieurs milliers de paysans, parmi lesquels beaucoup d'anciens soldats. Le peuple des villes favorisait ces nouveaux croquants les portes de Bergerac leur furent ouvertes; beaucoup d'autres villes étaient ébranlées, quand le duc de La Valette, lieutenant général de Guyenne, accourut avec un corps de bonnes troupes, et assaillit l'avant-garde des rebelles dans le bourg de la Sauvetat-d'Eymet, où ils s'étaient retranchés. Les barricades des croquants furent emportées plus de douze cents de ces malheureux demeurèrent sur la place, et La Valette poussa droit à Bergerac, où était le gros des insurgés. Les croquants capitulèrent et mirent bas les armes, moyennant une promesse d'amnistie qui fut tenue par le gouvernement. Les contrées voisines se soumirent après le Périgord (juin 1637) '. Ces embarras ne rendirent pas Richelieu moins ferme dans l'ensemble de sa politique.

Il s'était passé d'importants événements en Allemagne depuis l'automne de 1656. Ferdinand II, croyant le moment favorable pour assurer l'Empire à son fils, ce que la France l'avait empêché de faire en 1630, avait convoqué une diète à Ratisbonne, sous prétexte de pourvoir au rétablissement de l'ordre en Allemagne au moment où la diète s'ouvrait, le parti impérial essuya un terrible échec; le général suédois Baner, mettant à profit l'éloignement des meilleurs généraux et d'une partie des troupes de l'empereur, occupés contre la France et contre le valeureux landgrave de Hesse-Cassel, qui se soutenait toujours en Westphalie, avait disputé opiniâtrement

1 Griffet, t. III, p. 78-79. Mém. de Richelieu, 2e sér., t. IX, 218. p. Bassompierre, ibid., t. VI, p. 542.

Levassor, t. V, p. 68-319.

Mém. de

le terrain tout l'été aux Impériaux et aux Saxons : le 23 septembre 1636, il remporta une éclatante victoire à Witstock, dans le Brandebourg, sur l'électeur de Saxe et sur le général autrichien Hatzfeld. Le Brandebourg, la Thuringe, la Hesse, furent nettoyés d'ennemis : la Saxe électorale, envahie et cruellement dévastée, expia durement la trahison de son prince. L'empereur n'en atteignit pas moins son but l'électeur de Saxe en était d'autant plus à la discrétion de l'Autriche; l'électeur de Brandebourg fut gagné par la promesse de la Poméranie; l'électeur de Bavière et son frère de Cologne avaient besoin de l'Autriche pour maintenir l'électorat dans leur maison. L'archevêque de Mayence était tout autrichien. Le roi de Hongrie fut élu roi des Romains, le 22 décembre. Il était temps: Ferdinand II, usé moins par l'âge que par les soucis et par les violentes émotions de son orageuse existence, mourut le 15 février 1637'.

La France et la Suède refusèrent de reconnaître Ferdinand III, et comme roi des Romains et comme empereur, à cause de la violation des constitutions de l'Empire commise envers l'électeur de Trèves, qui était toujours prisonnier et qui n'avait point été appelé à donner son vote (Mém. de Richelieu, 2o sér., t. IX, p. 26-30).

Cette offense n'inspira pas des dispositions pacifiques au nouvel empereur, qui n'avait ni le fanatisme ni l'énergie de son père, mais qui, engagé dans la même voie, y fut maintenu par l'influence espagnole. Les électeurs pro

1 C'est seulement à partir de Ferdinand II que le droit d'aînesse fut formellement et définitivement établi dans les États héréditaires de la maison d'Autriche, L'Autriche avait suivi, jusqu'à Rodolphe II, le vieux principe germanique des partages et de l'égalité entre frères. V. Coxe, Hist. de la maison d'Autriche, c. LVI.

testants, l'électeur de Mayence et la plupart des membres de la diète, l'avaient conjuré de faire tout ce qui dépendrait de lui pour rendre la paix à l'Allemagne, dont la désolation était inexprimable. Les contemporains nous ont laissé, de l'état de ce vaste pays, des tableaux qui effraient l'imagination il y avait des cantons entiers où la charrue n'avait pas touché le sol depuis plusieurs années; les plus belles et les plus riches contrées se dépeuplaient de jour en jour, et par le fer et par la faim!

Ni l'Autriche ni l'Espagne ne prirent cependant le chemin de la paix. Il y avait toujours quelques négociations pendantes: le roi d'Angleterre renouvelait incessamment ses vaines réclamations en faveur des princes palatins, ses neveux n'ayant rien obtenu du dernier empereur, Charles Ier négociait, en ce moment, avec la France, un projet d'alliance qui ne visait qu'à amener l'Autriche aux concessions. La cour de Vienne le comprit et ne prit pas les menaces de l'Anglais au sérieux. Le pape, depuis le commencement de la guerre, tâchait de faire agréer sa médiation aux puissances catholiques belligérantes: Ferdinand II et Philippe IV avaient paru s'y prêter; Richelieu n'était nullement content du pape, qui déférait beaucoup aux Espagnols, moins par amitié que par crainte, et qui refusait le chapeau rouge au père Joseph; Richelieu, néanmoins, n'avait pas repoussé l'intervention du Saint-Père, mais avait répondu que, le roi ne pouvant se séparer de ses alliés, il fallait que le Saint-Père devînt le médiateur général de l'Europe catholique et protestante, << attendu qu'il n'étoit point question de traiter avec les hérétiques d'un point de doctrine, 'mais d'agir pour le repos public 1. » C'était tout simplement deman

1 Mém. de Richelieu, 2e série, t. IX, p. 189.

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