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extrême du diable'. Louis semblait parfois ébranlé et se laissait aller à médire avec Caussin du cardinal « qui ne dit pas son bréviaire. » Caussin crut enfin trouver jour à frapper le grand coup, et somma en quelque sorte le roi de renoncer à une politique criminelle, de renvoyer son ministre. On prétend que Louis lui demanda qui l'on pourrait substituer à Richelieu, et qu'il nomma le duc d'Angoulême! Ce choix faisait honneur à la sagacité de Caussin! Le duc était peut-être l'homme le plus vicieux et le plus déconsidéré de la cour. On ajoute que Caussin eut permission du roi d'avertir le duc d'Angoulême, et que celui-ci, épouvanté de se voir opposé au formidable cardinal, alla tout dénoncer à Chavigni, un des secrétaires d'Etat, dévoué à Richelieu. Le fait n'est pas bien avéré; ce qui est sûr, c'est que Richelieu fut averti le jour même, et qu'il écrivit sur-le-champ au roi pour le prier de choisir entre son confesseur et son ministre. La lutte fut courte l'entretien du roi et de Caussin avait eu lieu le 8 octobre; le 9, Richelieu eut avec Louis une longue conférence; le 10 au soir, une lettre de cachet exila le père Caussin en Bretagne. Le roi cessa de voir la sœur Louise.

Les jésuites se hâtèrent de désavouer Caussin, qui n'avait pas réussi. Richelieu ne voulut point se mettre en guerre ouverte avec eux, en leur enlevant la direction de la conscience du roi; il remplaça Caussin par le père Sirmond, savant de quatre-vingts ans, absorbé par l'érudition et étranger à toute intrigue. La tactique de Richelieu vis-à-vis de la Compagnie de Jésus était assez

1 Tallemant des Réaux, Historiette de Louis XIII. Caussin attaqua vivement Richelieu auprès du roi pour avoir projeté de s'allier au Turc. Le roi et Richelieu croyaient cette alliance légitime, mais, cependant, ne l'acceptèrent pas. Narration, à la suite des Mém. de Richelieu, t. IX, p. 343.

Succincte

singulière faveurs, argent, priviléges, il ne refusait rien aux individus ni aux maisons de l'ordre, tandis qu'il refusait toute influence politique à l'ordre même et à ses maximes. Il était parvenu de la sorte à engourdir en France l'esprit de Loyola, et à se faire considérer comme un bienfaiteur par une grande partie de cette association dont il renversait le système en Europe'.

Vers le même temps, et peut-être dans la même semaine où fut congédié le père Caussin, Anne d'Autriche, après vingt-deux ans d'un mariage stérile, devint enceinte. La France et l'Europe attendirent avec anxiété l'issue de cette grossesse, qui était un grand événement politique. Le roi, probablement d'après les inspirations de mademoiselle de La Fayette, avait déjà projeté, à l'occasion des périls de la guerre, de mettre sa couronne et son royaume sous la protection de la Vierge Marie; le désir d'obtenir du ciel un héritier lui fit réaliser, en février 1638, cette espèce de consécration qu'on a nommée le Vou de Louis XIII2.

La campagne de 1638 s'ouvrait en ce moment. Celle de 1637, tout honorable qu'elle eût été aux armes françaises, n'avait encore donné que des espérances. Il fallut faire de nouveaux et de pénibles efforts. L'état des finances empirait. La guerre empiétait sur tous les autres services publics. Plusieurs quartiers des onze millions de

1 Sur toute cette affaire, voyez Mém. de Richelieu, 3e sér., t. IX, p. 220-233. Lettre du père Caussin, dans l'Hist. du ministère de Richelieu, par M. Jay, t. II, p. 307-346. Mém. de La Porte, 5e sér., t. XI, p. 222. — Griffet, Hist. de Louis XIII, 1. III, p. 4-48, 39-64, 101-121. Sur les faveurs accordées aux jésuites, voyez le t. XVI d'Isambert, Anc. Lois françaises, p. 548-359, etc. Floquet, Hist. du parlement de Normandie, t. IV, passim.

2 Sur les circonstances qui, dit-on, amenèrent la grossesse de la reine, voy. Mém. de madame de Motteville, 2e sér., t. X, p. 34. - Mém. de Montglat, 30 sér. t. Y, p. 64. Le Vou de Louis XIII est dans le Mercure, t. XXII, p. 284.

rentes constituées sur les tailles et les gabelles n'ayant pas été payés, les rentiers firent à Paris, au mois de mars, une espèce d'émeute le parlement voulut prendre connaissance de leurs justes plaintes, et engagea contre le ministère une nouvelle lutte qui se termina, comme de coutume, par l'exil de quelques présidents et conseillers. La troisième chambre des enquêtes du parlement fut interdite tout entière bientôt après, à cause de la manière injurieuse dont elle traitait les titulaires des nouvelles charges créées par le roi (Mémoires de Bassompierre, 2 série, t. VI, p. 349-351).

L'administration des finances n'était pas seulement dure; elle était déloyale. Telle ville frontière avait consenti un droit d'aide temporaire pour réparer ses fortifications; on rendait le droit perpétuel : telle autre s'en était rachetée par une somme fixe; on recevait l'argent, et l'on établissait le droit tout de même. On avait invité chaque province à payer la nourriture des troupes cantonnées sur son territoire : les provinces payèrent; l'argent fut employé à un autre usage, et le soldat, n'étant pas nourri, se mit à piller et à désoler le plat pays. Richelieu avait eu le tort de livrer entièrement les finances à 'la discrétion des surintendants Bouthillier et Bullion, surtout de ce dernier, qui avait rendu de grands services durant la crise de 1636, mais qui n'avait ni humanité ni scrupules: le cardinal se fâcha, quand il connut toutes ces iniques violations des promesses du roi; mais le mal était fait, et Richelieu ne put que défendre de recommencer'.

L'argent détourné par Bullion avait, du moins, on doit en convenir, reçu une destination utile: le surinten

1 Mém. de Richelieu, 2e sér., t. IX, p. 259. — Mém. de Bassompierre, ibid., t. VI, p. 550.

dant l'avait envoyé à Bernard de Weimar, qui n'eut plus, cette année, à se plaindre d'être négligé. En Souabe, en Franche-Comté, en Belgique, en Espagne, en Italie, partont, les Français se préparaient à prendre l'offensive avec vigueur : ce furent les auxiliaires allemands qui entamèrent glorieusement la campagne.

Le duc Bernard avait fait reposer ses troupes quelques semaines dans le Jura bâlois : dès la fin de janvier, il se porta brusquement sur le Rhin, à travers le territoire suisse, et s'empara de trois des villes forestières du Rhin, Lauffenbourg, Seckingen et Waldshut, qui étaient libres sous la protection autrichienne : il entreprit le siége de la quatrième ville forestière, Rheinfeld. Jean de Wert et trois autres généraux de l'empereur et du duc de Bavière, arrivèrent au secours de Rheinfeld, forcèrent le camp de Bernard après un combat acharné, et obligèrent le duc à se retirer en bon ordre sur Lauffenbourg (28 février). Le duc de Rohan, qui s'était rendu, de Genève, comme volontaire, au camp de Weimar, reçut dans la mêlée deux blessures dont il mourut après avoir langui quelques semaines. Cet illustre chef du protestantisme français eut du moins la consolation de se voir vengé avant d'expirer. Weimar, par un trait d'audace qui a peu d'exemples, ramena au combat, au bout de trois jours, son armée vaincue, et, le 3 mars au matin, fondit tout à coup sur les Impériaux encore occupés à fèter leur victoire. L'ennemi, surpris, terrifié, fut défait avant de tirer l'épée : tout s'enfuit; les quatre généraux, le bagage, l'artillerie, les étendards restèrent au pouvoir des Weimariens; Bernard de Weimar envoya prisonnier à Paris ce fameux Jean de Vert, qui, dix-huit mois auparavant, avait jeté

l'effroi jusque dans cette capitale, et dont le nom est resté proverbial en France.

La conquête de Rheinfeld, de Freybourg et de tout le Brisgau, domaine héréditaire de la maison d'Autriche, fut le fruit immédiat de cette brillante journée. Le théâtre de la guerre fut ainsi transporté au delà du Rhin, et Weimar, renforcé par un corps français aux ordres du comte de Guébriant, officier breton du plus grand mérite, puis par un corps de volontaires liégeois levé par le vicomte de Turenne, poursuivit le cours de ses succès.

Du côté de la Franche-Comté, le duc de Longueville avait conservé le commandement, et continua la conquête des bailliages méridionanx de cette province; après Lonsle-Saulnier et Orgelet, il pri Poligni, Arbois, etc. Le duc Charles de Lorraine essuya encore divers échecs, soit en défendant la Comté, soit en tâchant de recouvrer ses anciens domaines.

La situation n'était pas si bonne sur les autres points. En Italie, les Français furent prévenus par l'ennemi. Le gouverneur de Milan, Lleganez, assiégea, dès le commencement de mars, le fort de Bremo, que les Français et les Piémontais occupaient sur le territoire milanais. Le maréchal de Créqui, accouru au secours, fut tué d'un coup de canon, le 17 mars, dans une reconnaissance sur le camp espagnol. La mort de ce maréchal jeta le découragement et le désordre parmi ses troupes : le gouverneur de Bremo capitula presque aussitôt; on fit à ses dépens une nouvelle application du système terrible d'après lequel Richelieu frappait comme coupable de lâcheté ou de trahison, tout gouverneur qui ne subissait les dernières extrémités avant que de se rendre. Le commandant de Bremo fut décapité. Il avait, d'ailleurs, mérité

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