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obéissait, et s'enfuit en Angleterre. Il fut jugé, comme contumace, par un étrange tribunal, par le conseil d'État, que le roi présida en personne. Du principe que le roi est la source de la justice, on avait conclu au droit du roi de choisir arbitrairement les juges pour chaque procès; on alla plus loin on arriva au droit du roi de juger en personne. C'était retourner à l'enfance des sociétés! Il était sans doute nécessaire d'apprendre aux chefs militaires que les calculs criminels de l'égoïsme, de la jalousie, de la sourde malveillance, quand ils compromettraient l'Etat et l'honneur national, n'échapperaient pas plus au châtiment que la révolte ouverte; mais rien ne saurait justifier de tels expédients, qui renversaient les distinctions nécessaires sur lesquelles se fonde l'ordre légal chez tous les peuples civilisés. Les représentations des chefs du parlement, appelés à siéger parmi les autres conseillers d'Etat, furent inutiles : les présidents entendirent avec stupeur le roi opiner après tous les autres juges, et opiner pour la mort de l'accusé, qu'il estima convaincu de « défection et infidélité. » Richelieu s'était abstenu, non comme ecclésiastique, mais comme allié de l'accusé, mari d'une de ses cousines (24 mars 1639) 1.

Le père du contumace, le vieil Epernon, avait été, dès l'automne précédent, relégué en Saintonge et suspendu de son gouvernement de Guyenne, qui fut transféré par commission à Condé, dont on récompensait, non les actes, mais les intentions et surtout le dévouement absolu

vantes.

Levassor, t. V, p. 624 et sui

1 Mém. d'Omer Talon, 3e sér., t. VI, p. 64-67. - Griffet, t. III, p. 184. Le duc de La Valette essaya de se venger en tramant un complot pour s'emparer de la citadelle de Metz: il vint, déguisé, d'Angleterre à Bruxelles dans ce but; l'entreprise fut découverte (juillet (1639). Recueil d'Auberi, t. II, p. 327.

au ministre '. Le vieux favori de Henri III passa ses dernières années dans un oubli et dans un abandon qui durent être bien amers à son orgueil. Il ne mourut qu'en 1642. C'était le dernier représentant du seizième siècle au milieu du dix-septième ce fut le dernier de ces puissants gouverneurs qui jouaient aux grands vassaux dans leurs provinces. On ne vit plus de ces individualités formidables à la couronne et au peuple.

Deux jours avant la déroute de Fontarabie, cinq jours après la victoire navale remportée devant Gênes par les galères françaises, le 5 septembre 1658, anniversaire de la naissance de Richelieu, un grand événement avait eu lieu au château de Saint-Germain. Anne d'Autriche avait mis au monde un dauphin, qui fut nommé Louis-Dieudonné. La France salua par un long cri de joie la naissance de l'enfant qui devait être Louis XIV, et qui débutait par préserver son pays du joug ignominieux de Gaston d'Orléans. Pour la première fois, la reine Anne et Richelieu s'unirent dans un sentiment commun: la reine voyait dans sa maternité la fin de ses humiliations; le ministre y voyait la garantie de l'avenir, et pour la France et pour lui-même. La grandeur de Richelieu pouvait désormais survivre à Louis XIII; le cardinal espérait se faire léguer la régence par le roi'.

1 Rien n'est plus curieux que la correspondance du ministre et du premier prince du sang. La distinction factice des rangs y est complètement intervertie, et chacun se remet à sa place selon l'ordre naturel. Le prince parle en protégé, en subalterne; il se confond en remerciements sur les bontés de Richelieu envers sa famille : il appelle son fils aîné la créature du ministre. Voyez le Recueil d'Auberi, t. II, p. 660-738.

2 A la naissance de Louis XIV s'arrêtent les Mémoires de Richelieu. On ne se sépare pas sans regret de ce vaste ouvrage, quand on a longtemps vécu, grâce à lui, dans l'intimité d'une si haute pensée. La surabondance des détails fatigue d'abord, mais l'attention qui persévère est bien dédommagée. Richelieu finit par se lasser

Les derniers faits militaires de la campagne de 1638 confirmèrent le favorable augure que le peuple tirait de la naissance du dauphin, et le Rhin consola Richelieu de la Bidassoa. Weimar, devenu maître du Brisgau, avait dirigé tous ses efforts vers la conquête de Brisach, forte ville qui dépendait de l'Alsace, mais qui, située sur la rive droite du Rhin, commandait une partie de la Souabe. Les Impériaux et les Bavarois en avaient fait leur place d'armes dans toute la région du Haut-Rhin, et rentraient incessamment, par le pont fortifié de Brisach, dans le centre de l'Alsace. Ce fut un héroïque siége. Durant sept ou huit mois, Brisach fut le point de mire des deux partis français et autrichien, également acharnés à l'attaque et à la défense. Les Allemands de Weimar, les Français et les Liégeois de Guébriant et de Turenne, rivalisèrent de valeur et de constance: il se livra, sur les deux rives du Rhin, des combats sans nombre. Le 9 aoù!, Weimar remporta, à Wirthenwiel en Souabe, une brillante victoire sur les généraux Goëtz et Savelli, qui essayaient de ravitailler Brisach. Le blocus fut ensuite converti en siége actif. Les ennemis ne se découragèrent pas: Goëtz, renforcé, combina avec le duc Charles de Lorraine une double attaque contre les assiégeants, par la rive souabe et par la rive alsacienne. Weimar les prévint: il courut battre le duc Charles auprès de Thann, le

de ce travail: les maladies et le faix des affaires, comme il le dit dans la lettre dédicatoire du Testament Politique, lui firent abandonner l'œuvre qu'il intitulait Histoire de Louis XIII, et il se contenta, à partir de 1639, d'écrire une Succincte Narration des grandes actions du roi, c'est-à-dire des siennes. La Succincte Narration se divise en deux parties: la première, qui paraît avoir été rédigée après la campagne de 1659, a été publiée en Hollande avee le Testament Politique, en 1688; la seconde, composée dans l'hiver de 1641 à 1642, a été retrouvée et publiée par le père Griffet, à la suite de son Histoire de Louis XIII, en 1758.

par

15 octobre, puis revint en toute hâte à son camp menacé Goëtz et par le général wallon Lamboi. L'attaque de Goëtz et de Lamboi fut repoussée le 23 octobre, après un furieux combat dans lequel Turenne et Guébriant firent des prodiges. Brisach se défendit encore près de deux mois, et souffrit les dernières extrémités avant que d'ouvrir ses portes le 18 décembre.

La nouvelle que Brisach capitulait trouva Richelieu dans une grande tristesse. L'agent fidèle, infatigable, inépuisable en expédients et en ressources, qui, sans titre et sans caractère officiel, avait plus efficacement servi Richelieu que tous les secrétaires d'Etat à portefeuilles, le capucin premier ministre du cardinal-roi, le père Joseph, était à l'agonie. On raconte que Richelieu essaya de ranimer, par une nouvelle de victoire, l'ardent collaborateur de ses desseins : « Père Joseph!» s'écria-t-il en se penchant sur le lit du mourant, « père Joseph, Brisach est à nous ! »

Un dernier éclair brilla dans les yeux du moine guerrier. Il expira à 61 ans, le jour même où Weimar entra dans Brisach.

« J'ai perdu ma consolation et mon appui!» dit Richelieu en pleurant sur ce corps inanimé. Leur affection mutuelle ne s'était jamais démentie. Le cardinal, de l'aveu des écrivains les moins bienveillants pour sa mémoire, était aussi fidèle ami qu'implacable ennemi, et il est également faux que Joseph ait visé à supplanter son patron et que Richelieu ait empêché sous main Joseph d'obtenir le chapeau de cardinal qu'il demandait ostensiblement pour lui au pape. Le père Joseph a été souvent mal jugé. Bien que sa politique n'ait été rien moins que scrupuleuse et que le mélange de deux existences fort peu compatibles,

celles du dévot et du diplomate, ait fait de lui un personnage assez étrange, ce n'était point un hypocrite : il était sincèrement attaché à l'Etat d'une part, à l'Eglise de l'autre; son imagination passionnée, ses mœurs régulières, son âme intrépide, n'appartenaient point à ce qu'on nomme vulgairement un intrigant. Ce n'était pas non plus un homme de génie, ainsi qu'on l'a dit par une exagération contraire. Si considérables qu'aient été ses services, on a exagéré outre mesure sa valeur réelle en l'élevant au niveau ou même au-dessus de Richelieu, qui, suivant certains écrivains, n'aurait agi que d'après ses inspirations. Après la mort de Joseph, la politique du cardinal ne faiblit sur aucun point, et rien ne parut changé en France. Richelieu, sans Joseph, eût toujours été le grand Armand; Joseph, sans la haute et patriotique impulsion qu'il reçut de Richelieu, n'eût peut-être été qu'un brouillon ultra-catholique de plus'.

Les secrétaires d'Etat Sublet de Noyers et Bouthillier de Chavigni, chargés de la guerre et des affaires étrangères, suppléèrent de leur mieux à la perte de Joseph. Le peu de succès qu'avaient eu les armées de terre, durant la campagne de 1638, aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie, loin de décourager Richelieu, l'excitait à persévérer plus énergiquement. L'éclatant résultat des efforts qu'il avait faits pour donner une marine à la France, le dédommageait de tout le reste. La campagne navale de

1 Voyez, sur Joseph, les judicieuses observations du père Griffet, t. III, p. 445454; et de M. Bazin, t. IV, p. 145-124. Le témoignage que lui rend l'illustre comte d'Avaux est d'un grand poids en sa faveur; ap. Levassor, t. V, p. 600. C'était Joseph qui avait su distinguer et recommander au cardinal la haute capacité de d'Avaux.

Voyez aussi Grotii Epistol., 1086-1098-1103-1117-1122

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