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blaient menacés par de nombreuses troupes impériales réunies en Alsace et à l'entrée de la Lorraine. Le cardinal se mit donc seul en route, le 29 décembre, avec un plein pouvoir de « lieutenant général représentant la personne du roi en son armée, tant dedans que dehors le royaume.»> C'était plus que le rétablissement par commission des fonctions de connétable : c'était une délégation de la royauté; car les pouvoirs de Richelieu allaient jusqu'à décider de la guerre ou de la paix et généralement faire tout ce que le roi ferait en personne (Mercure, XVI, an 4629, p. 4).

Une déclaration royale très-vigoureuse devança le cardinal le roi y gardait encore quelques ménagements envers l'empereur, mais traitait fort durement le cabinet espagnol.

Richelieu reçut, chemin faisant, la nouvelle de la levée du siége de Mantoue. Les maladies contagieuses qui désolaient alors le nord de l'Italie et le midi de la France, et qu'aggravait, en Lombardie, l'air malsain des rizières inondées, avaient obligé Colalto à lever son camp, tout en conservant les petites places d'alentour. Casal ne courait pas non plus de danger prochain. Le cardinal n'en mit pas moins de célérité dans ses préparatifs 1. Le plan de campagne ne pouvait être arrêté qu'éventuellement, car tout dépendait de la conduite que tiendrait le duc de Savoie. Charles-Emmanuel rusait comme à son ordinaire : invité à se joindre aux Français, ainsi qu'il s'y était engagé pour le cas où les Espagnols n'observeraient

1 Le parlement de Grenoble, craignant que le blé ne manquàt en Dauphiné, avait entravé les approvisionnements de l'armée en cassant les traités faits par les marchands du pays avec le munitionnaire général, ct en faisant ouvrir leurs greniers, ce qui excita le peuple à s'ameuter et à piller même les blés du dehors qui traversaient le Dauphiné. Mémoires de Richelieu, t. II, p. 125, De tels incidents n'étaient pas propres à rendre le cardinal bienveillant pour les parlements.

pas le traité de Suze, il tâchait de se rendre l'arbitre des puissances belligérantes et de retarder la marche des Français; il suscitait mille difficultés sur le prix et la distribution des étapes militaires, que le traité l'obligeait d'accorder à travers ses États. Le Savoyard fit perdre plusieurs semaines à Richelieu, qui montra une patience peu conforme à ses habitudes. C'est qu'il fallait, à tout prix, assurer l'avitaillement de Casal, avant de se brouiller avec Charles-Emmanuel.

Le cardinal refusa cependant toute proposition de suspension d'armes avec les persécuteurs du duc de Mantoue, voulant, comme il le dit lui-même, bonne paix ou forte guerre. Le cardinal-légat Antonio Barberini et le nonce du pape à Turin s'entremirent vainement auprès de lui. Ce fut à l'occasion de ces pourparlers que Richelieu se trouva pour la première fois en contact avec un gentilhomme romain appelé Giulio Mazarini, alors employé en qualité d'agent diplomatique par le nonce Pancirola. Richelieu fut très-frappé de l'esprit fin et délié, de la vive et pénétrante intelligence, que révélaient la belle figure et l'attrayante conversation de l'Italien. Le cardinal déclara, dit-on, qu'il n'avait encore rencontré personne qui eût un plus beau génie pour les affaires, et songea dès lors à se l'attacher '. Cet étranger devait être un jour le successeur du grand Armand,

Richelieu, voyant bien que la maison d'Autriche, froissée dans son orgueil, n'était pas disposée à une paix raisonnable, s'était résolu à renoncer au système de guerre indirecte, et à s'attaquer ouvertement à l'Espagne, s'il pouvait, à ce prix, rallier solidement la maison

1 Auberi, Histoire du cardinal Mazarin, 1. Ier, c. 2.

de Savoie à la France. Il offrit à Charles-Emmanuel d'assaillir le Milanais à frais communs et au profit du duc. Le Savoyard trouva que ce n'était pas assez, et prétendit que les Français conquissent pour lui tout à la fois Milan et Gênes. Au fond de l'âme, il ne prit pas sérieusement les offres de Richelieu : il avait toujours en mémoire le traité de Monçon, principe de sa haine contre le cardinal, et se figurait que Richelieu abandonnerait l'entreprise de Milan comme il avait abandonné celle de Gênes en 1626, ou garderait Milan, si on le prenait. Il ne comprenait pas que la France ne voulait plus en Italie que des portes, suivant l'expression de Richelieu. Cette erreur fut fatale au vieux duc, qui manœuvra sans succès, afin d'amener une transaction basée sur le démantellement de Casal et sur l'évacuation du territoire grison par les Impériaux, et de Suze par les Français.

Le cardinal n'avait garde d'évacuer Suze l'armée française, formée principalement des troupes cantonnées dans le sud-est après la campagne de Languedoc, était descendue à Suze dans le courant de février 1630, par la Savoie et par le Dauphiné, non sans souffrir cruellement du froid au passage des Hautes-Alpes. Le 25 février, Richelieu franchit les monts au milieu des neiges : du 4 au 8 mars, il eut, avec le prince de Piémont, de longues conférences à Bussolino, à quelques lieues en avant de Suze; il s'assura que Charles-Emmanuel ne visait qu'à' embarquer les Français dans le Montferrat, et à rester maître des passages derrière eux, afin de les réduire à sa discrétion par la nécessité des vivres, et de dieter la loi aux deux partis. Casal était pourvu, pour quelque temps, de vivres fournis au poids de l'or par Charles-Emma

nuel. Le cardinal avait la liberté d'agir, et ne se laissa pas prendre au piége.

Le 15 mars, Richelieu se mit en route, comme pour aller à Casal, avec l'armée que commandaient sous lui les maréchaux de La Force, de Schomberg et de Créqui: l'avant-garde touchait déjà le territoire du Montferrat; le cardinal s'arrêta brusquement, et somma, une dernière fois, Charles-Emmanuel de se déclarer pour le roi, de faire marcher son contingent côte à côte avec les Français, de livrer de grands approvisionnements payés et non fournis, enfin, de détruire le camp retranché qu'il avait établi à Vegliana, entre Suze et Turin, dans le but évident de se placer sur les derrières de l'armée française, quand elle se serait avancée sur Casal. L'offre d'envahir le Milanais fút réitérée; le cardinal consentait même à seconder le duc contre Gênes. Charles-Emmanuel répondit enfin nettement qu'il relevait de l'Empire et ne pouvait se déclarer contre l'Empereur: Richelieu sut que le due avait demandé assistance à Spinola et à Colalto, et les mouvements hostiles des troupes piémontaises, qui occupèrent les passages de la Petite-Doire, la défense aux sujets piémontais de vendre des vivres aux Français, le décri des monnaies françaises, annoncèrent que le duc avait pris son parti. Le cardinal eut bientôt pris le sien.

Dans la nuit du 17 au 18 mars, toutes les troupes françaises, au nombre de vingt-deux ou vingt-trois mille combattants, se réunirent sur la rive gauche de la Petite-Doire, près de Casalete : le cardinal espérait forcer le passage assez rapidement pour surprendre et enlever le due et son fils dans Rivoli, au delà de Vegliana; CharlesEmmanuel fut, dit-on, secrètement prévenu par le duc

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de Montmorenci, dont Charles-Emmanuel avait adroitement caressé la vanité, et qui n'était pas désireux de voir Richelieu remporter un avantage aussi décisif. Le duc se retira précipitamment sur Turin avec toutes ses forces, qui se montaient à une quinzaine de mille hommes, et, au point du jour, les Français virent la rive droite de la Petite-Doire entièrement déserte. L'infanterie traversa la rivière sur un pont, que l'ennemi n'avait pas eu le temps de couper la cavalerie passa à gué, conduite par le cardinal généralissime, qui chevauchait, la cuirasse sur le dos, le chapeau à plumes sur la tête, l'épée au côté et les pistolets à l'arçon. Le temps était affreux : les soldats, battus de la grêle, inondés d'une pluie glaciale, << donnaient le cardinal à tous les diables,» sans lui savoir gré de partager bravement leur mésaventure; mais, le soir, ils changèrent bien de ton, quand on les eut installés dans le quartier du duc de Savoie, à Rivoli, et Richelieu, qui avait été fort sensible à leurs injures, eut le plaisir de les entendre tout à son aise boire les bons vins du duc « à la santé du grand cardinal 1. »

Charles-Emmanuel attendait les Français à Turin, et se flattait de venger son affront de Suze devant les murs de sa capitale, avec l'aide de Spinola et de Colalto. Mais les Français ne parurent pas devant Turin: ils retournènèrent brusquement vers les Alpes, et, le 20 mars, ils investirent Pignerol. La ville se rendit dès le 25 : le château, très-fort et très-bien approvisionné, ne tint que huit jours de plus; le gouverneur perdit courage, et ouvrit les portes le jour de Pâques, 31 mars, au moment où le duc de Savoie et ses alliés se préparaient à tenter les der

1 Mémoires de Puységur.

t. VI, p. 559-560.

Mémoires de Pontis; Collection Michaud, 2o série,

- Levassor, t. III, p. 453–434.

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