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Meilleraie. La prise d'Hesdin, qui mettait la Picardie occidentale à couvert et livrait une partie de l'Artois aux Français, parut un dédommagement plus que suffisant de la défaite de Thionville. L'armée française obtint ensuite quelques avantages, près de Saint-Omer, sur l'armée du cardinal-infant, sans qu'on en vînt à un choc décisif. L'incident le plus remarquable du reste de la campagne, du côté des Pays-Bas, fut la guerre ouverte qui, après de longs démêlés, éclata entre la ville de Liége, amie de la France, et le prince-évêque de cette ville, allié de l'empereur et de l'Espagne (septembre 1639). Hui était le quartier général du parti épiscopal, qui ne se soutenait que par l'assistance étrangère ( Mercure, t. XXIII, p. 334.). Cette guerre se termina, l'année suivante, par le rétablissement de la neutralité liégeoise.

L'attention du gouvernement français était, au moment de la guerre de Liége, principalement fixée sur les bords du Haut-Rhin, qui avaient été témoins de tant d'exploits l'année précédente, et qui le furent, cette année, de menées politiques non moins importantes. La prise de Brisach avait suscité quelques difficultés entre Richelieu et le duc de Weimar: Richelieu eût voulu avoir cette forte place, acquise par l'or, et, en partie, par le sang de la France; le duc Bernard, de son côté, réputait Brisach compris dans la cession du landgraviat d'Alsace, et avait des vues de haute ambition: il prétendait se faire une souveraineté avec l'Alsace et le Brisgau, aux dépens de cette maison d'Autriche qui avait jadis dépouillé ses aïeux, réunir ses forces à celles de la Hesse, en épousant la landgrave douairière Amélie, courageuse et intelligente princesse, qui avait à ses ordres d'excellentes troupes, et s'établir fortement en Thuringe, afin d'essayer

qui

de recouvrer les domaines de ses aïeux sur l'électeur de Saxe. Le gouvernement français n'était point opposé à la grandeur de Bernard, mais désirait ardemment conserver un pied en Alsace, et assurer les conquêtes du Rhin contre l'ennemi commun, en cas de mort du duc, n'avait pas d'enfant. On discuta sans se brouiller les intérêts étaient trop étroitement liés; Bernard ne se dessaisit point de Brisach. Bernard avait employé les premiers mois de l'année à refaire son armée aux dépens de la Franche-Comté, et à soumettre tout le massif du Jura, depuis Saint-Hippolyte jusqu'à Saint-Claude: il préparait des plans vastes et hardis. Les affaires se rétablissaient dans l'Allemagne du Nord, bien que le jeune prince palatin, mesquinement assisté par son oncle le roi d'Angleterre, eût échoué dans une expédition tentée en Westphalie: le grand général suédois Baner, aidé à propos par l'argent de la France, avait repris l'avantage sur le géné ral impérial Galas dans la Pomeranie, le Brandebourg et la Basse - Saxe : il venait d'obliger le duc de Lunebourg à rentrer dans l'alliance suédoise, de reporter la guerre dans la Saxe électorale, et de gagner sur les Impériaux et les Saxons la bataille de Chemnitz. Les Suédois reparaissaient dans la Bohême et la Thuringe. Bernard de Weimar projetait de rejoindre Baner au cœur de l'Allemagne, et de recommencer les grandes campagnes de GustaveAdolphe.

Weimar ne quitta pas les bords du Rhin. Le 15 juil let, il tomba malade à Huningue, probablement d'une de ces épidémies que multipliaient les souffrances physiques et morales des populations, dans ces provinces sans cesse ravagées par les armées. Il mourut au bout de trois

jours, à trente-six ans, dans la fleur de son âge et de ses espérances.

Cette brusque catastrophe, que les amis du feu duc imputèrent au poison et à l'Autriche, remit tout en question du côté de l'Allemagne, rendit le courage aux Impériaux, fit reperdre aux Suédois une grande partie du terrain gagné depuis un an. Qu'allaient devenir les conquêtes de Bernard, et cette armée weimarienne, faible en nombre, mais formidable par la valeur et la discipline, qui n'avait de patrie que son camp, de souverain que son général? C'était, comme on l'a dit, un petit empire à l'encan. Les acquéreurs ne manquèrent pas.

Bernard, cependant, avait réglé sa succession en mou→ rant. Il avait ordonné que le pays rangé sous son obéissance fût conservé à l'empire germanique par les mains de celui de ses frères qui en accepterait la propriété, avec l'alliance de la France et de la Suède. Si aucun de ses frères n'acceptait ce legs redoutable, il le transférait à la France, à condition que les garnisons des villes fussent mi-parties allemandes et françaises, et qu'à la paix géné– rale, tout fût restitué à l'empire germanique. Il laissait la conduite de l'armée au major-général d'Erlach, au comte de Nassau et aux colonels Oheim et Rosen, et léguait son cheval de bataille au brave commandant des troupes françaises associées aux Weimariens, à Guébriant.

Les dernières dispositions de Weimar en faveur de ses frères ne furent pas respectées et ne pouvaient guère l'être ces princes n'avaient ni l'audace ni le génie nécessaires pour porter le fardeau d'un tel héritage; ils avaient accepté la paix de Prague, et, l'eussent-ils rompue, la France ne pouvait se fier à eux. Ils parurent sentir

eux-même leur insuffisance, et le débat s'engagea audessus d'eux et sans eux. La Suède, la Bavière, le prince palatin, qui cherchait partout des vengeurs, les princes de Brunswick, eussent bien voulu enchérir; mais le débat ne fut, ou, du moins, ne parut sérieux qu'entre la France et l'Autriche. Au fond, les quatre généréraux weimariens et leurs compagnons d'armes ne feignirent d'écouter l'Autriche que pour se faire acheter à plus haut prix par la France. Le traité fut conclu le 9 octobre, par les soins du comte de Guébriant. Les quatre généraux, et, après eux, leurs subordonnés, jurèrent fidélité à la France envers et contre tous, moyennant 2 millions 100,000 livres par an, et la conservation des gouvernemen ́s et des donations que leur avait octroyés Weimar. Le testament du feu duc fut exécuté, dans ses dispositions immédiates, en tout ce qui ne concernait pas ses frères. Brisach, Benfeld et les autres villes d'Alsace occupées par les Weimariens, Freybourg, les villes forestières du Rhin et tout le Brisgau, arborèrent les étendards français. Le duc de Longueville fut accepté comme général en chef par les Weimariens, avec Guébriant pour lieutenant. Ainsi la mort de Weimar, comme celle de GustaveAdolphe, profita en définitive à la France, héritière du fruit des exploits qu'elle avait payés et partagés1.

On se hâta de reprendre les plans de Weimar, et de réparer le temps perdu. L'armée franco-allemande, après avoir muni les villes d'Alsace et de Brisgau, descendit la rive gauche du Rhin jusqu'aux environs de Coblentz, emportant sur son passage Landau, Germersheim, Kreutznach, Oppenheim, Bingen, Ober-Wesel. On était à la

1 Dumont, Corps diplomat., t. VI, p. 185. Hist. du maréchal de Guébriant, par Le Laboureur, 1. 11-III. Levassor, . V, p. 688-701.

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fin de décembre les généraux impériaux et bavarois, croyant que les Weimariens allaient passer le reste de l'hiver dans le Bas--Palatinat, s'éloignèrent pour prendre leurs quartiers. Guébriant, devenu l'âme de l'armée depuis la mort de Weimar, fit adopter par le duc de Longueville et par le conseil de guerre la résolution hardie de franchir le Rhin. Les ponts étaient rompus: on n'avait aucun moyen de les rétablir; point de pontons, point de bateaux on amusa, par quelques démonstrations, les détachements ennemis postés aux environs de Mayence; pendant ce temps, Guébriant passait le fleuve à Baccarach, avec une poignée de soldats, les hommes dans des barques, les chevaux à la nage (28 décembre). Une fois à l'autre bord, il sut bien protéger la traversée du reste de l'armée, qui, bien que peu nombreuse, mit huit jours et huit nuits à passer, car on n'avait que quelques misérables batelets. On ne put emmener de canon. Ce fut là le premier de ces passages du Rhin si fameux dans nos annales militaires (Levassor, t. V, p. 754).

Les Franco-Weimariens s'étendirent aussitôt dans la Vétéravie et dans la Hesse, obligèrent le landgrave de Darmstadt à capituler avec eux, ouvrirent leurs communications avec la vaillante landgrave de Cassel, qui venait de mettre sa pelite armée à la solde de la France, et s'apprêtèrent à rejoindre les Suédois, au printemps, dans l'Allemagne centrale. L'année 1639 finit bien dans le Nord.

Le Midi avait donné de grands soucis au gouvernement français durant cette campagne. La fausse position où l'on se trouvait en Piémont avait continué d'amener de fâcheux résultats. Le parti espagnol avait à sa

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