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tête, dans ce pays, deux princes courageux, habiles et populaires, le cardinal Maurice et le prince Thomas; le parti français soutenait une femme à la fois dévote et galante, pleine d'inconséquences et de contradictions, qui ne savait ni se défendre elle-même ni se laisser défendre par le roi son frère. La duchesse Christine s'était enfin résignée à disgracier et à emprisonner son confesseur, le jésuite Monod, qui la trahissait par haine contre Richelieu et contre la France; mais elle avait refusé de donner des quartiers d'hiver aux troupes françaises en Piémont. L'ennemi en profita pour envahir le Piémont avant la fin de l'hiver, tandis que les Français étaient encore en Dauphiné. Le général espagnol Lleganez s'avança, accompagné des deux princes de Savoie, Maurice et Thomas, et précédé par un décret de l'empereur, qui, en vertu des vieilles prétentions impériales à la suzeraineté de la Savoie, avait cassé le testament du feu duc Victor-Amédée, et attribué la régence au cardinal Maurice. Un tel acte aurait eu fort peu de valeur si les dispositions populaires eussent été favorables à Christine; mais bien des gens trouvèrent que Maurice était encore très-modéré de ne revendiquer que la régence, et de ne pas contester la légitimité du petit duc Charles-Emmanuel II, son neveu. Beaucoup de villes piémontaises se révoltèrent en faveur de Maurice et de Thomas; quelques autres furent prises par les Espagnols. Le cardinal de La Valette, avec le peu de troupes dont il disposait, avait grand' peine à préserver et à contenir Turin. Christine envoya son fils delà des monts, à Chambéri, et implora à grands cris le secours de la France. Richelieu la pressa de remettre en dépôt au roi, comme une indispensable garantie, les places des Alpes voisines de Pignerol

et celles qui servent de stations entre Pignerol et Casal: il la conjura aussi, dans l'intérêt de son fils, de recevoir des garnisons françaises à Turin et à Nice. Après bien des hésitations, la duchesse remit seulement aux Français Carmagnola, Savigliano et Chierasco (1er juin). Le duc de Longueville arriva, sur ces entrefaites, avec le corps d'armée de Franche-Comté, et les Français se retrouvè→ rent assez forts pour tenir la campagne; mais, tandis qu'ils recouvraient quelques petites places dans le voisinage des Alpes, la ville de Turin se livrait, dans la nuit du 26 au 27 juillet, au prince Thomas et à Lleganez. La duchesse n'eut que le temps de se réfugier dans la citadelle, et d'y appeler les généraux français, qui sauvèrent la citadelle, mais ne purent reprendre la ville. Christine se retira au château de Suze. Le sénat ou cour suprême de Turin la déclara déchue de la régence.

Les deux partis s'arrêtèrent, comme pour reprendre haleine une trêve de deux mois et dix jours fut signée, le 14 août, par l'intermédiaire du nonce du pape. Les Français souhaitaient d'avoir le temps de se reconnaitre : les princes de Savoie et le gouverneur de Milan commençaient à compromettre, en se divisant, une entreprise si heureusement commencée, et se disputaient la oitadelle de Turin avant de l'avoir prise; Maurice et Thomas étaient peu disposés à servir d'instruments passifs à l'Espagne. L'importante ville maritime de Nice leur fut encore livrée par trahison durant la trêve et en violation de la trêve; mais ce fut là le terme de leurs succès.

La duchesse Christine était allée à Grenoble conférer avec le roi et le cardinal on lui demanda son fils pour l'élever à Paris, et toutes les places qui lui restaient, pour

mieux assurer la recouvrance de toutes celles qu'elle avait perdues. C'était dur; mais la perte de Turin et de Nice était un terrible argument. Elle refusa de livrer son fils, assurée qu'on ne tiendrait plus aucun compte d'elle dès qu'on serait maître du jeune duc : elle garda son fils dans le fort château de Montmélian; tout le reste de la Savoie, et les six ou sept forteresses que la duchesse tenait encore en Piémont, furent livrés aux Français. Le duc de Longueville venait d'être appelé sur le Rhin : le cardinal de La Valette était mort le 28 septembre, à Rivoli, d'une maladie aggravée par le chagrin de ses revers militaires et des disgrâces politiques de sa famille, disgrâces dans lesquelles il n'avait point été enveloppé, mais contre lesquelles il n'avait pu protéger ni son père ni son frère. Richelieu, qui exprima un vif regret de sa perte, le remplaça par le comte d'Harcourt, qui avait commandé la flotte de la Méditerranée cette année, sans grand résultat. Richelieu s'était attaché plus étroitement ce prince lorrain, en le mariant à une de ses cousines, veuve du malheureux Puy-Laurens le cardinal avait deviné chez Harcourt un génie guerrier, qui ne tarda point à se révéler avec un éclat extraordinaire.

Le nouveau général, secondé par des maréchaux de camp tels que Turenne, du Plessis-Praslin et la MotteHoudancourt, débuta par refuser de prolonger la trêve, et par ravitailler Casal et la citadelle de Turin. Serré, avec huit ou neuf mille hommes, entre Lleganez et le prince Thomas, qui en avaient dix-huit mille à eux deux, et qui tâchaient de l'affamer dans son camp de Chieri, il passa sur le ventre à Thomas, repoussa vigoureusement Lleganez (20 novembre), et gagna Carignan, où il s'établit dans de meilleurs quartiers d'hiver. Le brillant

combat de la Rotta finit la campagne avec gloire en Piémont, et donna de favorables augures pour l'an prochain1.

L'attaque contre le territoire espagnol avait été renouvelée, cette année, non plus du côté des provinces basques, mais à l'autre extrémité de la chaîne des Pyrénées. Condé, malgré son déplorable échec de Fontarabie, avait obtenu la continuation de son commandement dans la Guyenne et le Languedoc. Il fallait de bien graves motifs politiques pour que Richelieu se résignât ainsi à compromettre le succès des opérations militaires, en les confiant à ce malhabile et malheureux capitaine : le cardinal jugeait nécessaire d'enchaîner à tout prix la maison de Condé à sa fortune, pour avoir des princes du sang à opposer au duc d'Orléans et au comte de Soissons, dans l'éventualité d'une régence; parrain du second fils de Condé, il s'apprêtait à marier une de ses nièces, une fille du maréchal de Brezé, à Louis de Bourbon, duc d'Enghien, fils aîné de ce prince. Et peut-être l'honneur d'allier la maison de Richelieu à la maison de Bourbon n'était-il pas ce qui le préoccupait le plus dans cette alliance; peut-être déjà son regard d'aigle avait-il deviné, chez ce jeune duc d'Enghien, qui devait être un jour le grand Condé, le héros dont le bras pouvait consommer la réalisation de sa pensée, et ne subissait-il le père qu'afin de s'assurer du fils.

La présence du brave maréchal de Schomberg auprès de Condé rassurait sans doute un peu Richelieu; mais le prince et le maréchal furent bientôt fort mal ensemble.

1 Succincte Narration, à la suite des Mém. de Richelieu, 2o sér., t. IX, p. 347-348. — Griffet, t. III, p. 249 et suivantes.

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- Mém. du maréchal du Plessis, 3o sér., t. VII,

p. 364.

Ils étaient entrés en Roussillon dans le courant de juin, avec une quinzaine de mille hommes, et avaient pris Aupoulx et attaqué Salces, petite, mais assez forte place, qui était la clef du Roussillon Salces se rendit le 19 juillet; Condé prit ensuite et rasa quelques châteaux. Une armée espagnole se rassemblait, cependant, à Perpignan la Catalogne se levait pour reprendre Salces, comme le Languedoc s'était levé naguère pour défendre Leucate; douze mille hommes soldés par les trois états de Catalogne joignirent l'armée du marquis de Los Balbases, qui, forte de vingt mille combattants, vint à son tour assiéger Salces (20 septembre). Schomberg resta posté à l'entrée du Roussillon, afin de troubler les opérations du siége, pendant que Condé allait appeler aux armes la noblesse et les milices du Languedoc, de Guyenne et d'Auvergne. Le 24 octobre, le prince et le maréchal, descendant par les sentiers escarpés des montagnes, parurent, à la tête de plus de vingt-cinq mille hommes, en vue du camp ennemi, et y jetèrent l'effroi. Si l'on eût attaqué sur-le-champ, on eût vu probablement une nouvelle journée de Leucate. Schomberg voulait qu'on donnât le signal: Condé voulut attendre au lendemain. Dans la nuit, éclata un de ces terribles orages du Roussillon, qui changent les moindres ruisseaux des montagnes en effroyables torrents et les vallées en lacs. Tous les bagages furent noyés. L'armée française se débanda complétement. Les Espagnols, quoique très-maltraités eux-mêmes par la tempête, gardèrent leurs positions et se hâtèrent d'achever leurs travaux. Lorsque Condé, au bout de trois semaines, revint avec quinze ou seize mille hommes rassemblés à grand'peine, il trouva l'ennemi fortement retranché derrière des lignes qu'on essaya en vain de forcer : les assail

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