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veaux furent restaurés, et l'arriéré, exigé. La Normandie resta plus d'un an comprimée sous ce régime d'exception; ce fut seulement en 1641 que le parlement de Rouen fut rétabli, mais partagé en deux sections semestrielles, et que les villes recouvrèrent leurs franchises 1.

La prompte soumission de la Normandie fit évanouir l'espoir que les ennemis de la France avaient fondé sur cette grande province. Pendant la crise, Richelieu, inquiet, avait fait quelques secrètes ouvertures de paix à Olivarez. Le ministre espagnol ne sut pas saisir le moment, et lorsqu'il envoya, à son tour, à Richelieu, au commencement de 1640, un agent porteur de propositions que le cardinal n'eût point acceptées, même vaincu, il fut repoussé avec dédain. Le gouvernement français était bien plus fort, et le tempérament du pays pouvait supporter de bien plus rudes épreuves qu'on ne le croyait au dehors; la France avait des ressources inconnues des autres et d'elle-même, et, malgré des misères trop réelles, elle se soutint, elle resta une et debout, tandis que l'Espagne chancelait épuisée et se déchirait de ses propres mains, tandis que l'Angleterre se débattait en proie au génie des révolutions. Il devait suffire d'un cri de victoire pour faire oublier à la France tous ses maux, et les jours de victoire étaient proches. Le Dieu des combats allait enfin couronner l'inflexible persévérance de Richelieu.

De gigantesques efforts étaient encore nécessaires pour alteindre ce but, vers lequel on avait fait des progrès

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1 Floquet, t. IV, p. 584-637. V, p. 1-103. Le récit de M. Floquet est très-intéressant et plein de renseignements précieux; mais il faut se tenir en garde contre les préventions de l'auteur, qui épouse un peu trop les passions provinciales, ne tient aucun compte des terribles nécessités qui pressaient le pouvoir central, et impute à Richelieu des maux qui résultaient surtout de la mauvaise organisation de la société. - Mém. de Montglat, p. 87.

si lents, durant cinq années de terribles incertitudes. La guerre avait coûté 60 millions par an depuis 1655: on en dépensa 70 en 1640, et l'on ouvrit la campagne avec plus de cent régiments d'infanterie et de quatre cents cornettes de cavalerie, faisant environ cent cinquante mille fantassins et trente mille cavaliers. On n'en devait pas même rester là : l'impôt grandit encore démesurément l'année suivante, et, de 80 millions environ où il était en 1639, s'éleva, en 1641, jusqu'à 118. Sous Henri IV et Sulli, il n'avait pas dépassé 45! Sans doute les ressources du pays s'étaient augmentées, et l'on doit aussi tenir compte du changement opéré dans la valeur respective du marc et de la livre: on taillait maintenant, dans le marc d'argent, non plus 20 livres, comme sous Henri IV, mais 25 (en 1636), puis 26 livres 10 sous (en 1640). L'accroissement des charges publiques demeurait toutefois effrayant, ces réserves faites1!

Un des principaux expédients auxquels on eut recours, fut le rétablissement de cette pancarte ou droit du sou pour livre sur toutes les marchandises vendues, qui avait fait tant de bruit sous Henri IV. On le nomma la subvention du vingtième. Plusieurs provinces et beaucoup de villes se rachetèrent, par des voies d'entrée ou de sortie, ou par abonnement, de cet impôt fertile en vexations.

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1 Succincte Narration, etc., à la suite des Mém, de Richelieu, dans la collect. Michaud, 2e série, t. IX, p. 343–348. - Testament Politique, p. 343. - Levassor, t. Vf, p. 21. Mém. sur l'état des finances, depuis 1616 jusqu'en 1644; ap. Archives curieuses, t. VI, p. 60. Forbonnais, t I, p. 229-254. En 1640, à la suite de diverses opérations fort mal entendues sur les monnaies, on sortit de la confusion qui réguait dans cette matière, en décriant les espèces d'or trop légères et en les refondant en louis d'or au même titre que les pistoles d'Espagne, qui valaient alors 40 livres ●urnois. La fabrication au moulin fut adoptée par l'influence du chancelier Séguier. - Les premiers écus d'argent furent frappés en 1641. On n'avait connu jusqu'alors que les écus d'or.

Tous les anoblissements accordés depuis trente ans furent révoqués; toutes les exemptions de tailles furent révoquées pour le temps que durerait la guerre; les officiers des cours souveraines et les secrétaires du roi furent seuls exceptés, avec les privilégiés qui avaient servi trois ans à la guerre ou y servaient présentement. Les gentilshommes qui étaient aux armées avaient récemment obtenu de ne pouvoir être poursuivis pour dettes durant un an. Le département des tailles entre les élections et les paroisses fut ôté aux trésoriers de France et aux élus, et attribué exclusivement aux intendants-commissaires du roi. On y trouva d'abord une grande économie; mais, après Richelieu, ee fut une nouvelle source d'abus, et les tailles furent mises en parti comme les aides et les gabelles1.

Les questions d'impôt furent l'occasion de débats trèsvifs entre le gouvernement et le clergé, débats qui offrirent des incidents d'un haut intérêt, et qui se compliquerent d'une lutte assez sérieuse entre. Richelieu et la cour de Rome. Le cardinal voulait bien introduire les gens d'Eglise dans l'administration, dans la diplomatie, dans l'armée, partout; mais c'était à condition que le clergé fût dans l'Etat, fût à l'État, et contribuât, dans une propor→ tion équitable, aux charges publiques.. Il s'efforçait, et de dominer l'épiscopat, et de nationaliser le clergé régulier, trop habitué à chercher ses inspirations chez l'étranger. Il tâchait de concentrer dans ses mains la direction des principaux ordres; depuis longtemps abbé général de Cluni

1 Forbonnais, t. I, p. 235–256. Isambert, t. XVI, p. 527-528. -On ne perdait pas entièrement de vue les améliorations intérieures parmi tant d'embarras. L'achèvement du canal de Briare, cette importante création de Sulli, fut confiée à une compagnie par une ordonnance de 1639; Isambert, XVI, 488. En 1632 avait été publié un règlement pour rendre navigables les rivières d'Ourcq, de Vesle, d'Eure et d'Etampes. Isambert, XVI, p. 369.

et de Marmoutier, il s'était fait élire, vers 1635, abbé général de Citeaux et de Prémontré. Le saint-siége, effrayé de cette tendance envahissante, refusa les bulles pour Citeaux et Prémontré, empêcha l'union de Cluni à la réforme de Saint-Maur, projetée par Richelieu, et entreprit d'enlever sourdement au cardinal l'influence qu'il exerçait sur l'ordre remuant des capucins, transformé par le père Joseph en une pépinière d'agents diplomatiques dévoués à la France, Le pape avait toujours, sous divers prétextes, refusé le chapeau rouge à Joseph, et, après la mort de Joseph, le refusa de même à Mazarin, que recommandait la cour de France. Dès les premiers mois de 1638, l'aigreur était extrême de part et d'autre. Le vieil Urbain VIII étant tombé malade, les politiques de la cour et même plusieurs évêques commencèrent à dire librement que, si le conclave élisait un pape ennemi de la France, on lui lèverait l'obedience, et qu'on ferait un PATRIARCHE ! « Tout le monde, » écrivait Grotius dans une lettre du 5 juin 1638, « donne déjà une si belle dignité au premier ministre. »

On ne saurait douter que Richelieu n'ait été souvent frappé des complications et des embarras énormes que les rapports avec Rome suscitaient journellement dans les pays catholiques, avant l'affranchissement de la législation civile, et de l'incompatibilité de ces rapports avec l'indépendance et l'unité nationales. La pensée de se faire chef d'u̟ne Eglise nationale qui ne reconnaîtrait plus au pape qu'une préséance honorifique, et à laquelle on rallierait les protestants par des concessions faites aux dépens de Rome,

Bayle ( art. AMYRAUT) raconte que Richelieu fit faire au célèbre ministre Amyraut des ouvertures d'accommodement sur le fait de la religion. On eût sacrifié au bien de la paix l'invocation des saints, le purgatoire et le mérite des œuvres ; on eût créé un patriarche, si Rome eût refusé de transiger sur les limites de son pouvoir.

traversa certainement plus d'une fois son esprit; mais, homme pratique avant tout, il sentit les prodigieuses difficultés et les dangers d'une rupture avec le saint-siége. Quand les passions religieuses ne poussent point à une telle révolution, elles tournent nécessairement contre, et ce n'était pas au milieu de la grande lutte politique où Richelieu était engagé, qu'il pouvait, sans témérité, provoquer une lutte religieuse. Il ne s'arrêta donc pas à l'idée d'une séparation : il eût bien voulu arriver au même but par un chemin moins direct, en se faisant nommer légat perpétuel du saint-siége, comme l'avait été jadis le cardinal d'Amboise, et en tachant de transformer cette léga

La transaction échoua sur la question de l'eucharistie. L'anecdote de Bayle est évidemment fort risquée ; mais il y eut certainement quelques tentatives. Le plus eurieux de l'affaire, c'est que le porteur des propositions de Richelieu, suivant Bayle ̧ était un jésuite. Voyez aussi Grotii Epist. 82, et Ruar. Epist. p. 402. Le biographe de Richelieu, Auberi, prétend que le cardinal espérait gagner les ministres dans un colloque général, et les amener à rentrer dans le sein de l'Eglise, après quoi l'on enjoindrait aux particuliers qui ne suivraient pas cet exemple d'aller à la messe ou de quitter la France. Richelieu, qui, tant de fois, avait formellement condamné l'emploi de la force en matière de religion, se serait donc cru en droit, non-seulement d'interdire le culte public, mais de bannir les réformés ou de contraindre leurs consciences, parce que les chefs de la Réforme auraient cédé, comme si le droit d'un seul n'était pas aussi respectable que celui de cent mille! Le témoignage d'Aubéri est très-contestable; mais en doit avouer que Richelieu et la plupart des adversaires du système de persécution condamnaient les violences et les guerres religieuses bien plus au point de vue du patriotisme et du bien public que du droit de la conscience individuelle. La notion de l'inviolable liberté humaine était bien faible encore, comme on ne le vit que trop sous le règne suivant.

On ne peut nier non plus qu'on n'ait travaillé, sous Richelieu, aux conversions, par des moyens humains, très-matériels et peu honorables, par des dons, des pensions aux ministres. Dès le temps de Luines, Louis XIII avait fait un fonds pour les conversions. Richelieu continua. Le mélange des choses ecclésiastiques et des affaires d'Etat, sous un gouvernement de prêtres diplomates et soldats, avait souvent des conséquences très-contraires à la vraie morale religieuse. On se souciait moins de la réunion des âmes que de la réunion extérieure et politique.

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