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niers efforts pour le secourir. Le fort de la Pérouse, situé au-dessus de Pignerol, sur la route de Dauphiné, s'était rendu, le 23 mars, à un détachement français: on prit les châteaux de La Luzerne et de Bagnols: on fortifia Briqueras; on ne se contenta pas d'occuper les hautes vallées vaudoises de La Luzerne, d'Angrogne, de SaintMartin, de Pragela, de La Pérouse; on gagna ces montagnards protestants « par des douceurs qui les convièrent à se mettre volontairement sous l'obéissance du roi, on les arma au nom de la France'. Ainsi furent réparées les fautes des derniers Valois : les principaux débouchés des Alpes dauphinoises dans le Piémont étaient au pouvoir de Richelieu, et la France tenait de nouveau les clefs de l'Italie.

La prise de Pignerol fut comme un coup de tonnerre, qui atterra Charles-Emmanuel et dissipa toutes ses illusions. Désormais la France avait, chez lui et malgré lui, une base d'opérations inébranlable. Les généraux de l'empereur et du roi d'Espagne se hâtèrent de proposer la paix, sérieusement cette fois, afin qu'on rendît Pignerol. Le légat et le nonce s'entremirent derechef. Richelieu en référa au roi, mais de façon à le décider à pousser ses avantages, et travailla, provisoirement, à se fortifier dans ses conquêtes.

Le roi avait quitté Fontainebleau dans la seconde quinzaine de février, et séjourné quelques semaines à Troies, pour observer les mouvements des Impériaux en deçà du Rhin. Son frère, qui ne l'avait pas revu depuis l'escapade de Lorraine, vint le trouver à Troies (18 avril).

1 Lettre de Richelieu à l'archevêque de Bordeaux; ap. Manuscrits LetellierLouvois, vol. cot. 9334/2. Mémoires de Richelieu, ap. Collection Michaud, 20 série, t. VIII, p. 13 8-180. - Mémoires de La Force, t. III, p. 346–547.

Louis accueillit très-bien Gaston, et, d'après le conseil du cardinal, le nomma son lieutenant général représentant sa personne dans l'armée de Champagne, ainsi qu'à Paris et dans les provinces du nord. On espérait satisfaire ainsi l'amour-propre du jeune prince, qui se plaignait toujours d'être écarté des affaires publiques, et l'intéresser à se bien conduire. Le chef réel de l'armée de Champagne était Louis de Marillac, frère du garde des sceaux, qui avait été nommé maréchal en 1629 par la protection de la reine-mère.

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Le roi, accompagné des deux reines et de toute la cour, se dirigea ensuite par la Bourgogne sur Lyon, 'après avoir annoncé publiquement qu'il allait se mettre à la tête de l'armée de réserve formée en Bresse et conquérir la Savoie. Il s'arrêta en passant à Dijon, afin de pourvoir aux suites des troubles qui avaient eu lieu récemment dans cette ville. Le gouvernement poursuivait l'établissement général des élus dans les pays d'États: après le Languedoc, c'était le tour de la Bourgogne. Les États Provinciaux avaient offert 4,800,000 livres à Louis XIII, pour qu'on dispensât la Bourgogne de recevoir les élus. Le conseil du roi avait refusé, en l'absence de Richelieu, qui blâme ce refus dans ses Mémoires, parce que les abus qu'il avait reprochés aux États de Languedoc n'existaient pas en Bourgogne, et qu'il ne s'y levait aucuns deniers sans l'ordre du roi. Le rejet de l'offre des États Provinciaux excita une violente agitation dans le pays : le bruit courut que la création des bureaux d'élection n'était que le prélude de l'établissement des aides ou impôts sur les boissons, dont la Bourgogne était exempte. Les 28 février et 1er mars, les vignerons de Dijon et des alentours se soulevèrent, en chantant une espèce de vaudeville dont le

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refrain était : Lanturlu ! ils saccagèrent et incendièrent les maisons du premier président du parlement et de plusieurs autres officiers royaux; l'effigie du roi fut brûlée publiquement, et il y eut, dit-on, des cris de: Vive l'empereur! vive Espagne ! Les bourgeois, qui avaient d'abord laissé faire, s'armèrent enfin, réprimèrent l'émeute, et quelques-uns des séditieux furent exécutés à mort. Le roi ne se contenta pas de cette réparation un peu tardive il obligea le corps municipal à lui venir demander pardon, chassa les vignerons de la ville, leur interdit de s'établir dorénavant ailleurs que dans les faubourgs et dans les villages, abolit l'élection directe des magistrats par le peuple, telle qu'elle se pratiquait de temps immémorial, et y substitua un mode d'élection à plusieurs degrés, qui devait fixer les fonctions municipales dans quelques familles et leur ôter tout caractère démocratique '.

Louis XIII laissa les reines à Lyon, et alla conférer à Grenoble avec Richelieu, qui, voyant Spinola retourné contre Casal et Colalto contre Mantoue, avait confié l'armée aux maréchaux de La Force et de Schomberg (10 mai). Le roi et le cardinal tombèrent d'accord sur le peu d'honneur et de sûreté qu'offraient les conditions de paix proposée par les ennemis, relativement à Mantoue, à Casal, aux Grisons et à la Valteline, et Louis comprit de quelle importance il était de conserver Pignerol, si follement abandonné jadis par Henri III, si heureusement recouvré par Richelieu.

i Pendant ce temps, par compensation, on criait à Milan : Vive la France! en assaillant à coups de pierres la voiture du gouverneur. Mémoires de Richelieu, 2e série, t. VIII, p. 3. - Archives Curieuses, 20 série, t. V, 8.

2 Mercure françois, t. XVI, an. 1650, p. 148-168. Revue Rétrospective, t. II, p. 454; 1834. — Mémoires de Richelieu, 2o série, t. VII, p. 449-201.

La reine-mère et ses créatures harcelaient le roi pour qu'il épargnât le duc de Savoie. Louis, qui souhaitait la paix autour de lui, tâcha de faire entendre raison à sa mère, et lui envoya le cardinal à Lyon pour lui représenter plus amplement l'état des choses. Marie fut obligée de convenir, à contre-cœur, qu'on ne pouvait se dispenser de continuer la guerre.

Dès le 12 mai, vingt mille combattants, dont six mille Suisses, entrèrent de Bresse en Savoie : ils étaient conduits par les maréchaux de Créqui, de Bassompierre et de Châtillon. Chambéri, assailli le 14, capitula le surlendemain : le roi y entra le 18; la Savoie, comme toujours, reçut les Français à peu près sans résistance. Thomas de Savoie, prince de Carignan, un des fils de Charles-Emmanuel, essaya de se maintenir, avec dix ou onze mille soldats, à l'entrée de la Tarentaise; mais bientôt, menacé d'être tourné par les Français, il repassa précipitamment le petit Saint-Bernard: dès les premiers jours de juin, toute la Savoie fut soumise, à l'exception du fort château de Montmélian, qu'on bloqua.

Ces rapides succès redoublèrent la mauvaise humeur de la reine-mère, que le garde-des-sceaux Marillac entretenait dans sa sourde rancune contre Richelieu. Le roi et le cardinal tenaient fort à prévenir tout nouveau trouble, tout éclat dans la maison royale : 'Louis pria sa mère de s'avancer jusqu'à Grenoble, afin qu'il pût prendre ses avis. Marie s'en excusa. Le roi et le cardinal crurent devoir aller la trouver à Lyon. La reine-mère et son confident Marillac firent tout ce qu'ils purent pour empêcher le roi de retourner à l'armée, sous prétexte des maladies contagieuses qui régnaient. Richelieu l'emporta, au moins à demi. Louis repartit de Lyon pour Grenoble et Saint-Jean de Mau

rienne, dans l'intention, sinon de descendre en Italie, au moins de faire croire aux ennemis et à ses propres soldats qu'il y descendrait. Les Espagnols et les Impériaux, encouragés par la connaissance qu'ils avaient des intrigues de la cour de France, pressaient vivement Casal et Mantoue les Vénitiens s'étaient chargés de la défense de Mantoue avec quelques renforts français; il fallait secourir Casal, où Toiras et sa brave garnison commençaient d'avoir grand besoin d'assistance. Une dizaine de mille hommes, commandés par le duc de Montmorenci et par le marquis d'Effiat, surintendant des finances et grand-maître de l'artillerie, descendirent de Savoie en Piémont par le mont Cenis, le 6 juillet, afin de rejoindre l'armée, demeurée à Pignerol, sous les ordres du maréchal de La Force, et bien réduite par l'épidémie et la désertion. Le duc de Savoie, campé à Vegliana avec quinze ou dix-huit mille Italiens, Espagnols et Allemands, voulut empêcher cette jonction : le passage fut forcé dans un brillant combat, où le duc de Montmorenci répara quelques imprudences par des prodiges de valeur dignes des héros de la chevalerie, et où le marquis d'Effiat se montra aussi brave capitaine qu'il était habile administrateur. Le fameux régiment allemand de Galas, qui avait décidé la défaite du roi de Danemark à Lutter, et qu'on appelait l'Invincible, fut mis en pleine déroute par Montmorenci à la tète de quelques gens-d'armes et d'un détachement des gardes-françaises (10 juillet).

Le prix de la victoire de Vegliana fut la conquête du marquisat de Saluces, qui acheva de donner à la France tout le revers des Hautes-Alpes. La joie qu'inspirait la recouvrance de cette vieille possession française fut bientôt troublée par une funeste nouvelle. La lâcheté des

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