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rent suspendues, et une assemblée générale fut convoquée à Mantes pour le commencement de 1641. Les archevêques de Sens et de Toulouse, tous deux hostiles au gouvernement, furent élus présidents. Le gouvernement demanda 6 millions 600,000 livres, tout compris. Les débats furent très-longs et très-orageux. La majorité, opposante, mais timide, n'osait suivre l'impulsion des violents ennemis du ministre la minorité, dévouée à Richelieu, se montrait singulièrement provocante et hardie. « Doutez-vous, » s'écria un jour l'évêque d'Autun, que tous les biens de « l'Église ne soient au roi, et que, laissant aux ecclésiastiques de quoi pourvoir à leur nourriture et entretene«ment, S. M. ne puisse prendre tout le surplus? »

«

Qu'on substitue l'Etat au roi, et, pour les hommes du dix-septième siècle, ces deux mots étaient identiques, on sé croira, non point en 4641, mais en 1789!

D'autres évêques appelaient Richelieu le chef de l'Eglise gallicane. Montchal prétend, dans ses mémoires, que, si Richelieu avait eu la majorîté, il sé serait fait déclarer patriarche par l'Assemblée. Quoi qu'il en füt, on ne débattit

que

la question d'argent. Le gouvernement se réduisit à 5 millions et demi, que la majorité accorda enfin (27 mai). Les deux archevêques-présidents et plusieurs évêques protestèrent, et furent expulsés de l'assemblée par ordre du roi comme factieux et perturbateurs. Une bulle papale, qui renouvela les censures fulminéee par les papes et les conciles contre les envahisseurs des biens de l'Église, n'apaisa ni n'effraya Richelieu (5 juin). Rome n'osa le pousser à bout. Le consentement de la majorité à l'impôt avait sauvé la forme, et le saint-père ne crut pas devoir continuer les hostilités : il y eut une sorte de replâtrage pour l'affaire du maréchal d'Estrées, et les rapports officiels se rétablirent

entre les deux cours. Le chapeau de cardinal, donné à Mazarin, fut le gage d'une apparente réconciliation1.

Ces débats, dans un autre temps, eussent fortement remué l'opinion publique; mais la grandeur des événements politiques et militaires était telle qu'il restait à peine quelque attention au peuple pour les mouvements du clergé. Le fracas des batailles et des révolutions couvrait la voix des pamphlétaires et des orateurs ecclésiastiques. Contrairement à l'attente générale, ce fút la guerre d'Allemagne, qui, en 1640, présenta le moins d'intérêt et de résultats. Le passage du Rhin par la petite armée francoweimarienne avait décidé la landgrave de Hesse-Cassel et les ducs de Brunswick et de Lunebourg à reprendre les armes contre l'empereur. Les Franco-Weimariens, les Hessois et les Brunswickois opérèrent leur jonction avec les Suédois à Erfurth, au commencement de mai. Les Impériaux et les Bavarois se réunirent, de leur côté, sous les ordres de Piccolomini, rappelé des Pays-Bas par l'empereur. Le feld-maréchal impérial manoeuvra si habilement, qu'il empêcha les confédérés de s'étendre dans les états de l'empereur et de ses alliés, et les resserra dans la Westphalie et la Basse-Saxe, sans se laisser amener à une bataille générale, vivement souhaitée par ses adversaires. Guébriant, qui était le véritable chef des Français, sous le nom du duc de Longueville, toujours malade, continua de déployer des talents supérieurs, et comme militaire et

1 Mém. de Montchal, t. I, II; Rotterdam ; 1728. Ces Mémoires, quoique dictés par le plus violent esprit de parti, sont d'une grande importance. Mercure françois, t. XXIII, p. 367–403. — Méin. d'Omer Talon, p. 62-67-73. - Mém. de Richelieu, 26 sér., t. IX, p. 293. - Levassor, t. V, p. 650-738. - E. Dupin; Hist. ecclésiastiq. du dix-septième siècle, t. I, p. 626. Hist. de la publication des livres de P. Dupui, sur les libertés gallicanes, par G. Demante, ap. Biblioth. de l'Ecole des Chartes, t. V, p. 585 et suiv.

comme diplomate; mais le feld-maréchal suédois Baner, génie violent, inégal et passionné, ne se soutint pas au niveau de lui-même. Vers l'automne, les Franco-Weimariens se cantonnèrent dans la Hesse, et les Suédois, sur le Weser, avec promesse de se rejoindre sous peu.

Tandis qu'en Allemagne, la lutte demeurait incertaine, presque partout ailleurs, la Providence semblait enfin arrêter son choix entre les deux ministres-rois, ou plutôt entre les deux systèmes qui se disputaient l'Europe.

En Italie, les succès des armes françaises dépassèrent toutes les espérances suggérées par ce beau combat de La Rotta, qui, à la fin de l'année précédente, avait arrêté les progrès des Espagnols et des princes savoyards.

Au commencement d'avril, le gouverneur de Milan, Lleganez, avait entrepris le siége de Casal, comptant sur les intrigues qu'entretenait dans cette ville la princesse régente de Mantoue, qui, sans oser se déclarer ouvertement contre les Français, leur nuisait de tout son pouvoir. L'attaque de Casal excita beaucoup d'agitation dans les états italiens. On compr, à Rome et à Venise, quelle prépondérance tyrannique la prise de Casal donnerait à l'Espagne dans la Péninsule; le pape et la république, malgré les griefs d'Urbain VIII contre Richelieu, contractèrent ensemble une alliance défensive, levèrent des troupes, et protestèrent, au nom du jeune duc de Mantoue, contre l'invasion du Montferrat par les Espagnols.

Avant que Rome et Venise eussent pu joindre les effets aux paroles, le sort de Casal fut décidé. Les intrigues de la princesse de Mantoue échouèrent les habitants de Casal, affectionnés aux Français, secondèrent chaleureusement la résistance de la garnison. Lleganez persista dans son entreprise : il avait au moins dix-huit mille soldats devant

Casal; il savait que la garnison ne dépassait pas quinze cents hommes, et que l'armée française de Piémont, qui n'avait point encore reçu de renforts d'outre les Alpes, ne pouvait guère mettre en campagne plus de dix mille combattants. Il ne crut pas que le comte d'Harcourt osât tenter le secours de Casal avec des forces si inférieures. Il se trompa. Le 28 avril, la petite armée française parut en vue des lignes espagnoles : elle ne comptait que sept mille fantassins et trois mille chevaux; mais elle avait à sa tête quatre chefs dont le moindre était digne de rivaliser avec les plus illustres capitaines des guerres d'Allemagne; c'étaient Harcourt, Turenne, du Plessis-Praslin et la MotteHoudancourt.

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Lleganez, infatué de sa supériorité numérique, voulut défendre à la fois tous les points d'une circonvallation vaste et faible cette faute le perdit. Le 29, au point du jour, les Français, formés en colonnes, chargèrent avec une irrésistible furie, et forcèrent les lignes sur deux ou trois points l'ennemi ne put jamais se rallier, et la déroute fut complète; six mille des assiégeants furent tués, pris ou noyés dans le Pô. Lleganez, désespéré, s'enfuit à Brémo, abandonnant canons, tentes et bagage.

Le général vainqueur poursuivit le cours de ces héroïques témérités qui lui réussissaient si bien. Il retourna brusquement contre Turin, et investit, avec une dizaine de mille hommes, cette grande ville toute hostile aux Français et défendue par plus de six mille soldats que commandait le prince Thomas (9 mai). L'occupation de la citadelle par une garnison française, qui s'y était maintenue depuis l'année précédente, rendait le succès possible; mais Harcourt se trouva bientôt dans une position étrange et périlleuse. Lleganez, brûlant de réparer sa

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défaite, avait réuni aux débris de son armée tout ce qui restait de forces à l'Espagne dans le Milanais : il vint, avec environ quinze mille homines s'établir en arrière des Français, et coupa les chemins de Pignerol et de Suze, d'où Harcourt tirait ses convois (commencement de juin). Ainsi la ville assiégeait la citadelle; Harcourt assiégeait la ville, et Lleganez assiégeait Harcourt. La disette sévit bientôt dans le camp français, que harcelaient des sorties meurtrières, et les généraux commençaient à craindre d'être réduits à lever le siége, quand la nouvelle de l'approche d'un renfort considérable, arrivé d'au-delà des monts, décida chefs et soldats à patienter.

Pendant ce temps, les deux généraux ennemis étaient assez mal d'accord. Lleganez voulait continuer d'affamer les Français; le prince Thomas prétendait les chasser de vive force. L'annonce du secours attendu par les Français obligea Lleganez à céder. Le 11 juillet, le camp d'Harcourt fut attaqué par l'armée espagnole, divisée en deux corps, et par la garnison de Turin. Les Français s'étaient réunis dans leurs deux principaux quartiers : le comte d'Harcourt et du Plessis-Praslin repoussèrent l'attaque dirigée par Lleganez en personne; mais le quartier de La Motte-Houdancourt fut forcé par don Carlos de La Gaita, lieutenant de Lleganez. Si La Gatta eût poussé La Motte et fût venu prendre en flanc Harcourt et du Plessis, l'armée française eût été en grand péril: par bonheur, il ne songea qu'à entrer dans Turin et à joindre le prince Thomas. Thomas et La Gatta ressortirent ensemble de la ville; mais déjà La Motte avait rallié ses gens et détruit l'arrière-garde de La Gatta, restée hors des murs. Harcourt, La Motte et du Plessis repoussèrent de nouveau Lleganez et rejetèrent Thomas et La Gatta dans la ville. La

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