Images de page
PDF
ePub

nuit vint. Le lendemain, Turenne amena de Pignerol au camp six mille fantassins et douze cents chevaux arrivés de France.

Les rôles étaient changés Lleganez fut contraint d'abandonner ses positions; la disette passa du camp français dans la ville; La Gatta essaya en vain de sortir de Turin pour rejoindre Lleganez, et les deux mille soldats qu'il avait amenés dans Turin ne servirent qu'à consommer #les vivres des habitants. Deux mois se passèrent ainsi : Lleganez était resté campé en vue de la ville; toutes ses tentatives partielles et celles de Thomas avaient été déjouées; Thomas, qui correspondait avec le général espagnol au moyen de boulets creux lancés par des mortiers de grande portée, le somma, en quelque sorte, de faire un dernier et général effort. Les Espagnols et les Français avaient reçu de part et d'autres de renforts qui se faisaient équilibre les chances d'une attaque étaient devenues de moins en moins favorables. Llegnanez ne se hasarda qu'avec répugnance, et, soit hésitation dans ses mouvements, soit difficulté de terrain, il n'arriva devant la contrevallation française que lorsque Thomas avait été déjà repoussé avec perte dans l'assaut qu'il avait donné à la circonvallation. Lleganez se retira sans rien entreprendre (14 septembre). Huit jours après, Harcourt entra dans Turin. Le prince Thomas évacua la capitale du Piémont par une capitulation qui lui permit de se retirer à Yvrée avec cẻ qui lui restait de troupes (22 septembre). Le siége de Turin avait duré quatre mois et demi. La campagne d'Italie en 1640 prouva que désormais aucune vertu militaire ne manquait plus aux troupes françaises ni à leurs chefs. J'aimerais mieux être général Harcourt qu'empe

reur! s'écria le fameux Jean de Wert, en apprenant la conquête de Turin'.

La guerre des Pays-Bas, sans offrir d'aussi émouvantes péripéties ni un caractère aussi héroïque, eut un résultat encore plus important pour la France. La Belgique avait dû être assaillie par quatre corps d'armée, deux français et deux hollandais. Le subside payé par la France aux Provinces-Unies avait été porté à un million six cent mille livres, et beaucoup d'argent avait été distribué en outre au prince d'Orange et aux chefs de la république, afin de les exciter à agir plus énergiquement. FrédéricHenri avait promis d'attaquer Dam et Bruges; le maréchal de La Meilleraie devait opérer sur la Meuse, et les maréchaux de Châtillon et de Chaunes du côté de l'Artois. Le plan de campagne ne réussit pas tel qu'il avait été conçu le cardinal-infant parvint encore une fois à repousser les Hollandais; La Meilleraie, qui s'était avancé entre Sambre et Meuse, échoua contre Charlemont et Marienbourg (mai 1640), et ses troupes souffrirent beaucoup du mauvais temps et de la rudesse de la contrée. Le plan d'opérations fut modifié avec autant de sagacité que de promptitude. La Meilleraie, rappelé des bords de la Meuse, traversa rapidement le Hainaut et le Cambresis, et arriva, le 13 juin, devant Arras, par la rive sud de la Scarpe, tandis que Châtillon et Chaunes arrivaient par la rive nord. Vingt-trois mille fantassins et neuf mille cavaliers investirent inopinément cette capitale de l'Artois, avant que l'ennemi eût le temps de renforcer la garnison. Le général

1 Mém. du Maréchal du Plessis, 3e sér., t. VII, p. 364-366. Gazette de France du 34 mai 1640. Mercure françois, t. XXIII, p. 560-632.—Succincte Narration, 2o sér., t. IX, p. 349-350. — Levassor, t. VI, p. 24-43; 83-88. p. 260-263.

Griffet, t. Ill,

[ocr errors]

wallon Lamboi, qui remplaçait Piccolomini dans le commandement des auxiliaires impériaux en Belgigue, tâcha en vain de jeter dans Arras des troupes qui furent battues par les postes français. Le maréchal de Châtillon avait à cœur de venger sur Arras son affront de Saint-Omer : il poussa les travaux du siége avec une vigueur extraordinaire. En vingt jours, une circonvallation de quatre à cinq lieues fut fermée, et la tranchée, ouverte : en quinze autres jours, la contrevallation, les redoutes et les forts qui protégèrent les lignes, tout fut achevé.

Tous les Pays-Bas espagnols étaient en alarme, et offraient hommes, argent, munitions, à leur gouverneur pour sauver Arras. Le cardinal-infant accourut à Lille dans les derniers jours de juin, et y fut joint par Lamboi et par le duc Charles de Lorraine, qui, durant la dernière campagne, avait guerroyé, sans éclat et sans succès, sur les confins de la Lorraine et du Luxembourg. L'armée ennemie, forte de vingt et quelques mille hommes, vint, le 9 juillet, camper sur le mont Saint-Éloi, à deux lieues nord-ouest d'Arras, et son approche releva le courage des habitants, chez lesquels vivait toujours la vieille tradition bourguignonne hostile à la France : les gens d'Arras passaient, au dire de Richelieu, pour plus espagnols que les Castillans mêmes. Ils ne songèrent plus qu'à seconder vaillamment leur garnison, peu nombreuse (elle ne dépassait pas deux mille hommes), mais brave et bien commandée par le colonel irlandais O'Neill.

Le cardinal-infant n'osa cependant aborder de vive force les positions des Français : il entreprit de les affamer, en allant se poster vers Avesne-le-Comte, entre Arras, Hesdin et Doullens, afin d'intercepter les convois de Picardie. Il se renforçait tous les jours, et son armée finit par s'élever,

dit-on, jusqu'à vingt mille fantassins et douze mille cavaliers. Grâce à cette puissante cavalerie, l'infant fut bien près d'atteindre son but, et la détresse devint extrême parmi les assiégeants, dont les communications étaient presque complètement coupées,

:

Richelieu, qui était accouru à Amiens avec le roi, ne lâcha pas ainsi sa proie. Il résolut de faire ravitailler les trois maréchaux par une armée entière. Il avait mandé à la hâte le gouverneur de Lorraine, du Hallier, avec une partie des troupes qui occupaient ce duché du Hallier partit de Doullens pour le camp d'Arras, le 1er août au soir, avec ses forces grossies par la maison du roi et par le corps de réserve de Picardie: environ dix-huit mille combattants escortaient plusieurs milliers de chariots pleins de munitions de guerre et de bouche. Les maréchaux de La Meilleraie et de Chaunes allèrent au-devant du convoi à la tête de six mille hommes, et le joignirent sans obstacle, le 2 août au point du jour, à mi-chemin de Doullens à Arras. Le bruit lointain de l'artillerie et les pressants messages de leur collègue Châtillon leur expliquèrent bientôt pourquoi l'ennemi n'avait point inquiété leur marche, Toute l'armée du cardinal-infant assaillait avec fureur la contrevallation des assiégeants. La misère et la désertion avaient fort diminué l'armée assiégeante, et Châtillon, si l'on doit l'en croire, avait tout au plus une quinzaine de mille hommes pour défendre plus de quatre lieues de lignes et de tranchées. Par bonheur, l''hésitation des conseillers imposés par la cour d'Espagne au cardinal-infant fit perdre des moments précieux à l'ennemi, et l'attaque ne commença sérieusement que sur les neuf heures du matin. Le principal effort fut dirigé par le duc Charles de Lorraine contre le quartier du colonel allemand Rantzau, cet

་།

intrépide soldat dant le corps avait été si mutilé par la guerre, qu'on disait qu'il n'avait plus rien d'entier que le cœur. Un fort qui protégeait le quartier de Rantzau füt pris et repris plusieurs fois. Sur ces entrefaites, Gassion, détaché par la Meilleraie avec mille cavaliers d'élite, arriva au galop, et annonça le retour des deux maréchaux et l'approche du convoi. Les défenseurs du camp, animés par cette bonne nouvelle, opposèrent une insurmontable résistance à l'assaut désespéré qu'on leur livrait, et trois pièces de canon, avec lesquelles un habile artilleur prit en flane agresseurs, écrasèrent la tête de la principale colonne d'attaque. Au plus fort du combat, on vint dire à Châtillon que son fils avait été tué. « Il est bien heureux, » répondit le maréchal, « d'être mort dans une si belle occasion pour le service du roi!» Le jeune homme n'était que blessé.

les

On ne tarda point à voir paraître la cavalerie de la Meilleraie et de Chaunes: une demi-heure après, le corps d'armée de du Hallier était en vue. L'ennemi n'eut plus d'autre parti à prendre que celui de la retraite, et dut s'estimer fort heureux de l'extrême fatigue du nouveau corps d'armée, arrivé à marche forcée.

Le lendemain, les généraux français sommèrent les habitants d'Arras de capituler sur-le-champ, s'ils voulaient éviter les dernières rigueurs de la guerre. Le gouverneur et les habitants repondirent qu'on y pourrait songer dans trois mois. Les ouvrages extérieurs élai ni cependant au pouvoir des Français, et le 7 acût, une mine qui joua ouvrit une large brèche au rempart. La ville, alors, changea de ton, et obligea son commandant à entrer en pourparlers avec les Français. Ceux-ci n'eurent garde de ser au désespoir les gens d'Arras, et se rendirent faciles sur

pous

« PrécédentContinuer »