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les conditions. La capitulation fut signée le 9 août, à la vue de l'armée du cardinal-infant, qui, averti de ce qui se passait, revint jusqu'à une portée de canon du camp français, puis s'arrêta, jugeant le succès d'une seconde attaque impossible. La garnison fut conduite à Douai avec les honneurs militaire. La ville, en changeant de maître, garda ses priviléges, et stipula, au nom de la province, le maintien du conseil souverain (parlement) d'Artois et des États Provinciaux, l'exemption de la gabelle du sel et l'interdiction d'établir aucun impôt, sinon du consentement des Etats. La ville eut aussi grand soin de stipuler que le saint cierge et les autres reliques » ne pourraient être transportés hors de ses murs, et que la liberté de conscience n'y pourrait être introduite. Arras demeurait espagnole en religion tandis qu'elle cessait de l'être en politique 2.

La conquête de ce chef-lieu de province, si longtemps le boulevard des Pays-Bas contre la France, la recouvrance de cet antique fief enlevé depuis si longtemps à la couronne, excita dans la nation un long frémissement de joie, On sentit que c'était là une de ces conquêtes qui ne se reperdent pas, et l'on y vit le commencement de l'absorption des provinces belgiques dans l'unité française. Il était naturel que l'Artois, espèce de triangle serré, sur deux de ses côtés, par la Picardie, cédât le premier au mouvement d'extension de la France.

L'armée était trop fatiguée, et le siége d'Arras avait trop coûté, pour qu'on essayât d'achever, cette année, l'as

1 Une ordonnance du 15 février 1644 subordonna le conseil d'Artois au parlement de Paris pour les appels. Isambert, XVI, 535.

2 Succincte narration, 2e sér., t. IX, p. 350. — Recueil d'Aubéri, t. II, p. 511-586. - Mercure François, t. XXIII, p 515-548. Mém. du maréchal de Grammont, 3e sér., t. VII, p. 250. Mém. de Montglat, ibid., t. V. p. 90-96.

Ségur, ap. Levassor, t. VI, p. 52.

Mém. de Puy

sujettissement de l'Artois : Richelieu estima la campagne bien employée.

Entre les réjouissances de la prise d'Arras et celles de la prise de Turin, un second fils naquit à Louis XIII (21 septembre 1640). Cet enfant fut nommé Philippe, et porta le titre de duc d'Anjou, jusqu'à ce que Gaston, mourant sans enfant mâle, lui eût transmis le duché d'Orléans. Philippe devait être la tige de la maison d'Orléans.

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Du côté de la mer, la campagne fut nulle dans les parages d'Italie, où commandait l'archevêque Sourdis. Richelieu eût voulu qu'on enlevât les portes de Nice et de Villefranche au cardinal Maurice de Savoie, et qu'on allât imposer un nouveau traité aux pirates d'Alger et de Tunis'. Sourdis n'entreprit rien de tout cela, et s'excusa sur la jalousie du comte d'Alais, gouverneur de Provence, qui ne le secondait pas, et sur le mauvais état des galères. envoya un défi au duc de Ferrandina, commandant de la flotte espagnole, qui ne l'accepta point, et alla croiser devant Naples, sans y déterminer d'insurrection, comme il l'avait espéré. La flotte du Ponant fut plus heureuse que celle du Levant. Richelieu l'avait confiée à son neveu, au marquis de Brezé, fils du maréchal de ce nom, en lui donnant pour lieutenant un vieux et habile marin, le commandeur des Gouttes. Le cardinal avait d'abord destiné aux commandements maritimes un autre de ses neveux, Pont-Courlai; mais celui-ci, quoiqu'il se fût bravement

1 Voyez le projet de traité dans la correspondance de Sourdis, t. II, p. 420-427. Il est intéressant pour ce qui concerne les comptoirs français du Bastion de France, de Bone, de Collo (El Qôl), de La Calle, du cap Nègre. Ces établissements, autorisés par le sultan, dataient de 1560 environ. La pêche du corail sur toute cette côte se faisait alors par les Français, qui, aujourd'hui, l'ont presqu'entièrement abandonnée aux Italiens,

comporté à la bataille navale de Gènes, avait montré un tel esprit de désordre et d'inconduite, que son oncle l'avait destitué. Richelieu voulait bien employer ses parents, mais à condition qu'ils s'en montrassent dignes. Brezė, jeune homme d'un naturel héroïque, ne devait pas tromper ainsi l'attente du cardinal. Il débuta par assaillir, dans les eaux de Cadix, la flotte des Indes-Occidentales qui partait pour le Mexique. Les Espagnols comptaient trentesix navires de guerre, parmi lesquels dix galions de quatorze à quinze cents tonneaux et quatre de mille à douze cents. Les Français n'avaient que vingt et un vaisseaux, la plupart d'une force bien inférieure; mais aux vaisseaux étaient joints neuf de ces brûlots dont la marine française savait faire un si terrible usage. L'agilité des nefs françaises et la supériorité de leurs artilleurs, plus encore que les brûlots, décidèrent la victoire. Deux galions espagnols furent brûlés l'amiral Castignosa fut coulé avec son navire par l'amiral français; trois autres galions, richement char gés, sombrèrent encore (22 juillet). Le reste de la flotte espagnole se réfugia entre les forts de la rade de Cadix, où Brezé eût suivi l'ennemi, si son conseil ne l'eût dissuadé d'une entreprise trop téméraire. Son succès était encore assez brillant. L'impuissance des lourds galions espagnols à manœuvrer et à s'entre-secourir était démontrée à chaque rencontre, sans que l'Espagne fit rien pour remédier aux causes de tant de désastres'.

Quelques mouvements populaires contre les impôts, mouvements qui, à Moulins et à Clermont, ne dépassèrent pas l'émeute, mais arrivèrent jusqu'à la révolte armée dans l'Armagnac, le Comminges, l'Astarac, le Pardiac, n'ac

1 Relation dans la correspondance de Sourdis, t. II, p. 244, ➡ p. 68. - Gazette de France du 14 septembre 1610,

Levassor, t. VI,

quirent pas l'importance qu'avait eue l'insurrection normande, et ne troublèrent pas sérieusement la joie du gou. vernement français. L'intendant de Guyenne, avec un petit corps de troupes, dissipa les paysans soulevés de la Haute Gascogne. Quelques rebelles pris dans une escarmouche furent exécutés : une amnistie fit mettre bas les armes à tout le reste (Mercure, XXIII, 512). Les faibles agitations de la France passèrent inaperçues auprès des révolutions qui bouleversaient la monarchie espagnole, et dont le retentissement étouffait presque le bruit des victoires de Casal, d'Arras, de Turin et de Cadix.

Les antiques libertés des royaumes ibériens avaient successivement disparu, depuis un siècle, sous l'invasion croissante du despotisme. Charles-Quint avait vaincu les comuneros de Castille, et réduit les cortès castillanes à une complète nullité: Philippe II avait, d'une main, courbé violemment le Portugal sous le joug de l'Espagne, de l'autre, décapité la liberté aragonaise avec le justiza qui en était la personnification. Seules, aux deux extrémités de la chaine des Pyrénées, la Catalogne et la Biscaye étaient res‐ tées debout et libres au milieu de cel abaissement général. La Biscaye formait trois véritables républiques sous la suzeraineté du Roi Catholique; la Catalogne, avec ses annexes, le Roussillon et la Cerdagne, ne connaissait, dans le superbe monarque de l'Espagne et des Indes, que l'héritier des comtes de Barcelonne, et s'estimait si peu une province castillane, qu'elle prétendait que ses envoyés fussent traités à Madrid sur le pied des ambassadeurs étrangers; elle avait conservé plus d'affinités avec le Languedoc et la Provence qu'un siècle et demi d'union ne lui en avait donné avec la Castille. La Catalogne et la Biscaye ne participaient ni aux charges ni aux avantages de la Castille, et se

voyaient exclues, comme étrangères, du commerce des deux Indes. L'esprit provincial et fédéraliste le plus extrême se trouvait ainsi en face de la monarchie la plus despotique. Philippe IV et Olivarez voulaient faire cesser cette anomalie et assimiler la vie exceptionnelle de ces contrées, non point à une vie plus générale, mais à la mort commune! En France, chaque pas du gouvernement central était un progrès de la civilisation et de la force nationale: en Espagne, c'était le contraire.

Les premières tentatives dirigées contre les franchises catalanes et basques avaient été repoussées avec vigueur par les magistrats électifs de ces contrées, et le cabinet de Madrid semblait avoir pris son parti relativement à la Bis· caye; mais il continuait de faire une sorte de guerre sourde à la Catalogne, province beaucoup plus importante et dont les priviléges le gênaient bien davantage. Les Catalans, néanmoins, en 1639, témoignèrent d'abord un grand zèle pour la défense du Roussillon; mais le siége de Salces lassa bientôt ce zèle. La désertion éclaircit les troupes catalanes, peu aguerries et tourmentées tour à tour par les chaleurs et par les grandes pluies. Les corps municipaux (ayuntamientos) se relâchèrent dans le service des fournitures militaires. Le pouvoir royal, heureux d'avoir un prétexte de sévir, agit aussitôt avec la dernière violence. Olivarez manda au vice-roi de Catalogne qu'il forçât les hommes d'aller à la guerre, dût-on les y traîner garrottés, et les femmes de porter sur leurs épaules le blé, le foin et la paille pour l'armée; qu'il ôtât les lits aux gentilshommes les plus qualifiés du pays pour le coucher des soldats!... On peut juger quel effet produisirent de tels procédés sur ce peuple aussi violent que la mer qui bat ses

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