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rivages, aussi fier et aussi dur que les rocs de ses montagnes 1.

Ce fut bien pis, lorsqu'après la reprise de Salces, au commencement de 1640, l'armée royale du marquis de Los Balbases fut mise en quartiers d'hiver dans la Catalo、 gne et le Roussillon, contrairement aux priviléges du pays, et que les soldats castillans, napolitains, irlandais, stupidement encouragés par leurs chefs à mater la province, se mirent à piller les villages et même les églises, à outrager les femmes, à traiter ces populations mal endurantes comme on traitait les malheureux pays qui étaient le théâtre de la guerre générale. Sur ces entrefaites, Olivarez ordonna au vice-roi de lever six mille soldats dans la Catalogne et ses dépendances, pour faire voir du pays aux Catalans et leur apprendre à servir Sa Majesté Catholique, partout et contre tous, comme les autres sujets de la monarchie. A la nouvelle de cette violation des priviléges qui exemptaient les Catalans de servir hors de chez eux, les divertissements du carnaval furent interrompus à Barcelone : l'aspect du pays devint de plus en plus sombre, la fermentation croissant d'une part, les excès des troupes de l'autre. L'évêque de Gironne excommunia en masse les auteurs des violences et des sacriléges qui désolaient son diocèse. Le vice-roi fit arrêter deux des trois députés généraux qui représentaient les trois états de Catalogne et formaient le véritable pouvoir exécutif de la province. L'explosion ne se fit pas

1 Recueil d'Aubéri, t. II, p. 565-367. — D. Francisco Manuel de Melo, Guerra de Cataluna, I. I, c. 74-77. Voyez les curieux détails donnés par Melo sur la violence des mœurs catalanes; c'était la chose la plus ordinaire du monde que d'aller à la montagne, c'est-à-dire de se faire brigand (bandolero), pour peu qu'on eût quelque chose à démêler avec la justice. On n'en était pas plus mal vu, et l'on n'y attachait aucune idée de déshonneur.

attendre. Aux approches de la Fête-Dieu, des bandes de montagnards descendaient, chaque année, afin de louer leurs bras aux propriétaires de Barcelonne et des environs pour le temps de la moisson. Quand ces hommes à demi sauvages, qui ne marchaient jamais sans le trabuco (tromblon) en bandoulière et la navaja (couteau) à la ceinture, se virent réunis au nombre de plusieurs mille, rien ne put les contenir: ils entrèrent dans Barcelonne et coururent sus avec furie aux Castillans, aux étrangers. Le peuple de la ville se joignit aux montagnards. Tout ce qu'on pat saisir de Castillans fut mis en pièces. Le comte de SantaColoma, vice-roi de Catalogne, fut massacré au moment où il essayait de gagner le port et de s'embarquer (7 juin 1640). Toutes les villes de la Catalogne et du Roussillon suivirent l'exemple de la capitale. L'armée, qui ne comptait plus qu'environ huit mille hommes, fut acculée dans Collioure, Salces et Roses, et ne parvint à conserver, entre les grandes villes, que Perpignan, qui s'était révoltée comme les autres, mais qui, écrasée de bombes par sa citadelle, fut obligée de laisser rentrer les Espagnols.

La cour d'Espagne, étourdie de cet éclat terrible, effrayée de l'agitation qui régnait en Portugal, en Aragon, dans les iles Baléares, dans la Sicile, dans le royaume de Naples, recula, au moins en apparence, et tâcha de substituer la ruse à la force: elle entra en pourparlers avec les envoyés de la Députation Générale de Catalogne et du conseil des Cinq (municipalité de Barcelonne), et remplaça le malheureux Santa-Coloma par le duc de Cardona, grand seigneur catalan assez populaire, qui partit de Madrid avec un ordre public d'accorder satisfaction à la province contre les soldats, et reçut à son arrivée un ordre secret de n'en rien faire. Le nouveau vice-roi, épouvanté

du chaos dans lequel on le précipitait, mourut bientôt de peur ou de chagrin. L'évêque de Barcelonne, qu'on lui donna pour successeur, se prêta aux desseins de la cour, et s'efforça d'amuser les Catalans, pendant qu'Olivarez travaillait à les diviser, amenait adroitement l'importante ville de Tortose à trahir la cause catalane, et s'assurait ainsi du Bas-Ébre. Les députés généraux de Catalogne ne furent pas dupes des artifices castillans: dès le mois d'août, ils adressèrent des propositions secrètes au gouvernement français par l'intermédiaire du gouverneur de Leucate, et, le 29 de ce mois, Louis XIII donna pouvoir au sieur du Plessis-Besançon de traiter avec les représentants de la Catalogne pour l'établissement d'une république catalane sous la protection française. Louis XIII éprouva peut-être quelque hésitation et quelques scrupules: Richelieu n'en eut aucun; partout, il traitait avec les révolutions populaires; il faisait plus, il les provoquait, il reconnaissait leur légitimité; qu'on lui en fasse un mérite ou un crime, on doit reconnaître qu'il n'hésita jamais entre l'intérêt de l'État, de la grandeur nationale, et l'intérêt des principes monarchiques, lorsque ces deux intérêts se trouvèrent en opposition.

Les Bras (Brassos) ou Cortes de la Catalogne, assemblés à Barcelonne en septembre, tentèrent une dernière démarche auprès de Philippe IV, avant de rompre le lien de l'unité espagnole. Ils prièrent le Roi Catholique de rappeler les troupes qui occupaient le Roussillon et de contremander celles qui s'avançaient vers la frontière d'Aragon et le Bas-Ebre, et lui déclarèrent qu'ils défendraient leurs libertés jusqu'à la mort. Le roi fit arrêter les envoyés des Etats. Les Catalans expédièrent le manifeste de leurs griefs à tous les princes des états chrétiens: La

guerre avait déjà recommencé en Roussillon. Le gouverneur de Leucate, d'Espenan, marcha au secours des insurgés roussillonnais avec un corps de troupes françaises, et fit lever le siége d'Ille au général espagnol don Juan de Garaye. L'envoyé du roi, du Plessis-Besançon, fut reçu à Barcelonne en audience publique par la Députation Générale, et rappela aux Catalans les antiques liens qui avaient uni à la couronne de France leur principat fondé par les Franks, par Charlemagne et ses successeurs.

Le gant était jeté. La Catalogne envoya au roi de France neuf otages de sa foi, trois ecclésiastiques, trois nobles, trois bourgeois, et, le 16 décembre, les députés généraux signèrent, avec du Plessis-Besançon, un traité par lequel le roi s'obligeait de fournir aux Catalans des officiers pour commander leurs troupes, plus un corps auxiliaire de buit mille hommes, à leurs frais. La Catalogne et ses annexes, dans le cas où ils s'accommoderaient avec le roi d'Espagne, s'engagèrent à ne jamais participer à aucune attaque contre la France. Les ports de la Catalogne et du Roussillon seraient ouverts dorenavant aux flottes françaises'.

On reçut en même temps à Paris la nouvelle du traité de Barcelonne et celle d'un événement plus grand encore, de la révolution de Portugal.

Soixante ans d'union, sous un gouvernement humain et habile, eussent suffi, sans doute, pour enchaîner irrévocablement l'un à l'autre deux peuples que la nature a destinés à être unis, que les hasards des guerres du moyen âge avaient séparés; et pourtant, après soixante ans, le

1 Dumont, Corps diplomatique, t. VI, p. 196. Fr. de Melo, Guerra Cataluna, 1. I, c. 53–99 ; l. II, passim ; I. III, c. 1–42. — Levassor, t. VI, p.1~21 ; 63–68. - Griffel, t. III, p. 278-289.

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Portugal n'était pas plus espagnol que le premier jour. Au lieu de l'attacher à l'Espagne par les avantages réciproques de la communauté, on l'avait humilié, appauvri systématiquement. Son amour propre national, que tant de grands souvenirs rendaient légitime, avait été brutalement froissé; ses intérêts avaient été incessamment lésés, soit par les impôts levés arbitrairement et dépensés au profit de la Castille, soit par les désastres maritimes et coloniaux de la monarchie, qui retombaient en majeure partie sur lui. La marine militaire et marchande du Portugal avait été presque détruite dans les guerres provoquées par le gouvernement de Madrid: les ports étaient déserts; les arsenaux, vidés par les Espagnols, qui employaient toutes les ressources du Portugal à armer la Castille, et qui laissaient les côtes portugaises sans défense et les colonies des Indes Orientales, du Brésil et de l'Afrique livrées aux invasions des. Hollandais et des Anglais. Tant que l'Espagne ne fut point engagée dans une guerre continentale, le Portugal souffrit en silence; mais, du jour où la France eut commencé une lutte mortelle contre les héritiers de Philippe II, le Portugal releva le tète, et son attitude devint de plus en plus menaçante. Dès 1638, on a vu que les relations s'étaient établies entre le ministère français et quelques personnages considérables du Portugal. Sans le caractère indécis du duc de Bragance, descendant des anciens Rois Très-Fidèles, et candidat destiné au trône par les patriotes portugais, l'insurrection eût probablement éclaté dès cette époque; mais don Joâo de Bragance hésita longtemps

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1 L'expression de bons patriotes a été employée pour la première fois, à notre connaissance, dans un manifeste des mécontents wallons en 1634. Mercure françois, t. XX, p. 291. Cette date nous a paru intéressante à signaler en

passant.

T. XIII.

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