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à jouer sa vie et les grands biens que l'Espagne avait laissés à sa maison. Il se décida enfin, excité par sa femme, la courageuse Louise de Gusman, lorsque la cour de Madrid l'eut mandé avec l'élite de la noblesse portugaise, pour l'envoyer contre la Catalogne. Les Portugais imitèrent les Catalans au lieu de les combattre. Le 11 décembre, l'intendant du duc de Bragance, Pinto-Ribeiro, qui avait organisé la conjuration pour et quasi sans son indolent maître, donna le signal par un coup de pistolet tiré dans le palais royal de Lisbonne. La révolte triompha presque sans combat le ministre dirigeant, Vasconcellos, arrogant et servil instrument de la tyrannie castillarie, fut mis à mort; la vice-reine Marguerite de Savoie, duchesse douairière de Mantoue', fut arrêtée et gardée en otage, et le duc de Bragance fut proclamé roi sous le nom de Jean ou João IV. Tout le royaume, puis toutes les colonies, suivirent le mouvement de Lisbonne. Les faibles détachements espagnols disséminés dans les possessions portugaises, surpris par la soudaineté et l'unanimité de l'insurrection, furent partout hors d'état d'opposer une résistance sérieuse. De tout ce qui avait appartenu autrefois au Portugal, l'Espagne ne garda que Ceuta. Cette révolution, contraire au mouvement général qui porte les nations modernes à se compléter, et contraire surtout aux destinées providentielles de la Péninsule ibérique, mais rendue absolument inévitable par les aberrations et les iniquités de Philippe II et de ses successeurs, s'accomplit avec une facilité qui fit bien voir à quel point l'Espagne était affai

blie!

Les Cortès portugaises, assemblées à Lisbonne le 28 jan

1 Belle-mère de la princesse régente de Mantoue.

vier 1641, confirmerent solennelleinent l'élévation du due de Bragance au trône, et déclarèrent que le roi de Castille, eût-il possédé des droits légitimes sur la couronne de Portugal, au lieu d'être, comme il était, un usurpateur intrus, aurait perdu ses droits par sa tyrannie, les sujets pouvant, selon le droit naturel ét humain, pourvoir à leur conser, vation et à leur défense en déposant un roi qui abuse de son autorité.

Le nouveau roi de Portugal se hâta de contracter alliance avec la France et la Hollande, qui lui promirent, chacune, vingt vaisseaux de guerre pour l'aider à se défendre contre Philippe IV. L'Angleterre et la Suède le reconnurent également, mais ne signèrent avec lui que des traités de commerce1.

Le gouvernement espagnol, que l'insurrection des deux extrémités de la Péninsule pressait ainsi par les deux flancs, n'avait pas les moyens de reconquérir à la fois la Catalogne et le Portugal: il avait dirigé toutes ses troupes disponibles, une vingtaine de mille hommes, vers l'Ebre et la Sègre; il ne les rappela point, au bruit des événements de Lisbonne, et s'efforça d'étouffer d'abord la rebellion catalane, qu'il jugeait la plus dangereuse en raison du voisinage de la France. Le marquis de Los Velez, nominé à la vice-royauté de Catalogne, entra dans l'interieur de la province par Tortose, qui s'était soumise, et s'avança, le fer dans une main, la torche dans l'autre. Les petits villes de Xerta et de Cambrils, ayant essayé de se défen

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Weiss; l'Espagne depuis

1 Dumont, Corps diplom., t. VI, p. 202-207; 214-218. Philippe II jusqu'à l'avènement des Bourbons, t. I, p. 376–386. Mercure françois,

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Le différend relatif au Brésil

t. XXIII, p. 739-812. Levassor, t. VI, p. 158-195. et aux autres colonies fut ajourné à dix ans par la Hollande et le Portugal; les Hollandais finirent par rendre ce qu'ils occupaient au Brésil,

dre, furent, la première, emportée d'assaut, la seconde, forcée de se rendre à discrétion : l'une et l'autre furent brûlées, et leurs habitants, égorgés en masse. Le comte de Rocafuerte, commandant de Cambrils, un des premiers seigneurs de la Catalogne, fut pendu par les pieds aux crénaux du rempart. Los Velez se porta de là sur Tarragonne. A la nouvelle de la marche des Castillans, la députation générale de Catalogne s'était hâtée d'appeler les Français, et le gouverneur de Leucate, d'Espenan, avait franchi les Pyrénées avec trois mille fantassins et un millier de chevaux. D'Espenan courut à Tarragonne, où était le quartier général des Catalans; mais il trouva leur petite armée presque entièrement dispersée par la terreur panique qu'avait causée le massacre de Cambrils. D'Espenan ne crut pas pouvoir se maintenir dans Tarragonne; il capitula pour la ville et pour lui-même, et promit de reconduire ses troupes en France.

La cause de l'insurrection eût été perdue, sans l'énergie du député général du clergé, Claris, chanoine d'Urgel, et de l'envoyé français du Plessis-Besançon. Le premier exhorta ses collègues et les habitants de Barcelonne à s'ensevelir sous les débris de cette grande cité, plutôt que d'en ouvrir les portes aux bourreaux de leurs frères : le second annonça de nouveaux et de plus grands secours au nom du roi de France, et organisa la défense avec une célérité et une intelligence admirables. La fureur avait succédé à l'épouvante tout s'était armé, jusqu'aux moines; les députés généraux et la ville de Barcelonne s'ôtèrent toute chance de pardon, et répondirent aux sommations du viceroi castillan par un second traité, non plus d'alliance, mais de réunion avec la France. Le 25 janvier 1641, furent arrêtées les conditions sous lesquelles la Catalogne

et ses annexes se donnaient à la couronne de France, << pour y demeurer perpétuellement unies.» Le Roi Très-Chrétien, dit le traité, observera les usances, capitulations et toutes dispositions contenues au livre des Constitutions, et tous les priviléges, libertés et honneurs des églises, des trois états, des villes et des particuliers. Toutes les dignités, tous les offices et bénéfices ecclésiastiques et laïques, la vice-royauté exceptée, ne seront conférés qu'à des Catalans. Les villes conservent le droit de s'imposer elles-mêmes pour leurs nécessités, sans contrôle de la part du roi, si ce n'est en cas de fraude ou dol, Les conseillers de la ville de Barcelonne garderont la prérogative de se couvrir devant les personnes royales. La députation générale est maintenue dans sa souveraine juridiction civile et criminelle. Le conseil royal (conseil du vice-roi, ne pourra siéger qu'à Barcelonne : en cas d'infraction des priviléges publics ou particuliers, « venant du fait de Sa Majesté ou de son lieutenant, » le jugement souverain appartiendra à un tribunal formé de membres des trois états et de membres du conseil royal, non suspects. Le principat de Catalogne et les comtés de Roussillon et de Cerdagne s'engagent à servir le roi <«< dans la province et non hors d'icelle,» avec quatre mille fantassins et cinq cents chevaux, sans préjudice d'autres plus grands services volontaires en cas de nécessité.

Parmi ces stipulations empreintes d'une fierté républicaine, éclate, comme une dissonance sinistre, l'article suivant :

Que le tribunal de l'inquisition demeurera en Catalogne,... et sera directement sujet à la congrégation de la sainte. inquisition de la cour de Rome.... »

Ainsi, ce peuple, en secouant le joug de ses tyrans, conservait précieusement le fléau que ses tyrans lui avaient

apporté et que ses aïeux avaient autrefois tâché en yain d'écarter de leurs têtes: il brisait les chaînes matérielles de la Castille, mais il restait asservi à la pensée de Ximenez et de Philippe II. Ce fait dit tout sur la profondeur du mal moral qui dévorait l'Espagne1.

A peine le pacte était-il signé, que les Castillans parurent devant Barcelone. Ils accouraient sans artillerie et sans équipage de siége, croyant emporter cette capitale par un coup de main. On ne les attendit pas derrière les murailles : un brave officier français, nommé Sérignan, sortit avec tout ce qu'il y avait de cavaliers français et catalans dans la ville, et, soutenu par le feu des remparts, culbuta la cavalerie ennemie qui venait insulter les portes. Les Castillans, étonnés, se rallièrent et assaillirent, avec toutes leurs forces, le Mont-Juich, colline qui commande Barcelonne comme Montmartre commande Paris. Il n'y avait sur le Mont-Juich qu'une redoute inachevée : trois cents Français, commandés par le sieur d'Aubigni, et quelques centaines de Catalans, défendirent ce poste décisif avec tant de vigueur, et furent si bien secondés par une furieuse sortie des Barcelonais, que l'ennemi, après un assaut de quatre heures, fut obligé de battre en retraite. Dans la nuit, Los Velez ramena son armée découragée sur Tarragonne (27 janvier): trois mille recrues désertèrent en chemin. La Motte-Houdancourt, qui avait commandé avec tant d'éclat en Italie; l'année précédente, sous les ordres du comte d'Harcourt, vint se mettre à la tête des troupes franco-catalanes, et les Espagnols furent réduits à la

1 Le traité dans Dumont, t. VI, p. 197 et suivantes. M. E. Sue a interverti les deux traités du 16 décembre et du 23 janvier en les réimprimant dans la Correspondance de Sourdis, t. II, p. 490-510.

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