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de palais achetées par des soucis ingrats et sans gloire, il s'élevait une puissance nouvelle, frivole par sa base, sérieuse par les inquiétudes qu'elle inspirait. Richelieu avait nourri dans son sein un serpent qui se retournait contre lui. Après l'éloignement de Saint-Simon, Louis XIII, préoccupé tour à tour de mademoiselle de La Fayette et de mademoiselle de Hautefort, avait passé deux ans sans favori: le cardinal, toujours malheureux auprès des dames, ne put gagner mademoiselle de Hautefort, pas plus que sa devancière; il introduisit alors, en 1638, auprès de Louis, un jeune homme de dix-huit ans, Henri d'Effiat, marquis de CinqMars, fils du feu maréchal d'Effiat, brillant cavalier, plein d'agrément et de feu, qui supplanta promptement l'amie du roi. Louis XIII n'avait pas, pour la spirituelle et railleuse Hautefort, un attachement aussi profond que pour la tendre et mystique La Fayette, et mieux valait pour distraire son éternel ennui, un favori qui chassait avec lui, qu'une favorite qu'il entretenait de ses chasses: ses froides amours avec Hautefort n'allaient pas plus loin. Cinq-Mars prit racine bien plus rapidement et plus fortement que ne l'avait prévu le cardinal: voluptueux, bruyant, magnifique, ayant tous les goûts opposés aux goûts du roi, il s'attacha Louis par la contradiction même; et ses rebuffades, ses dépits, ses colères d'enfant, au lieu de rebuter le roi, l'attirèrent plus que n'auraient fait toutes les flatteries du monde, en agitant la monotonie de l'existence royale1. Louis se plai

1 Malgré les étranges circonstances rapportées par Tallemant des Réaux (Historiette de Louis XIII), nous ne pouvons nous décider à admettre l'interprétation infamante que donne cet écrivain des relations de Louis Xill et de Cinq-Mars. La malignité de Tallemant ne permet pas de recevoir son témoignage, quand l'ensemble des souvenirs contemporains pèse en sens contraire, et ii semble vraiment exorbitant de transformer le pudique Louis XIII en un autre Henri III. Il faut avouer cependant que Balzac semble avoir fait allusion, dans une pièce de vers latins, à des bruits répandus

gnait sans cesse de Cinq - Mars au cardinal, du ton d'un écolier qui dénonce son camarade, et Richelieu était obligé d'apaiser leurs querelles puériles; mais, après chaque querelle, il se trouvait que Cinq - Mars avait grandi en crédit. A l'humeur d'un enfant, le favori joignait l'esprit et les vices d'un courtisan; ingratitude, orgueil, convoitise effrénée. Nommé grand écuyer en 1639, il aspirait, dès 1640, aux grands commandements militaires. Le cardinal ayant traité avec une sévérité dédaigneuse ses folles prétentions, il devint l'ennemi de son bienfaiteur, et accueillit les secrètes avances du comte de Soissons et du duc d'Orléans, qui vivait tranquille, avec des maîtresses, depuis qu'on avait reconnu son mariage sans lui rendre sa femme, mais qui, tout résigné qu'il parùt être à cette demi-satisfaction, ne demandait pas mieux de voir des imprudents se sacrifier de nouveau pour lui.

Richelieu s'aperçut qu'il était également dangereux, et de supporter Cinq-Mars, et d'essayer de l'abattre. Le roi tenait à son jouet. Pour la première fois, Richelieu dut louvoyer autour de l'obstacle au lieu de le briser.

Si la politique extérieure était, en général, la force et l'honneur de Richelieu, néanmoins les grands événements d'un pays voisin, événements que Richelieu avait contribué à préparer, mais qui dépassaient déjà son attente et qui devaient aller bien plus loin encore, pouvaient réagir sur la France, de façon à y susciter de faux, mais de redoutables rapprochements. Le plan de ce livre ne permet pas de développer ici les commencements de la Révolution d'Angleterre. Il suffit de rappeler que Charles Ier, depuis

sur les amours néfastes du roi; mais Balzac gardait à Louis XIII une rancune posthume pour des flatteries mal payées.

le violent renvoi du parlement qui lui avait imposé le bill des droits (en 1629), avait régné onze années sans le concours des assemblées nationales, suppléant, par toutes sortes d'exactions, aux impôts non votés, et exerçant, comme chef de l'Église et de l'État, une domination toujours arbitraire, parfois sanglante. L'archevêque de Canterbury, Laud, primat d'Angleterre, chef de ce parti anglican primitif qui ne rejetait guère du catholicisme que l'autorité papale, poussait Charles à rapprocher l'Église anglicane des rites catholiques, à tel point qu'on pouvait troire que la forme emporterait le fond, et que la reine Henriette-Marie et la cour de Rome édifiaient de hautes espérances sur ce qui faisait le désespoir des puritains. De son côté, lé ministre Wentworth, comte de Strafford, prêtant aux incertitudes du roi l'appui de son inflexibilité, insultait à tous les sentiments de liberté puissamment éveillés dans le pays : les passions politiques et les passions religieuses étaient provoquées au même degré, et Strafford, ancien chef du parti parlementaire, devenu le bras et la tête du despotisme royal, cumulait, aux yeux de ses ennemis, le double caractère du tyran et du traître, et soulevait des haines exaltées jusqu'à la fureur. Sur ces entrefaites, éclata l'insurrection écossaise contre l'uniformité du culte que Laud avait persuadé à Charles d'établir dans la Grande-Bretagne. Le succès de la rébellion montra sur quelles bases fragiles reposait le despotisme. Charles, après une transaction avortée avec l'Écosse, se risqua à convoquer un nouveau parlement pour lui demander des subsides de guerre (avril 1640). Le parlement débuta par les griefs avant de discuter les subsides. Charles le congédia et reprit la guerre avec quelques ressources extraordinaires fournies par l'Irlande et par le clergé.

Les Ecossais prévinrent l'attaque du roi, envahirent le nord de l'Angleterre, et chassèrent devant eux les troupes royales. Il fallut demander une trève au presbytérianisme victorieux, et rappeler un parlement à Westminster (5 novembre 1630). Celui-là devait, non pas être brisé par le roi, mais briser le roi: celui-là fut le long parlement.

Son début füt terrible: la chambre des communes commença par exiger le retour aux anciennes rigueurs contre le papisme, le rétablissement des pasteurs puritains déposés, la déposition des pasteurs anglicans suspects de tendance au papisme, la suppression du banc des évêques à la chambre des lords, l'abolition de tous les tribunaux d'exception: elle ordonna des poursuites contre tous les agents du pouvoir qui avaient pris part à des actes arbitraires, et accusa Strafford et Laud à la barre de la chambre des lords. On sait avec quelle violence fut poussé le procès de Strafford et comment les lords, puis le roi, qui avait juré à Strafford de le défendre, cédèrent aux menaces des communes et du peuple, et sacrifièrent ce malheureux ministre, qui porta enfin sa tête sur l'échafaud, le 12 mai 1641.

Il n'y avait plus de rapports entre Strafford et Richelieu qu'entre le parlement de Paris et le parlement de Westminster, qu'entre la situation de la France et celle de l'Angleterre; mais les passions n'en cherchaient pas moins des allusions et des exemples dans cette catastrophe d'un ministre superbe et dans ce triomphe d'une assemblée sur le pouvoir absolu.

Richelieu prit l'offensive, avec sa décision accoutumée, non pas contre les actes, mais contre les espérances de ses ennemis. Le 21 février 1641, il mena le roi porter au parlement une déclaration qui commençait par un majes

tueux exposé des bienfaits de l'unité monarchique, qui porte les Etats au plus haut point de la gloire, et sur la nécessité de maintenir tous les ordres de l'Etat dans les limites de leurs fonctions respectives. L'édit rappelait ensuite toutes les déclarations royales publiées contre les prétentions du parlement depuis le temps de François Ier, puis déclarait que le parlement n'avait été établi que pour rendre la justice aux sujets, et lui interdisait de prendre connaissance d'aucune affaire concernant l'administration et le gouvernement de l'État. Le parlement, était-il dit, ne doit apporter aucunes modifications aux édits: il peut adresser des remontrances au roi sur les édits de finances, sauf à enregistrer après, si le roi l'ordonne; quant aux édits qui tiennent au gouvernement de l'Etat, il doit les enregistrer sans en prendre aucune connaissance. Pour prouver que la création et la suppression des charges dé pendent absolument du roi, les charges d'un président et de quatre conseillers, qui s'étaient vivement opposés à l'enregistrement d'une nouvelle création de maîtres des requêtes, sont supprimées, sauf remboursement.

Peu de temps après, l'hérédité des offices fut abolie; mais ce n'était, à ce qu'il semble, qu'une menace, car l'hérédité des offices fut rétablie, l'année suivante, avec le droit annuel, plus un droit d'un dixième de la valeur des offices à chaque mutation'.

Après avoir humilié l'aristocratie de robe, Richelieu se tourna contre les princes. Dans le courant de janvier 1644, des ermites, poursuivis pour divers crimes, accusèrent le duc de Vendôme de leur avoir proposé d'attenter à la vie du cardinal. Vendôme en était peut-être bien capable;

1 Isambert, t. XVI, p. 529. - Forbonnais, t. Ier, p. 236. — Mém. d'Omer Talon, p. 73-76.

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