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soldats, furent pris par centaines. Le maréchal n'échappa que par miracle, et gagna Rethel. La défaite était complète, et, ce qui lui donnait plus de gravité, c'était l'évidente trahison d'une partie de la cavalerie : les officiers avaient été gagnés par des haines de caste et des passions réactionnaires; les soldats, par le mécontentement que leur inspirait une retenue de solde.

A cette funeste nouvelle, le roi et le cardinal arrêtèrent les troupes qu'ils dirigeaient sur la Champagne, et se disposèrent à les conduire en toute hâte à Paris, où, sans doute, les factieux allaient tenter quelque grand coup. L'abbé de Gondi, en effet, avait comploté de soulever les Halles et de prendre la Bastille avec l'aide des nombreux prisonniers d'Etat, parmi lesquels se trouvaient deux maréchaux de France, Vitri et Bassompierre.

Le complot n'éclata pas. Dès le lendemain, un second courrier avait appris à Louis et à Richelieu que la victoire des rebelles ne pourrait être qu'un accident et non une révolution. Le seul homme qui eût pu poursuivre les conséquences de cette victoire, le comte de Soissons, n'existait plus. Dans une brillante charge exécutée par quelques compagnies d'élite, qui, seules de toute la cavalerie royale, avaient fait leur devoir, le comte avait eu la tète fracassée d'un coup de pistolet tiré à bout portant par un cavalier qui ne l'avait pas reconnu, et qui périt, à son tour, sous les coups des gens du comte1.

1 C'est là, du moins, la première version, et la plus vraisemblable, de la mort du comte. Suivant une autre version, qui a trouvé quelque crédit, le comte se serait donné involontairement la mort à lui-même en relevant imprudemment la visière de son casque avec le bout de son pistolet. Sur cet événement, voyez le Recueil Levassor, t. VI, p. 301-327. - Mém.

d'Auberi, t. II, p. 649-653, 655-659, 663-716.

de Retz, 3e sér., t. Ier, p. 25-21. — Griffet, t. III, p. 303–320-344-366. Relation de Fontrailles; Mém., 3o sér., t. III, p. 246-248.

La destinée de Richelieu l'emportait encore. L'insurrection était frappée à la tête avec Soissons. Les dues de Bouillon et de Guise, presque inconnus de la France, ne pouvaient remplacer un prince du sang, nom magique qui conservait encore quelque chose de son étrange et fatale influence. Le duc de Bouillon le comprit: aussi se gardat-il d'engager dans l'intérieur de la France l'armée victorieuse, toute renforcée qu'elle eût été depuis le combat. Il entra sur-le-champ en négociation avec le roi et le cardinal, qui étaient accourus en Champagne avec toutes les forces disponibles. Richelieu, quoiqu'il eût bonne envie de prendre Sedan, ne jugea pas prudent de risquer en ce moment cette importante entreprise, et l'accommodement de Bouillon n'éprouva de difficulté que relativement à la mémoire du comte de Soissons. Le roi prétendait faire condamner par le parlement et traîner sur la claie le corps de son parent rebelle. Bouillon défendait, par point d'honneur, les restes de son allié. Richelieu fléchit le roi : la procédure contre le feu comte fut abandonnée, et Bouillon reçut abolition entière (13 coù). Le due de Guise, tète folle, esprit turbulent et téméraire, ne voulut point y participer, et se retira à Bruxelles : il fut condamné tumace. Le duc de Lorraine, n'espérant pas obtenir le pardon de sa neutralité déloyale, quitta de nouveau son duché et retourna joindre en Belgique le cardinalinfant et Lamboi. Le favori Cinq-Mars, secret complice de Soissons, dut ajourner ses espérances et cacher ses complots.

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Cette crise rapide n'avait point interrompu les opérations militaires en Artois. La Meilleraie, le général favori de Richelieu, avait commencé le siége d'Aire, le 19 mai. Cette forte place, bâtie sur la Lys, à la tête d'un canal qui

défendait l'entrée de la West-Flandre, se rendit, le 26 juillet, après une résistance opiniâtre et meurtrière. Le cardinalinfant, devenu supérieur à La Meilleraie par la jonction de Lamboi et du duc de Lorraine, essaya, presque aussitôt, de reprendre Aire, dont il n'avait pu empêcher la prise : il parvint à obliger la Meilleraie d'évacuer son camp devant Aire, et s'établit dans les lignes mêmes de circonvallation et de contrevallation qui avaient servi aux assiégeants et que ceux-ci n'avaient pas eu le temps de détruire. La Meilleraie, quoique rejoint par le maréchal de Brezé avec la majeure partie de l'armée de Champagne, n'osa tenter de déloger l'ennemi à force ouverte on tâcha de faire lever le siége par une diversion; on alla prendre Lens et La Bassée, brûler les faubourgs et les moulins de Lille, puis enlever Bapaume en huit jours'; les Espa

1 La prise de Bapaume (18 septembre) occasionna une catastrophe sanglante, qu'on a reprochée à Richelieu comme une de ses plus barbares rigueurs, mais dont on ne nous paraît point avoir bien compris la vraie cause. Saint-Preuil, gouverneur d'Arras, officier très-brave et très-actif, mais d'humeur violente et pillarde, battait la campagne avec sa garnison, lorsque la garnison espagnole de Bapaume sortit, avec sauf-conduit, après avoir capitulé. Il la rencontra sur le soir, l'assaillit, la sabra et la dévalisa, soit par méprise ou autrement; le roi le fit arrêter et traduire, pour violation du droit des gens, devant les présidiaux d'Amiens et d'Abbeville réunis sous la présidence de l'intendant de Picardie. Saint-Preuil se fût probablement tiré d'affaire en soutenant qu'il n'avait pas connu à temps le sauf-conduit, et qu'il avait réparé le mal selon son pouvoir; mais d'autres griefs s'élevèrent contre lui et l'accablèrent. Il avait bâtonné un intendant d'armée, chose grave, car Richelieu employait les intendants de justice, police et finances dans les camps aussi bien que dans l'administration civile, et en faisait des espèces de légats politiques, commissaires dépendant absolument du ministre, et représentant directement sa pensée. D'une autre part, Saint-Preuil, malgré les expresses recommandations qu'il avait reçues de ménager Arras et le pays environnant, avait rançonné et violenté cruellement les habitants, et s'en était fait détester. Il fut sacrifié, non point au droit des gens, ni, comme on l'a dit, à des haines particulières, mais aux intérêts de la conquête française; on voulut prouver aux Artésiens, par un exemple terrible, que la France entendait protéger ses nouveaux sujets et leur tenir parole. Saint-Preuil fut condamné à mort et

gnols ne lâchèrent pas prise: Aire retomba en leur pouvoir par famine (7 décembre). Ce succès ne compensa pas un grand malheur qui les avait frappés durant ce siège. Le cardinal-infant, Fernand d'Autriche, était mort, le 9 novembre, d'une maladie causée ou aggravée par les fatigues de la guerre. Fils et frères de deux faibles et incapables monarques, ce prince avait déployé, dans la défense de la Belgique, des talents politiques et militaires du premier ordre. Ce fut le dernier homme, digne de ce nom, que produisit la branche espagnole de la maison d'Autriche.

Pendant ce temps, six mille hommes détachés de l'armée de Champagne, sous les ordres du comte de Grancei, avaient recouvré à peu près toute la Lorraine. Le duc Charles, revenu de Belgique, ne put sauver que Dieuse, Bitche et La Motte. Malgré le manque de foi du Lorrain, qui lui avait été si peu profitable, et la révolte du comte de Soissons, plus fatale encore à son auteur, la campagne se termina ainsi, sur les frontières du Nord et de l'Est, avec quelque avantage pour les Français.

L'avantage fut plus marqué en Italie, malgré la défection des princes de Savoie. Le comte d'Harcourt ne renouvela point les prodiges de 1640, mais il mena la guerre avec vigueur et succès : le principal résultat de la campagne fut la prise de Coni, la plus forte place des Alpes Piémontaises (15 septembre). Quelques semaines après,

décapité, le 9 novembre, pour concussions, exactions, oppressions, violences et outrages envers les sujets et les officiers du roi. On ne peut chercher là-dessous une vengeance du cardinal, comme dans l'affaire de Marillac; Richelieu n'avait, personnellement, que de la bienveillance pour Saint-Preuil, qui était étranger à tous les complots des mécontents. Voy. le résumé du procès dans Griffet, t. III, p. 333-342.

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- Levassor, t. VI, p. 347–352. — La relation de Pontis est un peu suspecte. Lettres du roi, dans le Mercure françois, t. XXIV, p. 116.

le prince de Monaco, de la famille génoise des Grimaldi, chassa de sa ville la garnison espagnole qui l'occupait depuis très-longtemps, et mit sa petite principauté, composée des ports de Monaco et de Menton, sous la protection de la France. Louis XIII lui donna, en récompense, le duché-pairie de Valentinois.

La guerre offrit, en Allemagne, cette année, des péripéties plus intéressantes, mais qui n'amenèrent rien de décisif, non plus que les négociations qui accompagnèrent les mouvements militaires. Les cris de l'Allemagne avaient obligé l'empereur à convoquer à Ratisbonne, dans l'automne de 4640, une diète générale pour aviser au rétablissement de la paix. Ferdinand III espéra tourner la diète contre la paix même, en rejetant la prolongation de la guerre sur le mauvais vouloir de la France et de la Suède il débuta par publier une amnistie tellement captieuse, que ceux qu'elle concernait n'eussent pu l'accepter sans se livrer à merci; encore, les princes palatins en étaient-ils exclus (Mercure, t. XXIV, p. 564). Les délibérations de la diète furent troublées d'une façon étrange et inopinée. Les généraux franco-suédois, Baner et Guébriant, étaient tout à coup sortis de leurs quartiers d'hiver et s'étaient réunis à Thuringe: ils traversèrent rapidement le Haut-Palatinat, et, le 29 janvier 1641, leur avant-garde passa le Danube sur la glace à Straubing, et poussa, par la rive méridionale du fleuve, jusqu'aux portes de Ratisbonne. Peu s'en fallut que les confédérés ne surprissent l'empereur à la chasse: tout son équipage de vénerie resta entre leurs mains. La terreur fut extrême dans Ratisbonne la diète fut sur le point de se disperser, comme l'avaient espéré les généraux alliés; mais Ferdinand III ne montra pas moins de fermeté que n'en avait

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