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déployé son père en semblable occasion, et déclara qu'il ne quitterait pas la ville, quoi qu'il advînt. Un brusque dégel le sauva : les généraux alliés, ne pouvant plus songer à occuper les deux rives du Danube, se retirèrent après avoir violemment canonné la cité impériale.

Piccolomini s'efforça de venger l'injure de l'empereur, et faillit accabler l'armée suédoise, qui s'était de nouveau séparée des Franco-Weimariens; mais Guébriant revint à temps pour sauver Baner. Celui-ci survécut peu aux fatigues de la belle retraite par laquelle il avait rejoint les Français. Les Impériaux et les Bavarois crurent tout gagné par la mort de ce grand capitaine (20 mai) : l'archiduc Léopold-Guillaume, frère de l'empereur, courut renforcer Piccolomini, et tous deux s'avancèrent au cœur de la Basse-Saxe, où ils croyaient n'avoir affaire qu'à des ennemis découragés et désorganisés. Ils se trompaient: Guébriant, aussi supérieur dans la diplomatie que dans la guerre, avait raffermi les esprits et déjoué les intrigues qui s'agitaient dans cette armée alliée, composée d'éléments si hétérogènes; les confédérés, très-inférieurs en nombre, acceptèrent la bataille sous les murs de Wolfenbuttel, et la gagnèrent (29 juin). La victoire ne fut pas cependant assez complète pour rendre les confédérés maîtres de la campagne contre un ennemi qui réparait promptement ses pertes, grâce aux contributions que la diète de Ratisbonne venait d'accorder à l'empereur: Guébriant et ses collègues ne purent que se défendre, jusqu'à l'arrivée d'un renfort suédois conduit par un nouveau général en chef, Tortenson, qui fut le digne successeur de Baner: la Suède était inépuisable en héros.

Le pacte de la France et de la Suède, qui expirait cette année, avait été renouvelé le 30 juin, malgré tous les ef

forts de la diplomatie autrichienne pour amener les Suédois à une paix séparée. On convint de rester unis jusqu'à la fin de la guerre, la France payant à la Suède un subside de 1,200,000 livres par an. L'empereur, n'ayant pu diviser ses deux principaux adversaires, fut obligé de reprendre sérieusement, au moins en apparence, les négociations pour la paix générale, d'après le vœu de la diète, qui avait invité toutes les puissances belligérantes à ouvrir enfin les conférences. Toute l'année se passa en débats entre d'Avaux, Lutzaw et Salvius, envoyés extraordinaires de France, d'Autriche et de Suède, réunis à Hambourg. La médiation du roi de Danemark parut enfin surmonter les difficultés soulevées par l'empereur, qui fit des concessions sur la forme tant débattue des sauf-conduits, et qui consentit au choix de Munster et d'Osnabrück pour le siége de la double conférence, choix proposé par l'envoyé de France à la place de Cologne et de Hambourg ou Lubeck, trop éloignés l'un de l'autre. Les préliminaires furent signés le 25 décembre 1641, et les peuples commencèrent d'espérer.

Vaine espérance! Il s'était passé quatre ans depuis les premières paroles de paix jusqu'à la signature des préliminaires; il devait s'en passer sept autres avant la paix de l'Allemagne, dix-huit avant la paix générale! Richelieu, en consentant aux apprêts de ces grandes conférences européennes tant annoncées, savait bien que l'orgueil hu milié de la maison d'Autriche ne voulait point de paix : il donnait une marque de bon vouloir qui ne le compromettait en rien. L'empereur, en effet, suscita de nouvelles chicanes sur la ratification des préliminaires, et l'année 1642 ne vit pas s'ouvrir les conférences 1.

1 Le Laboureur, hist. du mar. de Guébriant, liv. YI.

-Puffendorf, Comment.

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Richelieu était tout aux pensées guerrières, alors que furent signés les préliminaires de paix. L'élan victorieux de 1640 s'était un peu ralenti en 1641, mais sans qu'au fond les chances de succès définitif eussent diminué. Richelieu reconnut la nécessité de modifier ses plans. Nonseulement il était impossible d'augmenter les forces militaires, mais il fallait absolument alléger le fardeau du peuple, en même temps que porter à l'ennemi des coups décisifs. Le problème fut résolu : l'impôt, qui avait dépassé 118 millions en 1641, fut reduit à moins de 991, et, au lieu d'agir en conquérants partout à la fois, on décida de l'offensive à la défensive sur tous les points, un seul excepté; mais celui-là seul, on l'espérait, emporterait tout le reste. Le comte d'Harcourt fut rappelé d'Italie en France, afin de couvrir les frontières du Nord, de concert avec le maréchal de Guiche: le comte de Guébriant eut ordre de revenir en deçà du Rhin, d'occuper l'ennemi entre Rhin et Meuse, et, au besoin, de protéger l'Alsace. Tout l'effort de la campagne dut se concentrer vers les Pyrénées. On voulait frapper l'ennemi, non plus aux pieds ou aux bras, mais au cœur. Le roi en personne, accompagné du cardinal, s'apprêta à marcher en Roussillon; Perpignan conquis, Louis passerait les monts pour faire sa royale entrée dans sa ville de Barcelonne, et aller dicter la paix à l'Espagne dans Saragosse.

Ce plan ressortait naturellement de la situation, telle que l'avaient faite les révolutions de Catalogne et de Portugal; on eût probablement tenté de le réaliser dès 1641,

Rerum Suecicarum ; liv. XII-XIII.

Hist. des guerres et des négociations qui précédèrent le traité de Westphalie, composée sur les mémoires du comte d'Avaux, par le P. Bougeant, p. 533–490. C'est une des meilleures histoires diplomatiques que nous possédions.

W. Coxe, Hist. de la maison d'Autriche, c. 57-58.

1 Etat des finances, ap. Archiv. Curieus., 2o série, t. VI, p. 60.

sans l'inquiétude causée au ministre par les intrigues de Sedan et par la crise qui s'ensuivit. Il n'est donc pas besoin de chercher là-dessous une combinaison machiavélique de Richelieu, qui, alarmé du refroidissement du roi, voulait, a-t-on dit, se rendre indispensable à Louis en le précipitant dans une vaste et périlleuse entreprise. Cette entreprise était la conséquence logique et nécessaire de tout ce qui avait précédé.

Il est vrai pourtant, que Richelieu était assiégé de nouvelles inquiétudes, et que la mort du comte de Soissons ne lui avait point assuré un long répit. Jamais ce grand homme ne devait connaître, nous ne dirons pas le repos, mais la sécurité dans l'activité, mais le bonheur d'ètre tout entier à son but.

Cinq-Mars avait été d'abord très-effrayé de la mort du comte de Soissons; cependant, lorsqu'il avait vu que sa complicité avec le comte ne se découvrait pas, le favori s'était promptement remis de sa peur, et avait recommencé à disputer le terrain au ministre. Il était parvenu, en s'attachant sans cesse aux pas du roi, à se faire autoriser par Louis à rester en tiers dans les conseils les plus secrets qui se tenaient entre le roi et le cardinal. Richelieu patienta quelque temps, puis éclata, fit signifier à CinqMars de ne plus se présenter au conseil, et, l'ayant rencontré un moment après, l'écrasa de sa colère et de son mépris. Le roi, soit qu'il eût été prévenu ou non, dédire son ministre ni rouvrir le conseil à Cinq-Mars. L'orgueilleux jeune homme, ulcéré jusqu'au fond de l'âme, ne rêva plus que vengeance, et se consola de son affront en agitant avec son confident Fontrailles le projet d'assassiner le cardinal, projet dont Fontrailles revendique l'initiative dans ses Mémoires.

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Cinq-Mars, dans ces tête-à-tête, ne parlait que de poignards et de pistolets; en réalité, il n'était point assez complétement perverti pour que le meurtre du vieil ami de son père, de son propre bienfaiteur, ne lui inspirât pas quelque répugnance et quelque effroi. Tuer Richelieu était, pour lui, une espèce de pis-aller: il ne désespérait pas que le roi, en secouant le joug, ne lui épargnât cette peine; le bon sens et la mauvaise humeur de Louie étaient toujours en guerre lorsqu'il s'agissait du cardinal: le roi cédait toujours, mais cédait en grondant à la hautaine et sévère raison de Richelieu, et s'en dédommageait en déchirant son ministre de compte à demi avec son favori, violant ainsi l'engagement qu'il avait pris jadis avec Richelieu de lui rapporter tout ce qu'il entendrait dire contre lui. Cinq-Mars voyait le roi applaudir à tous ses sarcasmes i essaya de faire passer Louis des paroles à l'action; Louis, alors, lui avoua qu'il ne pouvait se priver des services du cardinal, et lui laissa entendre que, Richelieu vînt-il à mourir, ce ne serait pas lui, Cinq-Mars, qu'il prendrait pour premier ministre.

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Cinq-Mars, fort désappointé, changea de batteries, et se lia étroitement au duc d'Orléans, afin d'agir de concert avec ce prince contre Richelieu, soit immédiatement, soit en cas de mort du roi, dont la santé était toujours chancelante. Frontrailles conseilla derechef au favori et au prince de ne pas attendre si longtemps, et de recourir à des moyens plus expéditifs. Gaston n'en parut point éloigné; mais il fallait des alliés, une place de refuge. On jeta les yeux sur Sedan, et l'on tâcha de rengager dans les conspirations le duc de Bouillon, qui en sortait à peine. Cinq-Mars avait déjà noué des relations avec ce duc par l'intermédiaire d'un ami commun, d'Augustin

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