Images de page
PDF
ePub

de Thou, fils de l'illustre historien de ce nom : c'était un homme d'esprit et de savoir, mais qui avait plus de cœur que de jugement, et qui était loin de posséder les qualités solides de son père : constant dans ses affections, il était si mobile dans ses habitudes et dans ses goûts, qu'on l'avait surnommé « Son inquiétude. Il avait endossé tour à tour la robe et l'épée : d'abord protégé par Richelieu, qui l'avait nommé intendant d'armée', il s'était mêlé, fort mal à propos, de quelque cabale avec madame de Chevreuse; Richelieu ne l'avait pas puni, mais avait cessé de l'employer. Depuis, il avait pris le ministre en haine, et s'était laissé séduire par les déclamations des partis contre « l'oppresseur de la France et le perturbateur de l'Europe. » Quand Cinq-Mars lui révéla le dessein d'attenter à la vie de Richelieu, il se récria et protesta de ne jamais tremper ses mains dans le sang; cependant il ne se sépara point du complot, et consentit d'aller porter au duc de Bouillon, dans ses terres de Périgord, l'invitation de venir conférer à Paris avec Cinq-Mars. Le duc fut mandé à la fois par le favori et par le roi, ou plutôt par le ministre; Richelieu, voulant regagner Bouillon tout en l'éloignant de Sedan et de la cour, avait projeté de lui confier l'armée d'Italie. Le duc accepta en même temps l'offre du ministre et les propositions des conspirateurs, promit de recevoir au besoin Gaston et Cinq-Mars dans Sedan, et les pressa de traiter avec l'Espagne; ils y étaient tout décidés d'avance. Il ne paraît pas que Cinq-Mars ait vu la moindre différence entre une intrigue de cour et le crime de haute trahison.

1 Ceci prouve le peu de fondement de l'anecdote suivant laquelle Richelieu aurait poursuivi l'historien de Thou dans son fils, parce que l'historien avait maltraité, dans son livre, un oncle du cardinal.

On touchait à la fin de décembre, lorsque le roi tomba très-sérieusement malade. Pendant huit ou dix jours, tout fut en suspens. Le favori voyait le péril de son maître avec plus de joie que de crainte Gaston lui faisait les plus belles promesses, et il avait servi d'intermédiaire entre Gaston et la reine, qui communiquait, d'un autre côté, par de Thou, avec Bouillon. Toutes les mesures étaient prises afin de disputer à Richelieu la régence et les enfants de France, si le roi les lui confiait par testament. L'événement prévu n'eut pas lui. Louis se remit promptement, sinon complétement, et les préparatifs du Voyage de Roussillon furent repris avec activité, malgré les insinuations de Cinq-Mars. Richelieu, sur ces entrefaites, tenta une dernière fois de se débarrasser, par une transaction, de cet ennemi domestique : il lui fit offrir le gouvernement de la Touraine. C'était « lui aplanir le chemin de la retraite. » Cinq-Mars refusa. Désormais ce fut entre eux un duel à mort. Le criminel dessein arrêté entre les conspirateurs avant la maladie du roi était en voie d'exécution: Fontrailles allait partir pour l'Espagne au nom de Gaston, de Cinq-Mars et de Bouillon, et à l'insu d'Augustin de Thou, qui, suivant le dire de Fontrailles, « était partout, mais ne voulait rien savoir, » ménageant les rendez-vous secrets des conjurés et s'abstenant d'assister à leurs conférences. De Thou, nourri dans les traditions parlementaires, n'eût pu se résoudre à participer directement à un traité avec les ennemis de l'Etat ; mais ce serait pousser un peu loin la crédulité que d'admettre qu'il ne soupçonnait rien de ce qui se passait.

Richelieu, aussi, songeait à se préparer pour toutes les éventualités. Il avait, dit-on, projeté de mettre les enfants de France en mains sûres dans le château fort de Vincen21

T. XIII.

nes, et d'obliger la reine et le duc d'Orléans à suivre le roi en Roussillon; mais Anne obtint du roi de rester à Saint-Germain avec ses enfants, et Gaston, de demeurer dans son apanage. Du moins, le commandement de Paris et des provinces du nord fut confié au prince de Condé, sur qui Richelieu pouvait compter. Le roi et le cardinal, dans les derniers jours de janvier, prirent la route de Lyon, au bruit d'une nouvelle victoire.

Le comte de Guébriant, d'après ses instructions, s'était séparé des Suédois au mois de décembre et avait repassé le Rhin avec les Franco-Weimariens et les Hessois. Menacé d'être accablé entre deux corps d'armée ennemis entre les Impériaux de Lamboi et les Bavarois de Hatzfeld, il prit son parti en héros : il courut attaquer Lamboi à Kempen, dans l'électorat de Cologne, avant que Hatzfeld eût pu le joindre (17 janvier 1642). Ni la supériorité du nombre, ni les levées et les palissades qui protégeaient le camp de Lamboi, n'arrêtèrent les Franco-Allemands. Les retranchements furent forcés : l'infanterie ennemie, acculée à un fossé profond, fut taillée en pièces ou mit bas les armes; la cavalerie impériale, par deux fois rompue, sabrée, écrasée, laissa ses généraux et presque tous ses officiers au pouvoir de l'armée victorieuse; le vainqueur de La Marfée, Lamboi, fut envoyé prisonnier à Paris, et cent soixante-deux drapeaux et cornettes furent appendus aux voûtes de Notre-Dame. Huit à neuf mille Impériaux étaient morts ou captifs. Hatzfeld, épouvanté, n'osa disputer la campagne à Guébriant, qui occupa, presque sans résistance, une grande partie de l'électorat de Cologne et du duché de Juliers'.

1 Le Laboureur, Hist. dù mar. de Guebriant, liv. VI-VII. t. XXIV, p. 644-620.

[ocr errors][merged small]

Richelieu ne pouvait se mettre en route sous de plus heureux auspices; cependant, son voyage fut plein d'ennuis et d'alarmes. Il suivait le roi à une journée de distance; son cortége était plus splendide et plus nombreux que celui du roi, les mêmes gîtes pouvaient rarement suffire aux deux équipages. De temps en temps, le roi et le ministre se rejoignaient dans les principales villes. A chaque entrevue, Richelieu remarquait avec anxiété l'aigreur croissante de Louis à son égard et les progrès de CinqMars. Le favori avait ressaisi l'espoir d'amener le roi à son but, et, au moment même où son agent passait les Pyrénées pour traiter avec l'ennemi, il se flattait derechef de n'avoir pas besoin de l'Espagne. Louis semblait fatigué au dernier point de son tyran, et montrait envers Richelieu un tel mélange d'aversion et de crainte, que CinqMars crut l'amener moins difficilement à laisser tuer le cardinal qu'à le disgracier, et osa lui en faire la proposition: Louis ne la repoussa pas trop vivement! Un homme plus affermi dans le crime que n'était Cinq-Mars n'en eût pas demandé davantage. Le favori s'assura de quelques officiers aux gardes; mais, à l'instant de frapper, la main lui trembla il manqua l'occasion de risquer le coup : Briare, et l'ajourna à Lyon. Il avait donné rendez-vous dans cette ville aux ducs d'Orléans et de Bouillon, afin de les associer au grand attentat qu'il méditait. Les deux princes voulurent lui en laisser la responsabilité, et ne vinrent pas. Il n'osa agir seul. Le voyage s'acheva sans encombre le roi arriva à Narbonne le 10 mars, et Richelieu, le 12.

à

La campagne s'était d'abord mal engagée dans le Roussillon le maréchal de Brezé, nommé vice-roi de Catalogne dans l'automne de 1641, n'avait pas su empêcher neuf

:

mille Espagnols débarqués à Collioure de ravitailler Perpignan (fin janvier 1642). Cet échec devait retarder le succès des armes du roi. On se hâta de travailler à le réparer, et, dès le 12 mars, le jour même de l'arrivée du cardinal à Narbonne, le maréchal de la Meilleraie entra en campagne avec seize mille hommes d'élite et le vicomte de Turenne pour lieutenant général. Turenne, tout entier à ses travaux guerriers et plein de respect pour le génie du ministre, qu'il était si digne de comprendre, demeurait absolument étranger aux complots de son frère. On jugea nécessaire de commencer par fermer aux ennemis la voie de la mer, et l'on entama le siége de Collioure, le seul port par lequel les Espagnols pouvaient secourir Perpignan. La flotte française du Levant, aux ordres du bailli de Forbin, général des galères, vint compléter le blocus de Collioure.

La flotte espagnole n'étant pas prête, Olivarez enjoignit au marquis de Povar, qui commandait un corps d'armée à Tarragonne, de traverser la Catalogne et les Pyrénées avec trois mille cavaliers et deux mille cinq cents fantassins montés sur des chevaux, des mulets et des ânes, afin d'aller secourir Collioure par terre. L'entreprise était extravagante. Povar ne put pas seulement passer le Llobregat serré dans les montagnes entre les troupes françaises de La Motte Houdancourt, qui venait de recevoir cinq mille hommes de renfort, et les milices catalanes levées en masse au bruit du tocsin, il fut battu à deux reprises, à Martorell, puis à Villafranca, et obligé de se rendre prisonnier avec toute sa petite armée (fin mars). Pendant ce temps, La Meilleraie emportait d'assaut les hauteurs fortifiées qui défendaient les abords de Collioure, puis le corps de la place; la garnison espagnole, forte de

« PrécédentContinuer »