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trois mille hommes, se réfugia dans la citadelle, qu'elle rendit, le 13 avril, avec le fort Saint-Elme. L'armée française commença, aussitôt après, la cirvonvallation de Perpignan. La conquète de cette importante cité, désormais complètement isolée de l'Espagne, n'était plus qu'une question de temps; aussi égargna-t-on le sang et la sueur des soldats. Le siége de Perpignan ne fut guère qu'un blocus. La Meilleraie avait été renforcé par des troupes françaises, catalanes et roussillonnaises. Ses vingt-six mille soldats 1, couverts, du côté de la mer, par une belle flotte et par la possession des ports, du côté de la terre, par la chaîne des Pyrénées et par le massif de la Catalogne, que gardait une armée victorieuse, n'auraient eu rien à craindre des efforts de l'Espagne, quand l'Espagne eût été conduite par un chef plus habile ou plus heureux qu'Olivarez. La Motte-Houdancourt, qui continuait de commander l'armée de Catalogne, pendant que le vice-roi Brezé était malade de la goutte à Barcelonne, ne se contentait pas de défendre la nouvelle province française; il avait entamé l'Aragon par la prise de Tamarit et de Monçon, et envoyait des partis presque jusqu'aux portes de Saragosse.

Ainsi, sur les Pyrénées comme sur le Rhin, la fortune des armes était fidèle à Richelieu, et justifiait ses vastes combinaisons. Triste contraste que ces prospérités extérieures avec sa situation intime! Son corps épuisé semblait près de succomber sous la réaction de la nature tant de fois vaincue. Saisi par la fièvre, le 18 mars, aux prises tout à la fois avec les angoisses morales et les douleurs physiques, il luttait contre la maladie et contre l'intrigue;

1 Dans ce nombre figuroient quinze cents volontaires nobles, commandés par le duc d'Enghien, qui devait être bientôt le Grand Condé, et qui se trouvait, pour la première, fois à côté de Turenne.

il mesurait encore toutes les chances du présent et de l'avenir; il comptait ses partisans ; il empruntait la plume de ses fidèles secrétaires d'Etat, de Noyers et Chavigni, car son bras rongé par des ulcères lui refusait le service, pour écrire à tous ces généreux capitaines qui s'étaient formés sous son ministère, et qui, dédaigneux des cabales de cour, ne connaissaient que la France et le grand cardinal. On a conservé les lettres dans lesquelles il rappelle à Guébriant et à Gassion que sa cause est la leur : il sollicitait même l'intervention des alliés auprès du roi, et fit parler dans ce sens au prince d'Orange par le comte d'Estrades, ambassadeur de France en Hollande. Le prince Frédéric-Henri insinua au roi que, s'il était vrai que le cardinal dût quitter les affaires, les Provinces-Unies feraient au plus tôt leur paix particulière avec l'Espagne.

Malgré l'opposition maladroite de Cinq-Mars, le cardinal fit envoyer le bâton de maréchal à Guébriant et à La Motte-Haudancourt, qui l'avaient si bien gagné. Ce succès, compensé par maintes contrariétés, ne consola pas Richelieu de ne pouvoir suivre le roi devant Perpignan, lorsque Louis, que Cinq-Mars ne quittait pas plus que son ombre, se transporta, le 22 avril de Narbonne au camp de La Meilleraie. L'auteur de la Vie de Gaston raconte, d'après un ministre d'État témoin oculaire (probablement Chavigni ou de Noyers), que Richelieu, dans ses adieux au roi, parut très-fier et préparé à tout, excepté à mourir. « Sire, » lui aurait-il dit, « je ne vous parlerai ni de mes services ni de ma personne : c'est un objet désagréable que je veux éloigner de vos yeux. Votre Majesté peut exercer sur moi toute sa puissance royale, et me faire sentir les plus rudes effets de sa colére; mais rien ne m'empêchera

jamais de paraître où le besoin de l'État et le danger de votre personne me pourront appeler, »

On ne dit pas ce que le roi répondit. Plusieurs semaines s'écoulèrent, longues comme des siècles. Les souvenirs de La Rochelle devaient agiter cruellement le malade sur le lit où la souffrance enchaînait son héroïque activité. Le mal opiniâtre ne cédait pas. Le 23 mai, le cardinal dicta son testament à un notaire de Narbonne. Il y réglait, d'après les principes du droit d'afnesse et des substitutions, le partage de sa riche succession entre les deux branches de sa famille, les Vignerod de Pont-Courlai, dont l'aîné devait prendre le nom et les armes des Richelieu, et les Maillé-Brezé. Parmi ces dispositions domestiques, dans lesquelles les habitudes nobiliaires reprennent le dessus sur les tendances politiques, on distingue quelques articles d'un intérêt plus général. Richelieu renouvelle le legs quil avait déjà fait du Palais-Cardinal au roi : il ordonne de remettre au roi une somme de 1 million 500,000 livres qu'il tenait en réserve pour les nécessités imprévues de l'Etat, « qui ne peuvent souffrir la longueur des formes de finances. Cette clause est une sorte de liquidation entre sa fortune personnelle et la fortune publique, qu'il distinguait peu dans ses habitudes de monarque absolu. Il lègue sa bibliothèque au public, avec les conditions les mieux entendues et les plus libérales. Il termine par ces remarquables paroles :

« Je ne puis que je ne die, pour la satisfaction de ma conscience, qu'après avoir vécu dans une santé languissante, servi assez heureusement dans des temps difficiles et des affaires très-épineuses, et expérimenté la bonne et mauvaise fortune en diverses occasions, en rendant au roi ce à quoi sa bonté et ma naissance m'ont obligé particu»

lièrement, je n'ai jamais manqué à ce que j'ai dû à la reine sa mère, quelques calomnies que l'on m'ait voulu imposer à ce sujet '. »

Richelieu ne se croyait pas si près de sa fin que semblait l'indiquer cet acte solennel. Le vieux lion faisait le mort pour mettre ses ennemis hors de garde, mais il avait toujours l'œil et l'oreille aux aguets, et rassemblait le reste de ses forces en silence. Après avoir, dit-on, tâché en vain de rappeler le roi auprès de lui à Narbonne, Richelieu, se trouvant en état d'être transporté, résolut de quitter cette ville pour se rapprocher du Rhône, soit qu'il craignît réellement les exhalaisons malsaines des lacs salés du pays narbonnais, soit qu'il espérât rendre plus difficiles, par la distance, les entreprises de Cinq-Mars contre sa personne.

Le dénoûment approchait. Par la plus étrange des complications, Cinq-Mars, tout en essayant de décider le roi à conspirer avec lui contre le ministre, n'avait pas renoncé à conspirer avec l'étranger contre le roi ou du moins contre le royaume, Le 13 mars, son envoyé Fontrailles avait signé à Madrid, avec le comte-duc d'Olivarez, un traité par lequel l'Espagne s'engageait à fournir sous bref délai au duc d'Orléans douze mille fantassins, cinq mille chevaux, 400,000 écus comptants, 12,000 écus par mois, à compter du jour où Gaston se serait retiré à Sedan; Gaston et ses lieutenants Cinq-Mars et Bouillon commanderaient les troupes alliées au nom de l'empereur; le Roi Catholique leur assurait de fortes pensions, avec un subside pour munir et défendre Sedan. Gaston et ses adhérents se déclaraient ennemis des Suédois et de tous les autres ennemis de l'Empire et de l'Es

1 Ce testament est imprimé à la suite de l'Hist. du cardinal de Richelieu, par Auberi, t. II.

pagne. On protestait de ne rien entreprendre contre le Roi Très-Chrétien, ni au préjudice de ses Etats, ni contre les droits de la reine régnante, c'est-à-dire que l'Espagne entendait réduire la France à son ancien territoire, et réserver les droits d'Anne d'Autriche à la régence.

Fontrailles rapporta le pacte fatal à Cinq-Mars, un peu avant que le roi quittât Narbonne : avis en fut expédié à Gaston et à Bouillon, qui était en route pour aller prendre le commandement de l'armée d'Italie; puis l'original du traité fut envoyé au duc d'Orléans. Gaston le garda sans le signer ni en adresser la ratification au gouverneur des Pays-Bas espagnols, comme on en était convenu. Le pacte avec l'ennemi semblait, en effet, devoir être un crime inutile; car Cinq-Mars espérait, en ce moment, substituer au traité clandestin un traité de paix approuvé par le roi. Il avait été rejoint, le 19 avril, par de Thou, que la reine avait instruit du voyage de Fontrailles à Madrid, et qui n'en resta pas moins lié aux conspirateurs, mais qui s'efforça de leur faire atteindre le but par d'autres moyens. CinqMars et de Thou prirent le roi par ses scrupules religieux, lui prêchèrent la paix, lui montrèrent le sort des armes douteux, le roi d'Espagne s'apprêtant à un effort désespéré par terre et par mer pour sauver Perpignan, le circonvinrent enfin si bien, que Louis, fatigué, affaissé par un retour de sa dernière maladie, leur permit d'écrire à Rome et à Madrid, à l'insu du cardinal, afin d'entamer une négociation directe. Les conspirateurs eurent quelques jours d'enivrement; déjà de Thou se croyait sur le point de remplacer le ministre de la guerre Sublet de Noyers. Tout le monde, parmi les ennemis de Richelieu, n'avait pas cette confiance : les vieux courtisans hochaient la tête; de Thou n'écouta aucun avis.

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