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langue qui devait être l'instrument de notre suprématie intellectuelle; il favorisa, avec un zèle, sinon très-éclairé, au moins très-ardent, la création du théâtre national où allait éclater si splendidement cette suprématie. Cardinal de l'Église romaine, il soutint les droits de l'Etat contre Rome; il respecta la liberté de conscience, tout en détruisant la faction calviniste; il continua et réalisa la pensée d'un roi et d'un ministre philosophes; il ruina la politique hispano-romaine, et prépara la fondation du droit des gens sur l'équilibre des forces, qui n'était pas, comme on l'a dit, un mécanisme matériel, mais l'application du principe de l'égalité entre les nations, proclamé par Henri IV et Sulli; avec lui, les victoires de la France furent les victoires de la justice et de la civilisation. Simple ministre, il dépassa de beaucoup en hardiesse, dans ses tentatives de réforme intérieure, le grand roi qui l'avait précédé; si le destructeur des châteaux ne put abattre avec les forteresses féodales, les priviléges nobiliaires et sacerdotaux qui écrasaient le peuple, ce n'est pas lui, c'est la société de son temps qu'on en doit accuser. Bref, il fit pour le pays à peu près tout ce qui était possible; il fit, à l'intérieur, vis-à-vis des protestants, à l'extérieur, vis-àvis des nations étrangères, tout ce qui était légitime; l'honneur de tout ce qui s'est opéré de juste et de grand après lui dans la même voie, doit remonter jusqu'à lui; la responsabilité de ce qui s'est fait d'inique et de fatal hors et au delà de cette voie ne saurait lui être imputée : on ne peut pas même lui faire un crime d'avoir rendu possibles les aberrations du pouvoir absolu; car l'étude de la société du dix-septième siècle et l'exemple des Etats Généraux de 1614 prouvent que l'organisation des garanties politiques et de la représentation nationale était alors

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impraticable la France ne voulant plus des libertés aristocratiques et privilégiées, et n'étant pas mûre pour la Liberté et l'Égalité, il n'y avait place que pour la monar

chie pure.

Quand on sut que le terrible cardinal était mort, bien mort cette fois, un mouvement de joie électrique, parti de la cour, traversa les provinces et alla éclater à l'étranger. Il est douloureux à dire qu'il y eut des feux de joie sur beaucoup de points de la France, à cette nouvelle, qui allait relever de la poussière les ennemis de la France1! La politique du dévoùment et de l'héroïsme est dure à cet amour du bien-être matériel qui possède les hommes! Chacun respirait en sentant se détendre la main de fer qui avait si longtemps entraîné la France en avant. Il fallut du temps pour que la foule revînt à partager les regrets de cette minorité éclairée qui s'était associée volontairement et sciemment à l'œuvre du grand homme.

L'allégresse des courtisans et de tous les ennemis du gouvernement national fut de courte durée : la froideur, et presque la satisfaction avec laquelle Louis XIII avait vu finir son ministre et son maître, faisait illusion à la cour; c'était l'homme, non le roi, qui se montrait satisfait d'être soulagé d'un joug impérieux. Le roi tint toutes les promesses faites au ministre mourant. Le jour même de la mort de Richelieu, Louis déclara aux secrétaires d'état de la guerre et des affaires étrangères, de Noyers et Chavigni, au chancelier Séguier et au surintendant Bouthillier, qu'il leur conservait la confiance qu'avait mise en eux le feu cardinal le cardinal Mazarin fut appelé au conseil ; le roi fit assurer de sa protection tous les parents de Ri

1 Griffet, Hist. de Louis XIII, t. III, p. 579.

chelieu, et non-seulement les maintient dans leurs charges et honneurs, mais partagea entre eux les principaux offices et bénéfices du défunt; le gouvernement de Bretagne fut confié au maréchal de La Meilleraie; la surintendance de la navigation, avec le gouvernement de Brouage et des îles, au marquis de Brezé; le généralat des galères, avec le gouvernement du Havre, à l'aîné des petits-neveux du cardinal, qui changea son nom de Pontcourlai en celui de duc de Richelieu. Le 5 décembre, une circulaire royale avertit les parlements et les gouverneurs des provinces que le roi était résolu « de conserver tous les établissements ordonnés durant le ministère du feu cardinal, et de suivre tous les projets arrêtés avec lui pour les affaires du dehors et de l'intérieur. » Louis déclarait qu'il avait appelé dans ses conseils, auprès des anciens ministres, le cardinal Mazarin, dont il n'était pas moins assuré que s'il fût né parmi ses sujets. » Le 6, d'autres lettres annoncèrent aux ambassadeurs que le roi maintiendrait la bonne correspondance existant entre lui et ses alliés, et continuerait la guerre avec la même application et les mêmes efforts que par le passé, jusqu'à ce qu'il pût contribuer, avec tous ses alliés, « à l'établissement du repos général de la chrétienté. » Le 9 décembre, la déclaration qui excluait Gaston de tout droit politique fut portée et enregistrée au parlement'.

Les dernières volontés des plus puissants monarques ont presque toujours été méconnues: Richelieu régna encore du fond de son cercueil!

Le roi, cependant, ne put, comme il l'annonçait, sui

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1 Griffet, t. Ill, p. 584 et suivantes. Levassor, t. VI, p. 656 et suivantes. Mém. de Montglat, 5e série, t. V, p. 133-15ł.

de Guébriant, I. VIII, c. 44.

Hist.

vre les projets arrêtés avec son ministre. La mort, non contente d'une si grande victime, réclamait une seconde proie. Peu de semaines après les funérailles de Richelieu, on vit Louis XIII retomber dans la langueur d'où il était un moment sorti, et pencher lentement vers la tombe. Alors le système de Richelieu commença de subir quelque relâchement. Aussitôt après la mort du cardinal, deux tendances contraires avaient commencé à se manifester dans T le conseil. De Noyers eût voulu maintenir non-seulement C la politique générale, mais toutes les rigueurs individuelles de Richelieu, si ce n'est envers la reine; car il comprenait qu'un point d'appui était nécessaire dans un avenir prochain, et il prétendait s'acquérir des titres à la reconnaissance d'Anne d'Autriche. Mazarin et Chavigny, de leur côté, jugeaient prudent de relâcher un peu le ressort que la main de Richelieu pouvait seule tenir tendu avec cette violence. Chavigni savait que la reine nourrissait de profonds ressentiments contre son père le surintendant, et contre lui; il essaya de chercher assistance ailleurs it engagea Mazarin à intercéder avec lui près du roi pour Gaston. Louis consentit que la déclaration enregistrée au parlement ne fût pas publiée, puis permit à Gaston de reparaître à la cour (13 janvier 1643). Les maréchaux de Bassompierre et de Vitri, embastillés, celui-ci, depuis six ans, celui-là, depuis douze, furent remis en liberté avec quelques autres captifs (19 janvier). Le duc de Vendôme fut autorisé à rentrer en France, et ses fils, à revenir à la cour.

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La rechute du roi (21 février) accéléra ce mouvement de réparation ou de pardon. Les prisons d'état se vidaient peu à peu les prisonniers et les exilés regagnaient à petit bruit leurs châteaux, en attendant mieux. Chacun se

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préparait et faisait ses plans pour la situation nouvelle dont on approchait. La lutte sourde qui existait dans le conseil éclata au printemps, par la disgrâce de Sublet de Noyers. Ce secrétaire d'état avait plu au roi par sa dévotion minutieuse, par son esprit exact et laborieux, par sa haine du luxe et du faste, et même, pour ainsi dire, par sa piètre mine et le peu d'élégance de ses manières. La tête lui tourna; il se crut déjà premier ministre, et trancha du Richelieu avec le roi. Louis, qui ne lui reconnaissait que l'étoffe d'un bon commis, le rudoya et lui donna son congé (10 avril). De Noyers' fut remplacé, dans le ministère de la guerre, par Le Tellier, intendant de l'armée d'Italie, personnage destiné à une longue carrière politique.

La chute de Sublet de Noyers avait été déterminée, diton, par une tentative malheureuse faite auprès de Louis en faveur de la reine. De Noyers avait tâché d'amener le roi à léguer la régence sans conditions à sa femme. Louis en était bien éloigné. La naissance de ses deux fils ne l'avait point réconcilié avec leur mère, et il conservait autant de défiance et d'aversion pour Anne que pour Gaston lui-même : il n'oublia jamais, jusqu'à son dernier moment, ni l'affaire de Chantilli, ni celle de Chalais'. Après de longues discussions avec Mazarin et Chavigni,

La plupart des écrivains contemporains le nomment Desnoyers, mais sa correspondance est signée de Noyers.

2 « J'ai su de M. de Chavigni même,» raconte La Rochefoucauld, « qu'étant allé trouver le roi de la part de la reine, pour lui demander pardon de tout ce qui avait pu lui déplaire, elle le chargea particulièrement de le supplier de ne point croire qu'elle fut entrée dans l'affaire de Chalais, ni qu'elle eût jamais trempé dans le dessein d'épouser Monsieur, après que Chalais aurait exécuté la conjuration qu'il avait faite contre la personne du roi. Il répondit à M. de Chavigni sans s'émouvoir : En l'état où je suis, je suis obligé de lui pardonner, mais non pas de la croire ! » Mém. de La Rochefoucauld, coll. Michaud, 3e série, t. V, p. 391.

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