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Le lendemain, 15 mai, la reine ramena de Saint-Germain au Louvre le nouveau roi, qui n'avait pas encore accompli sa cinquième année. Le 18, elle le conduisit tenir un lit de justice au parlement. Gaston et Condé furent fidèles à leur parole: ils déclarèrent que l'autorité de la régence était due tout entière à la reine, et ne réclamèrent d'autre part dans les affaires que celle qu'il lui plairait leur donner. Le chancelier adhéra aux sages paroles des deux princes, et l'avocat général Omer Talon donna des conclusions conformes, rétractant tout ce qu'il avait dit, par nécessité, trois semaines auparavant, en faveur de la déclaration royale qui instituait le conseil de régence. Les restrictions imposées à la régente dérogeaient, dit-il, aux principes et à l'unité de la monarchie. Le conseil obligatoire fut aboli par le parlement garni de pairs, à l'unanimité des voix, moins la voix de la régente, qui s'abstint dans sa propre cause. Le duc d'Orléans garda seulement les titres honorifiques de lieutenant général du royaume et de chef des conseils sous l'autorité de la reine, le prince de Condé devant présider en son absence. On ne résolut pas explicitement la question de savoir si la régence appartenait de droit à la mère du roi mineur; mais on établit que la reine, une fois reconnue régente en vertu des dernières volontés du feu roi consenties les par grands du royaume, avait, de droit, la plénitude du pouvoir royal.

Il y avait deux ans à peine que la royauté avait signifié durement au parlement, pour la vingtième fois, la défense de s'immiscer dans les affaires publiques et l'ordre de se renfermer dans ces fonctions judiciaires, dont on ne lui permettait même pas de défendre, contre l'arbitraire royal, les formes régulières et permanentes; et maintenant la

royauté venait abaisser sa couronne devant ce même parlement, et lui déférer l'énorme pouvoir de casser le testament d'un roi, comme contraire, non point aux lois écrites, mais à des principes problématiques et susceptibles d'interprétations diverses. Chaque minorité royale ramenait un spectacle à peu près semblable: les institutions de la monarchie demeurèrent un problème jusqu'à la fin de la monarchie, et le parlement ne cessa d'osciller entre ces deux extrémités de profond abaissement et de puissance immodérée, mais éphémère.

A ce coup, on croyait bien le système de Richelieu par terre après l'étrange révolution accomplie au profit de la reine et du parlement, ces deux ennemis si longtemps humiliés et persécutés par le cardinal, que restait-il à faire, sinon d'abandonner ses plans, de chasser ses partisans et de condamner judiciairement sa mémoire? C'était là le cri unanime de la jeune cour, au retour du lit de justice. On disait que les ministres préparaient leur retraite, et que Mazarin faisait ses paquets pour l'Italie : on proclamait le beau duc de Beaufort favori en titre; on désignait les mannequins ministériels qui devaient remplacer les commis de Richelieu pour le plus grand bien des courtisans et des dames.

Le soir, quand la foule des courtisans rentra au Louvre, elle rencontra sur le seuil une nouvelle étonnante, incroyable Mazarin restait; Anne d'Autriche avait choisi pour premier ministre l'ami de Richelieu !

Tandis qu'Anne exprimait hautement une haine irréconciliable pour tout ce qui avait tenu au dernier gouvernement, et que ses créatures croyaient lui plaire en s'abstenant de toutes relations avec les ministres et leurs amis, elle avait secrètement accueilli, plusieurs semaines

avant la mort de Louis XIII, les offres et les protestations de Mazarin, qui s'était excusé de la déclaration du 20 avril sur les invincibles préventions du roi; elle avait résolu d'accepter les services de l'habile Italien et d'arrêter la réaction près de déborder. A mesure qu'elle approchait de l'autorité suprême, tous ses sentiments subissaient une transformation qui n'est pas rare en pareille occurrence: ses sympathies espagnoles s'affaiblissaient, ses rancunes se calmaient en partie; elle avait l'instinct, sinon tout à fait l'intelligence du pouvoir; elle avait senti que se livrer à ses anciens compagnons de malheur et de complot, c'était déchaîner l'anarchie et la ruine autour du berceau de son fils. Il y eut sans doute chez elle de rudes combats: d'une part, la mémoire des services et des offenses, les auciennes affections, la communauté des souffrances et des ressentiments; de l'autre, les nouvelles affections et les devoirs nouveaux se disputaient son âme. La reine et la mère triomphèrent de la sœur et de la femme, et, s'il faut tout dire, la femme d'aujourd'hui aida la reine et la mère à vaincre la femme d'hier. Chez une personne du caractère d'Anne d'Autriche, la galanterie se devait mêler à toute chose, et la belle figure, les manières élégantes, l'esprit insinuant et les flatteries délicates de Mazarin firent peutêtre autant pour lui que toutes les raisons politiques du monde. Il avait, dit-on, quelque chose de l'air et du visage de Buckingham.

On attribue néanmoins à la reine un mot qui, s'il est authentique, lui assurerait véritablement l'honneur d'une détermination nettement comprise et raisonnée. On raconte qu'un jour Anne s'arrêta devant le portrait de Richelieu, le beau portrait qui est aujourd'hui au musée du Louvre, et qu'après avoir longtemps contemplé en rêvant

l'image de l'homme qui l'avait humiliée, abaissée toute sa vie, qui avait vaincu l'un de ses amants et tué l'autre, elle s'écria: «Si cet homme vivait, il serait aujourd'hui << plus puissant que jamais!»

Le lendemain du jour où le ministre que Richelieu avait désigné comme son succeseur recevait le pouvoir des mains d'Anne d'Autriche, la grande bataille de Rocroi ferma le règne de Richelieu, et ouvrit le règne, ou du moins le siècle de Louis XIV'.

1 Mém. de Brienne, 3e série, t. III, p. 73–79. — Mém. de La Châtre, ibid., p. 272Mém. de madame de 281. Mém. de La Rochefoucauld, ibid., t. V. p. 391-393. Motteville, ibid., t. X, p. 45-47. - Mém. d'Omer Talon, ibid., t. VI, p. 89-71. — S'il faut en croire La Châtre, un homme qui inspirait à la reine une juste vénération saint Vincent de Paul, aurait beaucoup contribué à la décider en faveur de Mazarin.

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