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décroissante, suivant qu'elles s'approchent ou s'éloignent du soleil; l'astronome souabe reconnaît les forces centrifuge et centripète, et aperçoit l'attraction sous ces qualités occultes que Galilée commence à expulser de la physique. Galilée répond à l'Astronomie nouvelle par le Messager des astres (Sidereus nuncius). Au bruit de la découverte, faite en Hollande, d'un instrument destiné à rapprocher de l'œil les objets éloignés, un rayon nouveau illumine le sage florentin; il refait, d'inspiration, le télescope, en lui donnant une puissance bien supérieure, et le tourne vers la voûte céleste. Les planètes grossissent comme de petites lunes la lune, agrandie comme une petite terre, montre ses montagnes gigantesques; les satellites de Jupiter apparaissent, puis les taches du soleil, qui amènent la preuve de sa rotation sur son axe. Mais, tandis que les planètes se rapprochent, les étoiles fixes, dépouillées de leur rayonnement, ne grossissent pas, attestant ainsi l'énormité de leurs distances, et les vapeurs lumineuses de la voie lactée, se condensant en milliers d'étoiles, révèlent, dans des profondeurs incommensurables, des astres sans nombre, peuplant d'autres cieux par delà nos cieux. Telles sont les nouvelles que le Messager des astres apporte à la terre.

Qui pourrait dire la joie des amis de la vérité, en recevant cet évangile de la science! Quelles actions de grâces ne s'élevèrent pas vers le Créateur, qui daignait découvrir à l'homme les plus augustes mystères de la création! Une émulation généreuse s'était emparée de toutes les intelligences ce n'étaient qu'inventions et que découvertes; les : profonds travaux de notre Viète sur l'algèbre se répandaient et commençaient à aider puissamment le mouvement scientifique. L'Anglais Gilbert venait de reconnaître le magnétisme terrestre (1600); un autre Anglais, Harvey,

allait achever la découverte du système de la circulation du sang, très-avancée par les grands médecins du seizième siècle, par Levasseur, par l'infortuné Servet, par Cesalpini (1628). L'ingénieur français Salomon de Caux, dans son traité des Raisons des forces mouvantes, proposait l'application de la vapeur à la mécanique, et donnait le premier dessin d'une machine à vapeur (1615), invention dont l'immense portée ne devait être comprise que beaucoup plus tard, et dont le premier auteur devait rester longtemps oublié'. Galilée et Kepler poursuivaient leur glorieux chemin avec une ardeur toujours croissante. Kepler perfectionnait la géométrie Galilée, après le télescope, qui nous ouvre dans l'espace des abîmes de grandeur inconnue, construisait le microscope, destiné à nous introduire dans un monde opposé et plus inconnu encore, dans ce monde de petitesse toujours décroissante, où l'infini se retrouve dans l'imperceptible (vers 1612) 2.

La vérité n'est pas destinée à triompher sans combat sur cette terre, et tout apôtre doit se tenir prêt au martyre. Les puissances du passé se préparaient à déchaîner un terrible orage. Les partisans aveugles de la tradition et de l'autorité, les esclaves de la lettre-morte, un moment éblouis, perdus, au milieu de ces flots de lumière jaillis

1 Voyez la Notice de M. Arago sur les machines à vapeur, dans l'Annuaire du Bureau des Longitudes pour 1837.- A propos d'un inventeur méconnu, il est juste de donner ici un souvenir à une femme remplie de savoir et de courage, qui fit des efforts inouïs pour révéler au gouvernement français les richesses minérales que recèle notre sol, et pour le déterminer à les exploiter sur une grande échelle. Voyez, dans le Magasin pittorresque de janvier 1842, la touchante histoire de madame de Beausoleil, si mal récompensée de ses patriotiques intentions.

2 Nous avons été heureux de pouvoir mettre à profit, dans ce résumé des premières découvertes du dix-septième siècle, les savantes études de M. Guignaut sur l'histoire de la terre, objet de son cours de cette année en Sorbonne.

sante, s'étaient ralliés sous I ur noire bannière. Avant que Galilée eût enseigné directement le mouvement de la terre, ils avaient compris le lien qui rattachait Galilée et Kepler à Bruno et à Copernic. Lorsque la découverte des phases de Vénus par Galilée eut apporté une nouvelle confirmation au système de Copernic, la tempête éclata. Aux cris des scolastiques, qui voyaient leurs cieux solides se fendre et leur physique imaginaire s'évanouir, répondirent les clameurs des zélés, effrayés de voir contredire le sta, sol! de l'Ancien Testament, et ressusciter, des cendres de Bruno, la pluralité des mondes. La forme populaire de Galilée alarma Rome plus encore que le fonds de sa doctrine: grand écrivain, admirable discoureur, il ne s'adressait plus seulement au petit monde des doctes, comme les néo-platoniciens, ses devanciers; il livrait à la langue vulgaire les arcanes de la cosmogonie, et faisait descendre la science sur la place publique. Les jésuites et les dominicains s'unissent sous le grand docteur des jésuites, sous Bellarmin, et une première condamnation est portée, en 1616, par la congrégation de l'index, contre la doctrine du mouvement de la terre. Pendant que Rome défend la lettre de la Bible, à Paris, la Sorbonne et le parlement prennent les armes pour Aristote. En 1624, un jeune homme destiné à une haute célébrité, le philosophe provençal Gassendi, ayant publié un livre contre le péripatétisme, et trois physiciens et chimistes ayant affiché des thèses contre la doctrine d'Aristote, le parlement de Paris, à la requête de la faculté de théologie, bannit de son ressort les trois novateurs, et interdit, « sous peine de la vie, d'enseigner aucunes maximes contre les auteurs anciens et approuvés '. » Un des trois proscrits, Villon,

1 Mercure françois, t. X, p. 503 et suivantes. · Gassendi, qui n'était pas du ressort

avait avancé que l'air et l'eau ne diffèrent point en essence. Le cardinal de Richelieu, étranger aux études de la philosophie naturelle et circonvenu par les ennemis des nouveautés, se prononça contre les coperniciens, témoignage, entre tant d'autres, de l'imperfection des plus hautes intelligences!

Galilée ne recula pas il s'efforça héroïquement d'arracher l'Église aux ténèbres où l'on voulait la retenir; il plaida la cause de la science auprès du pape et du sacrécollége; il entreprit de concilier l'Ecriture-Sainte et la révélation nouvelle. En 1632, parut ce fameux dialogue des Deux Systèmes du Monde, dans lequel toute sa théorie était résumée sous une forme dubitative et avec une soumission apparente qui trompa la censure, mais non l'inquisition. On sait comment répondirent Urbain VIII et le saint-office de Rome! L'illustre vieillard, arrêté, condamné, torturé1, est contraint d'abjurer, devant sept cardinaux, l'hérésie du mouvement de la terre et du repos du soleil (1633). On mit le sceau sur cette bouche qui ne s'était ouverte que pour annoncer la vérité : on défendit à Galilée de rien enseiguer, de rien publier; on prohiba tout ce qu'il avait fait, tout ce qu'il pourrait faire! Relégué par grâce dans une campagne solitaire, avec menace de l'ensevelir dans les cachots du saint-office en cas de rébellion, il vit mourir dans ses bras sa fille, sa seule consolation; il perdit les yeux, usés à force de contempler le soleil le deuil de son cœur ne put abattre l'énergie de son esprit; il pensa, il dicta jusqu'à sa dernière heure,

du parlement de París, ne fut point inquiété, grâce à l'influence de son ami Peiresc, conseiller au parlement d'Aix.

1 Il nous semble impossible de donner un autre sens au rigoureux examen que subit Galilée aux termes de son arrêt. Voyez l'Arsenal sacré, ou Pratique de l'office de la Sainte Inquisition; Rome, 1730, p. 263.

livrant, comme testament, aux quelques disciples parvenus à communiquer avec lui, les idées les plus profondes et les plus neuves sur toutes les parties de la physique, des mathématiques pures et des mathématiques appliquées, et formant encore, dans ces derniers jours si lugubres, des élèves tels que Toricelli et Viviani. Il meurt enfin (8 janvier 1642)..... Une voix française, la voix d'un ami qui avait encouragé, partagé ses travaux, vécu de sa vie, la voix de Peiresc, avait prononcé d'avance sur le martyr et les bourreaux la sentence de la postérité : C'est Socrate condamné pour la seconde fois!

La persécution ne s'arrêta pas sur sa tombe. L'inquisition s'efforça d'anéantir les vestiges de sa pensée, ses papiers, ses lettres; son petit-fils même, abruti par une superstition sacrilége, brûla ce qui restait de ses derniers travaux. Rome, après le maître, poursuivit les disciples. Bien des années après la mort du grand homme, le saintsiége exigea des Médicis la destruction de l'Accademia del Cimento, formée à Florence pour continuer l'œuvre de Galilée. Un des plus illustres académiciens, Borelli, un des précurseurs de Newton, fut réduit à mendier dans les rues de Florence; un autre savant, Oliva, se donna la mort pour échapper aux tortures de l'inquisition. Il n'est pas dans l'histoire de spectacle plus douloureux que cette agonie désespérée du génie italien. Épuisé, dans l'art, par l'immensité de ses créations; vaincu, dans la politique, par la domination étrangère, il se console dans le sein de la métaphysique: Rome l'y poursuit et étouffe le flambeau de la philosophie dans le sang des philosophes; il se réfugie dans les sciences naturelles : Rome le force et le tue dans ce dernier asyle'.

1 Voyez, sur l'histoire de Galilée, l'important travail de M. Libri, publié

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