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un projet plus d'une fois médité, c'est-à-dire, pour lui proposer sa main: Gaston, se croyant déjà roi, accueillait ces ouvertures avec réserve, et accourait de Paris en poste pour relever la couronne à l'instant où elle tomberait du front de Louis.

Richelieu était moins suspect dans ses démonstrations de douleur: il contenait plutôt qu'il n'exagérait ses angoisses. Il voyait son pouvoir croulant, sa vie menacée, son œuvre, qui lui était plus chère que la vie, son œuvre, à peine ébauchée, près de rentrer dans le néant, sa patrie retombant dans l'abîme d'où il l'avait tirée. Le hasard de l'hérédité allait donner pour chef à l'État l'aveugle et frivole instrument des ennemis de l'État !

On prétend que les ennemis du cardinal tinrent conseil, auprès du lit où gisait le roi, sur ce qu'ils feraient du ministre; que le maréchal de Marillac, qui n'en était pas à son coup d'essai en fait de meurtre 1, proposa de le tuer; que le duc de Guise parla seulement de l'exiler; Bassompierre, de l'emprisonner. Richelieu, caché, aurait entendu le complot, et, plus tard, aurait appliqué à chacun de ses adversaires la loi du talion. L'incident a été dramatisé, mais il peut avoir quelque chose de vrai au fond'. Ce qui paraît certain, c'est que la reinemère prit des mesures pour faire arrêter le cardinal aussitôt après la mort du roi, et que Louis, de son côté,

1 Il avait, dit-on, commis, dans sa jeunesse, un meurtre par trahison, ce qui lui avait fait refuser tout avancement par Henri IV. Levassor, t. III, p. 359.

2 Mémoires de La Rochefoucauld, p. 384. p. 28.

Mémoires de madame de Motteville.

Guise et Bassompierre n'étaient point à Lyon le jour où ce conseil aurait été tenu; mais Bassompierre y arriva le 1er octobre, portant, dit-on, l'ordre écrit par Monsieur d'arrêter le cardinal, sitôt le roi expiré. Il s'en défend dans ses Mémoires (p. 319); mais madame de Motteville affirme qu'il lui avoua plus tard le fait. - Mémoires de Montglat, p. 24.

s'acquitta d'un devoir de conscience en s'occupant d'assurer le salut de son ministre : le roi appela Montmorenci, dont il connaissait le caractère chevaleresque, et le chargea de recommander le cardinal à Monsieur. Montmorenci, au dire de son biographe, avait déjà spontanément offert à Richelieu un asile dans son gouvernement de Languedoc, puis l'aida à préparer sa retraite sur Avignon 1.

Les espérances des uns, les terreurs de l'autre, furent vaines: un abcès intérieur, qui creva, soulagea tout à coup le roi; le flux de sang s'arrêta; la fièvre s'apaisa, et, dès le soir, Louis fut hors de danger.

On ne le laissa pas respirer, durant sa pénible convalescence. Les deux reines profitèrent de sa faiblesse, l'étourdirent de violentes accusations contre Richelieu, qui, disaient-elles, ne prolongeait la guerre que pour se rendre nécessaire, et immolait la santé et la vie du roi à son ambition. Les soins rendus par Anne à son mari avaient amené entre eux une espèce de réconciliation. Anne en tira parti pour seconder sa belle-mère. On assure que Marie dénonça au roi l'audacieux amour du ministre pour l'épouse de son maître; on parle même d'une lettre de Richelieu à la jeune reine, qui aurait été livrée à Marie et remise par celle-ci au roi. S'il y eut réellement une pareille lettre en jeu, elle fut supposée par Marie de Médicis; Richelieu n'était pas homme à commettre une telle imprudence! Quoi qu'il en fût, le monarque con

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Histoire

- Mémoires

1 Mémoires de Brienne, ap. Collection Michaud, 3e série, t. III, p. 54. de Henri, dernier duc de Montmorenci, par Simon du Cros, p. 235. 2 Mémoires de Retz; Collection Michaud, 3e série, t. Ier, 18. p. de La Rochefoucauld, ibid., t. V, p. 303. Le Journal de Richelieu paraît contenir quelques allusions à cet incident. Archives Curieuses, 2e série, V, 27–39. - Tallemant prétend qu'après la mort de Buckingham, Richelieu avait re

valescent ne se débarrassa des obsessions de sa mère qu'en lui promettant de congédier son ministre après la paix d'Italie, ou, tout au moins, suivant une autre version, d'aviser à prendre un parti après son retour à Paris '.

Richelieu, sentant bien que le péril n'était point passé, tenta un dernier effort pour regagner non-seulement la reine-mère, mais ses confidents, les Marillac : il fit accorder une gratification en argent au maréchal de Marillac, qui avait été rappelé de Champagne avec la plupart des troupes qu'il commandait, depuis qu'on ne craignait plus rien des Impériaux de ce côté. Marillac eut ordre de passer les Alpes dans la première quinzaine d'octobre, afin de renforcer l'armée de Piémont. Montmorenci était revenu à la cour: d'Effiat était malade; le commandement fut partagé entre les maréchaux de La Force, de Schomberg et de Marillac, et, le 17 octobre, la trève d'Italie étant expirée, les trois maréchaux partirent des environs de Saluces pour aller délivrer Casal.

Ce fut sur ces entrefaites qu'on reçut à la cour, le 20 octobre, comme le roi venait de quitter Lyon pour reprendre la route de Paris, l'expédition du traité signé le 15, à Ratisbonne. On n'a jamais bien su si Brûlart et Joseph avaient agi de leur chef, dans un moment de découragement et d'effroi causé par la situation du roi et par la chute probable de Richelieu, ou si le cardinal, par une combinaison un peu machiavélique, avait en

commencé d'espérer, et qu'il avait fait faire à la reine, par madame du Fargis, la proposition d'unir leurs intérêts de la façon la plus intime, et de s'entendre afin de suppléer à la stérilité du roi. L'anecdote est un peu suspecte.

1 La première version est celle de Bassompierre (Mém., p. 319) et de Brienne (Mém., p. 52); la seconde, celle de Saint-Simon (fragment ap. Revue des Deux-Mondes du 15 novembre 1834) et de Fontenai-Mareuil (Mém., p. 228-229).

voyé une autorisation secrète à son capucin de signer un pacte qu'il se réservait de désavouer ultérieurement, comme contraire aux pouvoirs officiels de l'ambassadeur français. La France avait grand intérêt à ce que la diète se séparât au plus tôt sans procéder à l'élection d'un roi des Romains, et la diète ne se fût pas séparée si la paix n'eût été conclue. La conduite de Richelieu ne semble pas trop infirmer ce soupçon : le cardinal jeta feu et flamme contre les négociateurs, renvoya Joseph dans son couvent, et manda au roi de Suède et aux Hollandais que la France n'entendait nullement renoncer à ses alliances avec les adversaires de l'empereur; cependant il ne rompit point le traité avec éclat : il enjoignit à Brûlart d'en poursuivre le redressement à l'amiable auprès de l'empereur, et laissa le temps à la diète de se séparer sans encombre (15 novembre). En fait, malgré ces formes modérées et conciliatrices, le traité fut considéré par la France comme non avenu, et l'ordre fut expédié aux généraux de n'en point tenir compte. Quant au père Joseph, il reparut bientôt plus en faveur que jamais, et l'on put croire que sa disgrâce n'avait été qu'une feinte. Le principal but de sa mission avait été atteint : la diète n'avait point élu de roi des Romains, et Ferdinand n'avait point obtenu le prix du sacrifice de Wallenstein (Mém. de Richel. 2 série, t. VIII, p. 284-295).

L'armée française, cependant, s'était dirigée sur Casal par Asti, en laissant une réserve à Vegliana et en masquant Turin par un détachement de neuf mille hommes le nouveau duc de Savoie continuait de tergiverser. Le 28 octobre, les généraux reçurent le traité

:

1 Un nouveau traité avec les Hollandais avait été signé en juin 4630.

du 45 par un courrier envoyé de Ratisbonne. Marillac voulait qu'on cessât les hostilités; Schomberg, dépositaire de la pensée de Richelieu, représenta que la trève de septembre avait garanti l'évacuation immédiate de Casal par les Espagnols, si la paix se faisait avant le 15 octobre; qu'on ne pouvait laisser cette ville à leur bonne foi deux mois encore, ainsi que le voulait le traité de Ratisbonne. Le conseil de guerre décida qu'on passerait outre, sans s'arrêter aux propositions des médiateurs pontificaux. Le 26 octobre, les armées furent en présence sous les murs de Casal. Les Français comptaient environ vingt mille fantassins et trois mille chevaux. Les Espagnols, renforcés d'une grande partie des troupes impériales de Colalto, avaient sur les Français l'avantage du poste, et peut-être même du nombre; mais ils n'avaient plus à leur tête l'illustre Spinola, mort tout récemment d'une maladie causée ou aggravée par le chagrin. Ce grand capitaine, blessé, humilié des mauvais procédés d'Olivarez, n'avait pu se consoler d'avoir vu Casal devenu l'écueil de sa gloire. Les assiégeants étaient troublés et incertains l'armée de secours, pleine d'ardeur et d'allégresse. Déjà le canon grondait; la fusillade s'engageait; les colonnes françaises marchaient droit à la contrevallation qui protégeait le camp ennemi, et Toiras sortait de la citadelle, avec sa brave garnison, pour charger en queue les Espagnols, lorsqu'un cavalier sortit des lignes ennemies, et accourut vers les Français en agitant une feuille de papier blanc et en criant: La paix ! la paix!

1 Sur ces trois mille chevaux,

y avait quatre cent cinquante gentilshommes de l'arrière-ban de Dauphiné, fait digne de remarque, car il était dès lors bien

rare qu'on levât l'arrière-ban, et surtout qu'on le fit sortir du royaume. Memoires de Richelieu, 2a série, t. VIII, p. 276.

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