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Quelques maximes de saint François appartiennent à la plus profonde philosophie religieuse. —Notre âme réside toute en son corps, et toute en chacune des parties d'icelui, comme la Divinité est toute en tout le monde, et toute en chaque partie du monde.-Il n'y a point en Dieu diversité d'actions, ains (mais) un seul acte, qui est la Divinité même. (Ici le mystique a la gloire de saisir une vérité que méconnaît implicitement Descartes dans sa cosmologie.)- La pénitence, sans l'amour, est imparfaite, et ne sert de rien pour la vie éternelle. -Les bienheureux verront en Dieu l'éternelle génération du Fils par le Père exprimant de soi-même sa propre connaissance, et l'éternelle génération du Saint-Esprit par le Père et le Fils, soupir d'amour exhalé à la fois par le Père et le Fils, quand ils se connaissent et s'aiment, acte commun du Père et du Fils, infini comme eux, et consubstantiel à eux 1.

Le génie essentiellement actif de la France ne pouvait permettre au sentiment religieux de s'absorber dans la contemplation. Le mouvement tourna bien vite à la charité pratique que saint François de Sales avait, du reste, largement exercée pour son comple.

Dans la première moitié du dix-septième siècle, à la suite de ces luttes de la Réforme qui avaient semblé de

1 De l'Amour de Dieu, l. I, c. 44; l. II, c. 2; 19; l. III, c. 12–13. Cet homme excellent parle comme Calvin de la damnation, si terrible est l'influence du dogme des peines éternelles. « Le bon plaisir de Dieu est toujours adorable, aimable et digne d'éternelle bénédiction. Ainsi le juste qui chante les louanges de sa miséricorde pour ceux qui seront sauvés, se réjouira de même quand il verra la vengeance. Les bienheureux approuveront avec allégresse le jugement de la damnation des réprouvés.... » L. IX, c. 8. Seulement saint François glisse rapidement là où Calvin s'étondait et s'appesantissait avec complaisance. - Le traité de l'Amour de Dieu fut publié en 1616. Saint François de Sales, né en 1567, mourut en 4622. — Voyez, sur sa vie et ses œuvres, les belles études de M. Sainte-Beuve; Port-Royal, t. Ier, p. 220-285.

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voir balayer le monachisme de la surface du globe, les maisons religieuses de toutes couleurs et de tous ordres anciens et nouveaux, sortent partout de terre et pullulent, d'un bout à l'autre de la France, avec une rapidité incroyable c'est une véritable marée montante de couvents'. Bien des causes diverses contribuent à grossir ce flot: l'esprit monastique, réveillé véritablement, surtout chez les femmes; la dévotion des grands; la politique des évêques et des jésuites; l'orgueil aristocratique des familles de la noblesse et de la haute bourgeoisie, qui sacrifient les cadets et les filles à la fortune des aînés. L'abomination des vœux forcés alla toujours croissant, plus tard, à mesure que la ferveur diminua'; mais, dans ces premiers temps, il est certain que les éléments mauvais n'eurent qu'une influence secondaire. Ce qui frappe dans cette invasion de moines et de religieuses, c'est la prédominance de l'élément agissant sur l'élément ascétique et solitaire ; c'est la passion de l'enseignement, du soulagement de ceux qui souffrent, de l'utilité, de la vie active. De nombreux hôpitaux, des écoles presque sans nombre, s'élèvent : il y a trois couvents d'ursulines pour un couvent de carmélites. La politique jésuitique peut bien exploiter cette ardeur d'enseigner, mais ne l'a certainement pas créée3.

1 Richelieu, dans son Testament Politique, fait des réflexions remarquables sur les inconvénients de la trop grande multiplication des couvents. Dès 1629, il avait fait rendre une ordonnance qui interdisait d'établir aucun monastère sans permission expresse du roi. Recueil d'Isambert, t. XVI, p. 347.

2 Voyez le témoignage si décisif de Fléchier, dans ses Mémoires sur les GrandsJours d'Auvergne, écrits en 1665. Voyez aussi Sainte- Beuve, Port-Royal, t. I, 1. I, chap. 1-4, sur l'histoire de M. Arnaud et de sa fille, la célèbre Angelique.

* Les ursulines, les carmélites (ordre de sainte Thérèse), les visitandines, apparurent presque en même temps en France: les carmélites, amenées d'Espagne par le père de Bérulle, depuis cardinal; les ursulines, introduites par mademoiselle Acarie; les visitandines, fondées par saint François de Sales et madame de Chantal

Tout ce qu'il y eut de vrai et de salutaire dans cette régénération du catholicisme français se résume dans un seul nom, saint Vincent de Paul. Le théoricien mystique était sorti des hautes classes de la société : l'homme d'action, l'organisateur, sortit du peuple. Qui n'a pas, grávée dans sa mémoire, cette figure si caractérisée, aux lignes vulgaires, aux traits grossiers, transfigurés par la bonté sublime qui brille dans ces yeux et cette bouche toujours souriants? Vincent de Paul, fils d'un paysan des Landes de Gascogne, naquit, en 1576, à Poui, près Dax : il se fit prêtre à vingt-quatre ans: dès lors, durant soixante années, il n'eut pas une pensée, ne fit point un seul pas, qui n'eût le bien de l'humanité pour objet. Si longue qu'ait été sa carrière, on ne sait comment y faire tenir les prodigieux résultats qu'il obtint. Organiser le secours des pauvres malades à domicile; instruire et moraliser le peuple des campagnes; soulager, convertir, rendre à Dieu et à la société les condamnés, les galériens', plongés dans un enfer anticipé par le dur régime pénal du moyen âge; rallumer dans le corps sacerdotal les lumières et les vertus chrétiennes; sauver les enfants que la misère ou le vice abandonnait, et que la société laissait périr avec une criminelle indifférence, telle fut l'œuvre immensë qu'entre

(1604-1619). Au bout d'un demi-siècle, les ursulines, vouées à l'éducation des filles, avaient plus de trois cents couvents en France. Une pièce de ce temps, insérée dans les Archives curieuses, 4e série, t. XIV, p. 434, donne un curieux dénombrement du clergé français: les prêtres séculiers, compris les chanoines, abbés et prieurs commendataires, dépassaient cent mille; les moines, quatre-vingt-sept mille; les religieuses, quatre-vingt mille.

1 Il avait préludé à ses bienfaits envers ces malheureux par un trait de dévouement inouï. Ayan!, dans sa jeunesse, rencontré à Marseille un forçat dont la captivité réduisait la femme et les enfants à une profonde misère, il trouva moyen de procurer la liberté à cet homme en prenant sa place. Il porta quelque temps la chaine des galériens! Vie de saint Vincent de Paul, par Abelli, t. II, p. 294,

prit un pauvre prêtre sans nom, sans ressources, sans titre dans l'Église, dépourvu de ces dons éclatants qui maitrisent les hommes. La charité lui tint lieu de génie.

On ne saurait indiquer ici que les principales périodes de son œuvre. Il comprit, dès l'origine, que c'était le sexe le plus aimant et le plus patient qui lui fournirait son armée évangélique, et il débuta par organiser des confréries laïques parmi les femmes pour le soulagement des malades (1617); puis il fonda la congrégation des prêtres de la Mission (Lazaristes), destinée à propager l'instruction religieuse et morale dans les campagnes, et à enseigner les prisonniers (1625): les hommes qui s'enrôlèrent sous cette bannière nouvelle étaient en général « de basse, ou tout au plus de médiocre condition, et n'éclatoient pas beaucoup en science, » dit le biographe de saint Vincent; le zèle suppléait à tout. En 1629, une pieuse veuve, mademoiselle Legras1, s'associe à Vincent de Paul pour la direction des confréries de charité. Ce fut aussi une sorte d'alliance spirituelle, mais bien différente de celle de saint François de Sales et de madame de Chantal: ici il n'y eut ni combats ni orages. Les confréries de charité, d'abord destinées aux villages et aux petites villes sans hôpitaux, gagnent les grandes cités, et, de ces confréries laïques, sort peu à peu, sous l'impulsion de mademoiselle Legras, la communauté religieuse des Filles de Charité (sœurs grises), qui, fondée à Paris de 1630 à 1653, se répand dans toute la France, afin de servir les malades et d'instruire gratuitement les jeunes filles.

Vincent de Paul ne travaille pas moins activement à réformer le clergé qu'à soulager le peuple. Aidé par le

1 On sait qu'on donnait encore alors le titre de demoiselle aux femmes mariées non pobles.

cardinal de Richelieu, il pousse les évêques à instituer les exercices des ordinands, pour préparer les jeunes ecclésiastiques à recevoir la prêtrise: il provoqne l'établissement de conférences entre les prêtres, sur leurs fonctions et leurs devoirs; en même temps, il offre, dans les maisons de sa congrégation, et fait offrir ailleurs, des retraites spirituelles aux laïques qui veulent parfois se recueillir quelques jours et se reconnaître au milieu du tumulte de la vie. Dans ces sévères agapes de saint Lazare règne l'égalité absolue; l'on ouvre à qui frappe, et l'on fait asseoir à la même table le grand seigneur, le bourgeois, l'artisan et le laquais. Mademoiselle Legras donne également pour les femmes un exemple que suivent d'autres congrégations (Vie de saint Vincent, t. Ier, p. 122).

Les fondations charitables continuent : ce sont des hôpitaux pour les galériens, puis un auspice pour les vieillards, qui amène la fondation de l'hôpital général de la Salpêtrière (1657); ce sont les Filles de la Croix, instituées spécialement pour l'éducation des filles dans les petites villes et les villages; c'est la confrérie des dames de charité, qui, d'abord établie dans le but d'aider les religieuses de l'Hôtel-Dieu de Paris, commence, d'après l'instigation de Vincent de Paul, à recueillir les enfants trouvés (1638). En 1648, cette association bienfaisante, trop faiblement assistée par le gouvernement, ployait sous le faix les dames de charité étaient sur le point de renoncer à l'œuvre. Vincent les réunit en assemblée générale: « Or « sus, mesdames, la compassion et la charité vous ont fait

adopter ces petites créatures pour vos enfants: vous avez « été leurs mères selon la grâce depuis que leurs mères <«< selon la nature les ont abandonnées; voyez maintenant

1 Voycz, sur les hôpitaux et la mendicité, notre t. XII, p. 289-290.

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