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<< si vous voulez aussi les abandonner. Cessez d'être leurs

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<< mères pour devenir leurs juges leur vie et leur mort << sont entre vos mains; je m'en vais prendre les voix et « les suffrages'. »

Toutes les mains se levèrent pour le maintien de l'œuvre. L'institution des enfants trouvés fut généralisée, et associée à celle des Soeurs de Charité : on l'a complétée par la création des tours, que l'école économique anglaise a voulu détruire de nos jours, en attendant apparemment la suppression des hôpitaux!

Partout où l'humanité souffre, on est sûr de retrouver Vincent de Paul: ce sont des missions aux armées pour tâcher d'adoucir, par la religion, les mœurs des soldats, et de les rendre moins cruels au pauvre peuple; ce sont les aumônes sans cesse envoyées aux provinces-frontières ravagées par la guerre, aumônes qui se comptent par millions! L'obscur enfant des Landes avait fini par faire reconnaître sa mission aux puissants de ce monde, et par devenir le ministre de la charité nationale. Quand il fut sur le point d'achever ses jours si bien remplis (27 septembre 1660), moins humble, il eût pu se rendre le témoignage que pas un homme n'existait alors sur la terre qui eût été le bienfaiteur d'un plus grand nombre de ses semblables.

Ses bienfaits lui ont survécu l'esprit de charité, par lui ravivé, a continué d'aider le monde à attendre l'avènement, hélas! bien lointain, d'une société moins imparfaite. Le flambeau de la science théologiqne a pu pâlir de nouveau la flamme de l'amour s'est toujours rallumée en quelque endroit; toujours, grâce à Vincent de Paul, il a

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1 Vie de saint Vincent de Paul, t. I, p. 146.

subsisté dans le catholicisme français quelque chose du Christ.

Voir le Christ, type de l'humanité, dans tout homme et dans toute condition humaine1, aimer tout homme ainsi qu'on aime le Christ lui-même, telle est la maxime fondamentale de Vincent de Paul et de ses disciples. Aimer et agir est pour eux une seule et même chose. « Aimons Dieu, mais aux dépens de nos bras, à la sueur de nos visages. C'est l'amour effectif qu'il faut à Dieu. » Ailleurs, Vincent attaque les mystiques absorbés dans la contemplation, « qui ne travaillent pas pour Dieu ni pour les pauvres.» Parmi les travaux pour Dieu, il plaçait la mortification, la souffrance volontaire, l'oppression des sens et de l'imagination; il fut aussi violent contre sa chair que les plus exaltés des ascètes; mais, si loin que soit l'esprit moderne de telles applications du principe du travail, le principe lui-même n'en relie pas moins Vincent à l'ère nouvelle. « L'action bonne et parfaite, << disait Vincent, « est le véritable caractère de l'amour de Dieu : Totum opus nostrum in operatione consistit. Il n'y a que nos œuvres qui nous accompagnent dans l'autre vie. »

C'est pour avoir pratiqué ce principe avec tant d'efficacité que saint Vincent de Paul tient une des premières places dans la tradition de la France'.

1 Il allait plus loin, et, comme saint François d'Assise, il aimait en Dieu jusqu'aux animaux. Un jour qu'on lui avait ordonné, pour remède, le sang d'un pigeon, « il ne put jamais, souffrir qu'on le tuât.... disant que cet animal innocent lui représentait son Sauveur..... » Vie de saint Vincent de Paul, t. I, p. 248.

2 Voyez sa vie par Louis Abelli, évêque de Rodez, 2 vol. in-8. Cette biographie d'un homme si simple dans le bien a le mérite de la simplicité : l'auteur a compris, avec bun sens, que « le style dont on se sert en écrivant quelque livre doit toujours avoir un entier rapport avec le sujet qu'il traite. » — Une chose qui marque bien la prédominance du sentiment et de la spontanéité dans l'œuvre de saint Vincent de Paul, c'est qu'il ne songea à donner de règle écrite à sa congrégation qu'au bout de plus de trente ans (en 4658).

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La vie, dans ce grand dix-septième siècle, coulait à pleins bords dans toutes les directions. Tandis que le sentiment religieux manifestait sa régénération par des effets si puissants, les lettres et l'érudition prenaient dans le clergé un essor inconnu. Un homme qu'on a vu figurer dans l'histoire politique sous un jour assez peu avantageux, mais qui avait d'éminentes qualités à d'autres égards, Bérulle, mélange de prétentions mal justifiées, d'intolérance et de dévotion élevée et intelligente, institue, en 1611, sous le titre de l'Oratoire de Jésus, une association libre de prêtres, « à laquelle le fondateur, dit Bossuet, n'a voulu donner d'autre esprit que l'esprit même de l'Eglise, d'autres règles que les saints canons, d'autres vœux que ceux du baptême et du sacerdoce, d'autres liens que ceux de la charité1. » Le but de l'institution était de relever les études et de former des docteurs et des prédicateurs. Ce but fut glorieusement atteint. Un certain nombre de séminaires et de colléges furent bientôt confiés aux oratoriens. Partout où passèrent les prêtres de l'Oratoire, les mœurs du clergé s'épurèrent, ses idées s'élevèrent 2; une saine érudition, de fortes études classiques, remplacèrent cette antiquité bâtarde que travestissaient bizarrement les jésuites, et obligèrent ceux-ci à se piquer d'émulation. Les oratoriens méritèrent leur nom en fondant véritablement l'art oratoire dans l'église gallicane par eux surtout disparaissaient des sermons l'abus des ornements parasites et de la science indigeste, les facéties puériles, les disparates choquantes d'images et d'idées;

1 Bossuet; Oraison funèbre du Père Bourgoin, troisième général de l'Oratoire.

2 Il y eut bien quelques ombres au tableau, sous le généralat de Gondren, successeur de Bérulle (voyez le Port Royal de M. Sainte-Beuve, t. I, p. 498 ); mais l'Oratoire, contre l'ordinaire, alla s'améliorant.

l'ordre, la convenance, la sobriété, la dignité soutenue, arrivent par eux dans la chaire, vers le même temps qu'un avocat, profond littérateur, excellent écrivain, Olivier Patru, opère une révolution analogue dans le barreau. Les plus renommés des oratoriens de cette première époque sont le père Senault, fils du fameux ligueur de ce nom, et le père Lejeune. Ces hommes de goût et de vertu préparent les grands génies de l'éloquence, qui vont paraître'.

C'est une croisade générale contre l'ignorance et le saux savoir. On s'y partage les rôles. Les oratoriens avaient pris l'érudition classique, les humanités, la rhétorique : la congrégation de Saint-Maur s'empare des études historiques'. Cette réforme de la règle de saint Benoît, amenée d'abord par la nécessité de restaurer la discipline et les mœurs anéanties dans cet ordre antique de bénédictins, d'où était sorti tout le monachisme occidental, produit rapidement une pépinière d'érudits aussi infatigables à défricher les champs de l'histoire et de l'archéologie, que leurs devanciers, les moines laboureurs des premiers temps, l'avaient été à essarter les landes et les forêts. Richelieu, par une noble émulation avec Bérulle, entoure la congrégation de Saint-Maur d'un ardent patronage, l'introduit dans les grands monastères des bénédictins primitifs, à SaintDenis, à Saint-Germain des Prés, à Marmoûtier, à SaintPierre de Corbie, à Fleuri-sur-Loire, etc., et lui eût soumis Cluni et toutes les autres branches de l'ordre de saint Benoît, sans l'opposition du pape. Dom Luc d'Acheri ou

1 La fondation du séminaire de Saint-Sulpice, par M. Olier, en 1642, est encore un fait qu'on ne doit pas oublier dans l'histoire religieuse. Un assez grand nombre d'autres séminaires furent organisés sur le même plan.

1 Un des plus grands recueils historiques que nous possédions, les Annales ecclésiastiques de la France, 8 vol. in-folio, en latin, appartient cependant à l'Oratoire ; mais ce vaste ouvrage du père Lecointe est étranger à la période que nous examinons, et ne commença de paraître qu'après 1660.

vre, à la tête des nouveaux bénédictins, cette série de noms glorieux qui vont remplir les annales de la science durant un siècle et demi, et préparer d'inépuisables matériaux aux futurs historiens1.

Le mouvement scientifique est partout, dans les rangs les plus opposés : bénédictins, oratoriens, jésuites, sorbonnistes, ministres protestants, savants laïques, rivalisent dans des luttes qui éclairent l'humanité sans lui coûter de sang ni de larmes! Dès les premières années du siècle, la compagnie de Jésus, voyant les esprits revenir à la science après les guerres civiles, et voulant, selon sa coutume, faire face partout, avait poussé de ce côté bon nombre de ses membres les plus distingués, avec un brillant succès. Le père Sirmond a laissé un souvenir aussi honorable par la bienveillance de son caractère et l'urbanité de sa polémique, vertu nouvelle parmi les savants, que par l'étendue et la variété de ses travaux d'éditeur et de commentateur sur l'histoire ecclésiastique, sur l'histoire du droit, sur l'histoire de France; on lui doit la publication de plusieurs monuments originaux très-précieux. Le nom du père Pétau est resté proverbial, sinon en fait de politesse, du moins en fait d'érudition, bien que son grand traité de chronologie (Doctrina Temporum, 1627-1630) soit loin de témoigner une vigueur de génie égale à celle de son prédécesseur Joseph Scaliger, dont il attaque si âprement le livre de Emendatione Temporum. Le jésuite rouennais Viger publie, en 1632, un très-bon ouvrage sur les principaux idiotismes de la langue grecque. Le père Labbe, avec peu de critique, mais un vaste savoir et une courageuse

1 Le premier volume de l'importante collection de documents originaux sur l'histoire du moyen âge, publiée par dom Luc d'Acheri, sous le titre de Spicilegium, est de 1655.

T. XIII.

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