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persévérance, entreprend et avance aux deux tiers la collection générale des conciles, achevée par son collègue Cossart (17 vol. in-f°). On ne peut indiquer les principaux ouvrages de ce temps sans mentionner l'oeuvre immense, quoique incomplète, des jésuites d'Anvers, le recueil des Actes des Saints, dit des Bollandistes, du nom de Bolland, qui le commença. Si la critique a largement à reprendre dans cet amas de légendes populaires, l'histoire doit être indulgente envers les patients collecteurs qui lui ont ouvert une mine si riche de traditions, et qui l'ai lent à combler tant de lacunes. (Les deux premiers volumes de Bolland sont de 1645.)

En face de ces robustes constructeurs de compilations, se pose d'une façon bien originale le démolisseur de Launoi, ce docte et belliqueux docteur de Sorbonne, qui défait la légende à mesure que les autres la coordonnent avec un respect un peu crédule; chacun servant la science à un point de vue opposé. Il n'est pas d'iconoclaste qui ait jeté plus de saints à bas de leurs niches avec le marteau que de Launoi avec la plume: seulement ce très-orthodoxe sorbonniste ne s'attaque qu'aux saints de contrebande et aux récits apocryphes. Malheur aux populations qui ont vécu, depuis des siècles, sur les pieux romans inventés au moyen âge et consacrés par les arts et par les rites locaux. que de cités vont perdre ces petites religions du clocher, qui avaient remplacé les cultes topiques des anciens! Denys l'aréopagite est renvoyé à Athènes ; la Magdeleine et le Lazare sont exilés de la Sainte-Baume; les onze mille vierges ne vivront plus désormais que grâce au pinceau de Hemling; Notre-Dame n'a plus été corporellement enlevée au ciel. Les priviléges des abbayes forgés dans les temps d'ignorance, les prétentions superbes de la cour de

Rome, sont accablés sous des montagnes d'érudition : l'infaillibilité du pape, sa domination absolue sur l'Église, toute la théorie de Bellarmin croule, non point devant la dialectique, mais devant la tradition elle-même, puisée à ses sources premières par une critique formidable. Un des plus beaux titres de de Launoi est le livre où il établit que les biens de l'Église ne sont que les biens des biens de la communauté chrétienne1.

pauvres,

les

Si la science catholique grandit, l'érudition protestante se maintient honorablement; l'église réformée de France produit encore des hommes qui ne sont pas indignes de succéder aux Scaliger et aux Casaubon l'orgueil et les travers de Claude Saumaise ne doivent pas faire oublier ses éminentes facultés de commentateur, de critique, de polygraphe universel. L'antiquité juive devient, chez les protestants, l'objet d'études très-bien dirigées et trèsproductives, comme l'attestent la Géographie sacrée (1646) et l'Hierozoïcon (zoologie de la Bible) de Samuël Bochart, ministre à Caen, et les ouvrages de Cappel, professeur à Saumur (1624-1650), sur les points-voyelles et sur les autres questions fondamentales de la linguistique hébraïque. La philologie fait des progrès : on commence à comparer avec fruit les langues sémitiques entre elles; la Bible polyglotte, publiée à Paris, en 1642, par Sionita, fait époque dans l'orientalisme 2.

Les importants travaux exécutés, durant cette période,

1 Sur de Launoi, voyez la Bibliothèque des Auteurs ecclésiastiques du dixseptième siècle, part. 3, p. 1-184. Ses principaux ouvrages sont de 1640 à

1660.

2 Nous ne parlerons point ici des controversistes protestants: il nous paraît plus utile de réserver pour la période suivante ce qui tient aux controverses entre protestants et catholiques. Pour les débats des protestants entre eux, voyez, dans notre t. XII, p. 383-392, les luttes de l'Arminianisme et du Gomarisme.

sur l'histoire nationale, dans un but à la fois littéraire et patriotique, touchent par tant de points aux publications sur l'histoire ecclésiastique, que c'est ici le lieu d'indiquer les principaux titres de leurs auteurs à notre reconnaissance, tout en rappelant quelle grande part revient à Richelieu dans l'impulsion donnée à l'étude des souvenirs nationaux. On a déjà cité ailleurs (voyez ci-dessus, p. 124265) Pierre du Pui, ce vigoureux auxiliaire de Richelieu contre les cabinets étrangers et contre la cour de Rome, ainsi qu'André du Chesne et Théodore Godefroi. On doit à du Pui, outre le grand traité des Libertés gallicanes et le traité des Droits du Roi, l'histoire du Différend de Philippe le Bel et de Boniface VIII, et celle du Procès des Templiers. Les services d'André du Chesne sont inappréciables: il couronna ses travaux sur nos antiquités provinciales, sur les généalogies féodales, sur nos fastes civils et religieux, par une entreprise vraiment héroïque, la collection générale des auteurs qui ont écrit sur l'histoire de France depuis l'origine. Le gigantesque recueil des bénédictins (Historiens des Gaules et de la France) n'a été que le développement de l'œuvre ébauchée par du Chesne'. Tandis que du Chesne rassemblait et coordonnait les monuments de notre histoire, Adrien de Valois projetait de fondre ces monuments dans une immense narration latine, et de faire, pour l'ensemble de nos annales, ce que J.-A. de Thou avait fait pour un laps de soixante années. Il suc comba à la peine et s'arrêta à la chute des rois fainéants, au bout de trois volumes in-folio, laissant à la postérité un ample témoignage des progrès qu'avaient faits l'intelligence des textes et la connaissance des faits (Gesta veterum

1 Du Chesne publia son plan en 1633, et les deux premiers de cinq volumes infolio en 1636

Francorum, 1646-1658). Les noms des Jérôme Bignon, des Bergier, des de Marca, ne doivent point être oubliés parmi ceux des savants qui ont contribué au développement de l'histoire de France'.

Ce n'est pas seulement par sa force et son étendue que le mouvement religieux et scientifique, si fécond et si varié, est pour nous d'un intérêt immense; c'est par sa profonde nationalité. Tout sort spontanément de notre sol. Dans ce réveil de l'église de France, il n'est guère plus question de Rome que si Rome n'existait pas. Les jésuites ont une notable part au mouvement: ils agissent pour Rome (encore, avec plus d'une exception, comme on l'a vu sous Richelieu); mais ce n'est plus elle qui agit par eux. Au plus fort de la Guerre de Trente Ans, pendant que l'Europe se déchire pour sa cause, on la voit hésiter, faiblir, s'affaisser peu à peu. La vigoureuse résistance pontificale du seizième siècle semble épuisée : l'esprit des Paul IV et des Sixte V expire, et le Vatican, presque identifié avec l'aristocratie énervée des états romains, s'absorbe de plus en plus dans les intérêts fiscaux de son triste gouvernement temporel, ne s'émouvant guère que lorsqu'il s'agit de défendre le point spécial des immunités ecclésiastiques. Le

1 Bignon et de Marca, restés célèbres à d'autres titres, ont publié, le premier, les Formules de Marculphe (1613); le second, l'histoire de Béarn et la Marca Hispanica (description historique de la Catalogne et du Roussillon). Bergier est l'auteur de SP'Histoire des grands chemins de l'Empire romain. Vers le même temps où Adrien de Valois tentait une grande histoire latine de France, d'après les documents originaux, Eudes de Mézerai entreprenait aussi son livre, beaucoup moins scientifique, et dont même, à vrai dire, la science aurait le droit de ne tenir presque aucun compte, mais qui a dû de vivre à la plume énergique et à l'esprit indépendant de son auteur. L'abrégé, fait par Mézerai lui-même, a conservé une publicité plus étendue et plus durable que la grande histoire en 3 volumes in-folio.

saint-siége approuve ou blâme, mais ne provoque plus ce qui se fait au-dehors'.

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Et, cependant, jamais plus solennels débats ne s'étaient élevés dans l'Église. Cette vaste élaboration de matériaux scientifiques, quel dogme servira-t-elle? Ce sentiment religieux si puissamment réveillé, quelle loi morale le réglera? -La réponse semble facile. -- Le dogme chrétien; la morale chrétienne, apparemment!—Mais qu'estce que le dogme chrétien et que la morale chrétienne?— La question avait été posée, au seizième siècle, dans la chrétienté encore entière; le monde chrétien avait répondu en se partageant en deux moitiés ennemies. Elle se pose de nouveau, au dix-septième siècle, dans la catholicité quelle sera la réponse?

Le corps le plus puissamment organisé de l'Église, le plus jeune et le plus vivace des ordres religieux, qui avait presque toujours mené le reste depuis sa fondation, la compagnie de Jésus, prétendait donner la solution du pro

blème.

On a essayé plus haut (t. IX, p. 425-430) de montrer l'organisation des jésuites: on a vu depuis à l'œuvre leur politique, dont la redoutable influence a produit la Guerre de Trente Ans. Il s'agit maintenant d'apprécier le jésuitisme au point de vue du dogme et de la morale. Il faut ici se dégager de toute passion et de tout préjugé, et remonter aux racines mêmes des choses.

Dès l'origine du christianisme, apparaissent deux tendances, deux directions opposées dans l'Eglise : l'esprit de crainte et l'esprit d'amour; la voie étroite et la voie large; le Christ aux bras étroits et le christianisme uni

1 Voyez L. Rancke, Histoire de la Papauté, t. IV, 1, VII, c. IV, § 5–6. — 1, VIII, c. 1-X.

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