Images de page
PDF
ePub

C'était l'agent du pape, le signor Giulio Mazarini. Les soldats étaient si animés, que plusieurs tirèrent sur lui, et que Mazarin n'arriva pas sans grand danger jusqu'aux maréchaux. Il leur apportait le projet d'une convention par laquelle les généraux ennemis évacueraient sur-le-champ Casal et le Montferrat, à condition que les Français en fissent de même, et que le duc de Mantoue ne pût confier la garde de ses places qu'à des gens du pays. Les Français garderaient toutes leurs positions dans les États de Savoie, jusqu'à ce que le Mantouan, le Montferrat, la Valteline et le territoire des Grisons fussent entièrement évacués.

Ces conditions furent acceptées, et le signor Giulio eut ainsi l'honneur d'avoir arrêté, au péril de sa vie, deux arinées prêtes à s'entre-détruire le dénoùment dramatique du siége de Casal eut beaucoup de retentissement, et commença la fortune de Mazarin.

:

Il y eut d'assez graves difficultés sur l'exécution du nouveau pacte les maréchaux n'observèrent pas l'article qui leur interdisait de laisser des troupes françaises dans la citadelle de Casal. Au moment de sortir du Montferrat, les ennemis furent sur le point de charger une partie de l'armée française : l'infatigable Mazarin s'entremit derechef, et l'accord fut confirmé et finalement exécuté dans les derniers jours de novembre. Quatre cents Français, toutefois, restèrent cachés dans la citadelle de Casal, afin de prévenir toute surprise de la part des Espagnols'.

Avant la fin de novembre, comme les généraux français venaient de repasser du Montserrat dans le Piémont, un événement extraordinaire avait jeté l'armée dans un

1 Mémoires de Richelieu, 20 série, t. VIII, p. 258–287. — Mémoires de La Force, 1. III, p. 46-47; 328. Mémoires de Pontis, 2 sèric, t. VI, p. 562-567.

étonnement et dans une agitation extrême. Un matin, l'on avait vu arriver au quartier général de Follizzo un courrier chargé d'une dépêche du roi pour le maréchal de Marillac. Louis XIII donnait à Marillac le commandement en chef de l'armée et la direction des affaires d'Italie. La Force et Schomberg étaient rappelés en France. A la missive royale était jointe une lettre du garde-des-sceaux, Michel de Marillac, qui annonçait au maréchal, son frère, la disgrâce de Richelieu. Marillac était dans l'ivresse; Schomberg, dans la consternation; mais, dès le lendemain, arrivèrent de nouvelles dépêches adressées à ce dernier : elles contenaient l'ordre d'arrêter le maréchal de Marillac et de l'envoyer en France sous escorte 1.

Une lutte décisive avait eu lieu à la cour. Le faible Louis XIII, qui ne cherchait qu'à gagner du temps, avait obtenu de sa mère qu'elle dissimulât jusqu'à ce que la cour fût revenue à Paris. Pendant le voyage, Marie fit assez bonne mine à Richelieu, qui s'était embarqué avec elle sur la Loire, de Roanne à Briare, et qui ne négligeait rien pour la fléchir. Un jour ou deux avant d'atteindre Paris, on reçut la nouvelle de la délivrance de Casal. Marie fit faire un feu de joie dans la cour de son logis elle crut Richelieu perdu, maintenant que le roi ne pouvait plus alléguer, pour garder son ministre, les embarras de la guerre d'Italie; les confidents de la reinemère n'en jugèrent pas de même, et comprirent qu'un si glorieux succès ne rendrait pas Richelieu plus facile à abattre.

En effet, le roi, quand sa mère l'eut rejoint à Paris, opposa une si vive résistance aux importunités de Marie,

1 Mémoires de La Force, t. III, p. 329. — Levassor, t. III, p. 552.

insista tellement sur le besoin qu'il avait encore des services du cardinal, que Marie parut se rendre : elle déclara qu'elle faisait à son fils le sacrifice de son ressentiment, et consentit à se trouver au conseil avec Richelieu comme par le passé. On convint d'une entrevue dans laquelle la reine-mère rendrait ses bonnes grâces au cardinal et à madame de Combalet, nièce de Richelieu et dame d'atours de Marie. La reine-mère avait pris en haine et renvoyé de sa maison cette jeune et belle veuve, à laquelle le cardinal portait une affection que les courtisans ne manquaient pas d'incriminer. Le 9 novembre au matin, madame de Combalet vint donc au Luxembourg se présenter à la reine-mère, sous les auspices du roi : elle s'agenouilla devant Marie, et la pria fort respectueusement, « avec beaucoup d'esprit et de bien dire, » de lui rendre l'honneur de sa bienveillance, La reine la reçut d'un air glacé; puis « à la froideur, l'aigreur succède e; puis la colère, l'emportement..... enfin, un torrent d'injures, et peu à peu de ces injures qui ne sont connues qu'aux halles (Saint-Simon). » Le roi veut en vain lui rappeler qu'il est présent, qu'elle manque à sa parole, qu'elle se manque à elle-même, « rien ne peut arrêter ce · torrent. » A la fin, le roi outré relève brusquement madame de Combalet, et lui dit que c'est en avoir trop en→ tendu, et qu'elle se retire.

La jeune femme sort en pleurs, et rencontre son oncle sur le seuil. Le cardinal hésite un instant, compose son visage et entre, comme Marie répondait aux reproches du roi qu'elle n'avait que faire de se contraindre envers la Combalet, qui « ne servait de rien à l'État; » qu'à l'égard du cardinal, elle ne retirait pas sa promesse de lui donner « pour le bien des affaires. >>

par

Richelieu s'avance, met un genou en terre, et « commence un compliment fort soumis. La reine le fait lever assez honnêtement; mais, peu à peu la marée monte. » Le naturel brutal et grossier de la reine l'emporte encore une fois sur sa résolution de dissimuler. L'oncle est traité comme la nièce : les épithètes seules varient. On l'appelle fourbe, ingrat, perfide; il trompe le roi, il trahit l'Etat... Louis, balbutiant d'émotion et de colère, essaie inutilement d'interrompre ce flux d'extravagances. Marie finit par chasser le cardinal et lui défendre de se présenter jamais devant elle. Richelieu, maître de luimême jusqu'au bout, « souffrit tout cela comme un condamné, » et sortit.

Le roi quitta le Luxembourg un moment après, retourna à pied à l'hôtel des ambassadeurs extraordinaires (l'ancien hôtel du maréchal d'Ancre), rue de Tournon, où il logeait pendant qu'on réparait le Louvre, s'enferma dans son cabinet avec son premier écuyer Saint-Simon, et se jeta sur son lit, en arrachant violemment tous les boutons de son pourpoint. Il sentait avec effroi le moment venu de choisir avec éclat entre sa mère et son ministre au fond, il n'aimait ni l'un ni l'autre; sa mère lui était insupportable, et la supériorité de son ministre, qui intervertissait les rôles entre le roi et le sujet, lui pesait et le froissait parfois comme une chaîne. Si la raison combattait pour Richelieu, le préjugé, à défaut des sentiments naturels, parlait pour Marie. Les scrupules d'une conscience peu éclairée et la crainte de l'opinion luttaient contre le sens assez droit de Louis. Richelieu lui-même avait contribué naguère à inspirer des remords au roi sur la dureté qu'il avait témoignée à sa mère après la mort du maréchal d'Ancre.

S'il s'était trouvé en ce moment auprès du roi un homme d'intrigue et de faction, tout eût été perdu peutêtre. Par bonheur, Richelieu avait fermé à ses ennemis l'accès de l'intimité royale. Il savait que le triste Louis XIII, toujours à charge à lui-même, avait besoin d'une espèce de favori pour l'accompagner à la chasse, le distraire ou soulager son ennui en le partageant. Un favori de cette sorte, Baradas, s'étant mêlé dans les complots de Chalais, le cardinal l'avait fait chasser, à la fin de 1626, et avait donné au roi, à sa place, un jeune gentilhomme appelé Saint-Simon, d'une famille de Vermandois, pauvre et oubliée, mais fort ancienne, et qui avait la prétention de descendre, par les femmes, des anciens comtes de Vermandois, issus de Charlemagne. Saint-Simon, jeune homme honnête et sensé, n'abusa point de sa position, se tint en dehors des cabales, et, dans l'occasion décisive dont il s'agit, donna une preuve éclatante de sa fidélité à son bienfaiteur ou plutôt à son pays. Le roi s'étant ouvert à lui et lui ayant demandé conseil, Saint-Simon répondit que Louis avait rempli son devoir de fils, qu'il devait songer maintenant à son devoir de roi et que le cardinal était nécessaire à la France. Il répéta au roi <des raisons que Louis s'étoit sans doute souvent dites à lui-même. »

Louis se décida, et, le soir de cette orageuse journée, il obligea son frère à se réconcilier, bien que de fort mauvaise grâce, avec Richelieu.

Le lendemain, Louis retourna chez sa mère, apparemment pour tenter une dernière fois de la ramener à la raison. Marie, de son côté, comptait bien emporter d'assaut la victoire. Aussitôt le roi entré, la reine-mère

T. XIII.

« PrécédentContinuer »