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fit fermer les portes, afin que personne ne vint secourir son fils contre l'espèce de violence morale qu'elle voulait lui faire; mais à peine l'entretien était-il engagé que la porte de la petite chapelle qui donnait dans le cabinet de la reine s'ouvrit, et qu'on vit paraître sur le seuil la pâle figure du cardinal. Richelieu avait passé par une issue dérobée qu'on avait négligé de fermer. Il venait, non point comme l'ont dit quelques narrateurs contemporains, avec l'orgueil d'un homme qui offre le combat à son adversaire, mais avec la modération respectueuse et triste d'un accusé obligé de se défendre contre un protecteur transformé, sans motif légitime, en persécuteur. Quels que fussent ses sentiments intérieurs envers la reine-mère, il n'eut aucun tort de forme. Il fut tour à tour adroit, éloquent, pathétique : il protesta d'un dévouement personnel injustement méconnu par sa bienfaitrice; Marie ne répondit que par de nouvelles fureurs, et demanda au roi s'il préférerait un valet à sa mère; qu'il falloit qu'il se défit de l'un ou de l'autre. Il est plus naturel que ce soit moi qu'on sacrifie! » répondit le cardinal.

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Louis, abasourdi de cette scène, n'eut pas la force de se prononcer sur-le-champ: il sortit précipitamment, puis envoya coup sur coup à la reine-mère, pour négocier avec elle, son confesseur Suffren et le nonce Bagni; mais en vain. Le lendemain, 11 novembre, au matin, il signa la dépêche qui confiait l'armée à Louis de Marillac, et que Marie avait exigée de lui, et partit pour Versailles, alors humble rendez-vous de chasse perdu au milieu des bois. Louis n'avait revu ni la reine-mère ni le cardinal; mais le garde des sceaux Michel de Marillac, le premier

ministre désigné par la reine-mère, eut ordre de suivre le roi.

Cet ordre sembla décisif : toute la cour crut le cardinal perdu. Le flot des courtisans inondait le Luxembourg, où la reine-mère étalait son triomphe, sans daigner se déranger pour suivre le roi à Versailles, ainsi qu'on le Jui conseillait.

La reine Anne, Monsieur, l'ambassadeur d'Espagne, les grands, nageaient dans la joie; des courriers volaient porter la bonne nouvelle à Madrid, à Vienne, à Bruxelles, à Turin !... On racontait que le maudit cardinal faisait ses paquets, que déjà ses mulets filaient sur le Havre par

route de Pontoise.

la

On assure qu'en effet Richelieu désespéra un moment, et commanda de préparer son carrosse pour partir; que le cardinal de La Valette et deux autres amis restés attachés à sa fortune, le président Le Jai et le conseiller d'État Châteauneuf, combattirent vivement cette résolution. Ce qui est certain, c'est que Richelieu et La Valette étaient enfermés ensemble au Petit-Luxembourg, demeure du ministre, lorsqu'un messager se présenta de la part du premier écuyer Saint-Simon. L'effet de ce message verbal fut tel que le cardinal, transporté de joie, embrassa l'envoyé « des deux côtés. »

Saint-Simon mandait à Richelieu de venir joindre le roi sur-le-champ à Versailles. Louis ne s'était enfui au fond des bois que pour échapper aux cris de sa mère et pour se préserver de sa propre faiblesse, en s'engageant par des actes irrévocables. Le soir, tandis que Marie de Médicis triomphait au Luxembourg, Richelieu triomphait à Versailles. Le 11 novembre 1636 est resté

fameux dans l'histoire sous le nom de Journée des

Dupes1.

Le 12, au matin, les sceaux furent redemandés à Michel de Marillac, qui fut envoyé en exil à Châteaudun, et l'ordre fut expédié à Schomberg d'arrêter le maréchal Louis de Marillac au milieu de l'armée d'Italie. Châteauneuf et Le Jai furent récompensés de leur fidélité à Richelieu, le premier, par le titre de garde des sceaux, le second, par la charge de premier président, alors vacante. Montmorenci et Toiras reçurent le bâton de maréchal : le premier s'était montré bienveillant envers le cardinal pendant la crise, malgré la froideur et la défiance qui avaient existé auparavant entre eux; le second était, aux yeux de Richelieu, un ennemi personnel, mais un homme de grand mérite, qu'il fallait tâcher de regagner en lui rendant justice. D'Effiat, qui avait également bien servi dans les finances et dans la guerre, fut aussi créé maréchal peu de temps après. Le duc d'Orléans était entièrement gouverné par deux favoris, un homme d'épée et un homme de robe, le sieur de Puy-Laurens et le président Le Coigneux, de la chambre des comptes: Richelieu promit à celui-là un brevet de duc et lui donna une grosse somme, donna à celui-ci la charge de président au parlement qu'avait eue Le Jai, et lui promit de le faire

Voyez l'important fragment de Saint-Simon publié par la Revue des Deux Mondes du 15 novembre 183!. Saint-Simon, qui parie d'après le témoignage de son père, resserre en une seule journée des faits qui ont rempli trois jours; mais cette erreur de mémoire n'infirme pas le fond de sa narration. Mémoires de Richelieu, Collection Michaud, 2o série, t. VIII, p. 307-309. - Mém. de Bassom pierre, ibid., t. VI, p. 349-320: il y a d'évidentes réticences. - Mém. de FontenaiMareuil, ibid, t. V, p. 229-231. --Mém. de Brienne, 3a séric, t. III, p. 52–55. — Mém. de Monglat, ibid., t. V, p. 21-22. Journal de Richelieu, ap. Archives Curieuses, 2o série, t. V. Levassor, t. III, p, 548-560.

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recommander par le roi au Saint-Père pour le chapeau rouge. A ce prix, les deux favoris décidèrent leur maître à s'obliger d'aimer dorénavant le cardinal « autant qu'il l'avoit haï. >>

:

La reine-mère sembla perdre courage, lorsqu'elle se vit abandonnée de son fils préféré. Après de nouveaux emportements, suivis d'une longue bouderie, après avoir crié qu'elle se donnerait plutôt au diable que de ne pas se venger d'un ingrat, après avoir consulté des astrologues et des devins pour savoir si le cardinal n'avait pas un charme contre les arquebusades, et si le roi ne mourrait pas bientôt1, elle se résigna à recevoir Richelieu chez elle, le 23 décembre l'entrevue fut froide et embarrassée, mais convenable. Le 27 décembre, Marie reparut au conseil du roi, où l'on arrêta, de son aveu, des mesures peu agréables à la reine Anne, sa bru et son alliée contre Richelieu : la comtesse du Fargis, un des plus dangereux esprits de la cour, fut chassée d'auprès de la reine, et l'ambassadeur d'Espagne, qui entrait familièrement à toute heure chez Anne d'Autriche, reçut défense de s'y présenter dorénavant sans autorisation. Par compensation et pour consoler la reine Anne, madame de Chevreuse, qui avait promis de se mieux conduire, fut rappelée d'exil.

Dans ce même conseil, on résolut de rendre la liberté au duc de Vendôme, qui avait confessé depuis longtemps ses menées, et s'était remis à la miséricorde du roi. Richelieu voulut faire de la clémence à propos. Le duc sortit de Vincennes, après quatre ans et demi de captivité.

1 Journal de Richelieu, ap. Archives curieuses, 2a série, t. V, p. 23. FontenaiMareuil, p. 254.

Ce ne fut qu'un moment de calme trompeur entre deux orages. Déjà l'incorrigible cabale s'était reformée. Le président Le Coigneux, personnage d'une détestable réputation, était menacé d'un procès scandaleux par une femme qui l'accusait d'avoir épousé secrètement sa fille, puis de l'avoir fait périr pour se débarrasser d'un obstacle à sa fortune. On conçoit que Richelieu, dans de telles conjonctures, n'ait pas trop vivement pressé le pape de faire un pareil cardinal. Le Coigneux se crut joué, persuada à son compagnon de faveur, Puy-Laurens, que Richelieu les tromperait l'un et l'autre, et tous deux poussèrent leur patron à une rupture éclatante avec le cardinal. Le 30 janvier 1631, Gaston se rendit à l'hôtel de Richelieu, et déclara au ministre, d'un ton menaçant, qu'il venait retirer la parole qu'il lui avait donnée d'être de ses amis, parce que lui, Richelieu, manquait à toutes ses promesses. Il ne voulut entendre aucune justification, et ajouta qu'il s'en allait dans son apanage, et que, « si on le pressoit, il se défendroit fort bien '. »

Gaston partit, en effet, pour Orléans, d'où il envoya au roi des explications assez peu satisfaisantes. La reinemère, de son côté, prétendit d'abord n'être pour rien dans l'escapade de Monsieur; mais elle ne put se contenir longtemps, et recommença de crier contre Richelieu et de harceler le roi. Les informations judiciaires commencées contre le maréchal de Marillac lui fournissaient un nouveau grief.

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Tallemant

1 Mém. de Richelieu; Collect. Michaud, 2e série, t. VIII, p. 342. des Réaux, t. V, p. 61. — Suivant les Mémoires qui portent le nom du duc d'Orléans, et qui sont l'ouvrage, de quelqu'un de ses serviteurs (Collect. Michaud, 2a série, 1. IX, p. 581), le duc injuria Richelieu et lui fit de grandes menaces. On avait conseillé à Gaston de tuer Richelieu, mais le cœur lui faillit.

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