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adoucissent leurs derniers moments. Il finit par un trait de charité héroïque, en abandonnant sa maison à un pauvre malade atteint d'un mal contagieux, et en se faisant transporter mourant chez sa sœur. Il expira le 19 août 1662, et alla chercher ailleurs la paix et le bonheur qu'il n'avait pas trouvés ici-bas. Il avait à peine trente-neuf ans.

Les querelles religieuses continuèrent sur sa tombe; mais il était évident que les jésuites étaient ruinés moralement, que la direction religieuse de la France ne leur appartiendrait jamais, et que les jansénistes, quels que fussent le génie et la vertu de leurs chefs, ne s'empareraient pas non plus de la société française : le monde laïque les favorisait par antipathie contre leurs rivaux et par inclination pour leurs personnes bien plus que pour leurs

doctrines. Les deux partis s'étaient enferrés mutuellement par les Provinciales et les Cinq Propositions. Une nouvelle tentative devait avoir lieu. Le vieux gallicanisme régénéré et dirigé par un grand homme, va s'interposer entre les combattants et chercher à son tour une formule: Bossuet se lève au moment ou Pascal vient de descendre au cercueil.

CHAPITRE TROISIÈME.

SI. Belles-Lettres et Poésie; l'hôtel de Rambouillet; Corneille. -
SII. Beaux-Arts; Poussin et Lesueur.

I.

De la sphère de la raison et de celle de la foi, il est temps de passer dans la sphère de l'art. Dans la première de ces sphères, celle de Descartes, le génie, en cherchant la vérité, découvre le beau, sans le chercher, par la splendeur du vrai dans la seconde, celle de Pascal, il le saisit et l'étreint plus puissamment par l'ardeur de l'amour; dans la troisième, le beau devient le but direct du génie humain, et jette, à son tour, son divin reflet sur les deux autres faces de cette trinité immortelle, sur le bien et le vrai.

La France, qui, au moyen âge, et, plus récemment, au seizième siècle, avait atteint le beau dans les arts plastiques, n'y arriva que tardivement dans la poésie. La naissance du dieu se fit longtemps attendre, mais ce fut le laborieux enfantement d'Hercule!

Depuis l'origine de notre langue jusqu'au seizième siècle, la poésie française n'avait véritablement réussi que dans les genres secondaires, les romans en vers n'ayant été que des embryons d'épopée, un peu moins imparfaits seulement que les mystères, ces grossiers embryons de drame, et toute la vaste et confuse poésie héroïque et amoureuse des trouvères et des troubadours n'ayant rencontré sa conclusion qu'en Italie, chez Dante et Pétrarque, chez Arioste et Tasse, ces Homère et ces Pindare des rhap

T. XIII.

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sodes franco-provençaux. On pourrait dire que l'Italien, créé soudainement, comme langue poétique, par l'illumination du génie, est encore à créer, comme langue usuelle et populaire, cinq siècles après Dante; les chefs-d'œuvre, en Italie, ont éclaté dès la naissance de la littérature; l'unité nationale n'a suivi les chefs-d'œuvre ni dans la langue ni dans la politique. La France n'a pas procédé de la sorte: chez elle, le génie n'a point improvisé son verbe, œuvre du temps, œuvre de tous; chez elle, point de chefs-d'œuvre poétiques, avant que l'unité nationale fût consommée, et la parole nationale, constituée; chez le peuple de l'unité, le grand poëte devait parler à tous dans la langue de tous.

Le seizième siècle et le premier tiers du dix-septième ne sont encore qu'une ère d'essai et de préparation: Marot et Régnier sont d'excellents poètes, sans doute, mais dans une région inférieure; Ronsard a échoué en voulant escalader les hautes cimes de l'art; Malherbe est l'artisan de la grande langue poétique; mais ce n'est pas lui qui manifestera par elle la pensée créatrice; le charbon de feu du prophète n'a pas touché ses lèvres !

La dernière période de cette ère d'incubation, qui ne finit qu'en 1656, par le grand enfantement du Cid, mérite qu'on s'y arrête un peu. Il est nécessaire de jeter un coup d'œil sur les rapports de la société et de la littérature, qui toujours réagissent si puissamment l'une sur l'autre. On a déjà indiqué, à propos du succès obtenu par l'Astrée de d'Urfé (t. XII, p. 55), dans quelles conditions favorables au développement des goûts littéraires se trouvait la société française après les Guerres de Religion. Lasse des furieuses passions et des commotions effroyables du siècle passé, la partie de la nation qui possédait de l'aisance et du loisir avait soif des jouissances de l'esprit.

Jamais la situation de la France n'avait été aussi propice à l'essor de la sociabilité qui nous est naturelle. Au moyen âge, l'esprit de discussion régnait dans les écoles, l'esprit de conversation n'était nulle part; la vie isolée des châteaux, l'existence à la fois médiocre et tourmentée de la population urbaine, ne lui permettaient pas d'éclore. Le Midi tenta un premier essai de société polie, qui fut bientôt étouffé dans les torrents de sang de la guerre des Albigeois; puis la vie de cour, sur la fin du moyen âge, commença de rassembler en permanence la noblesse des deux sexes; mais les idées étaient encore trop peu étendues, trop peu variées, trop peu réfléchies; il fallut l'immense ébranlement de la Renaissance, pour que cette société lût enfin révélée à elle-même, et pour que la pensée française s'ouvrît dans toutes les directions. Lorsque les grandes guerres civiles du seizième siècle furent enfin apaisées, ce fut un besoin universel de se réunir, de se communiquer tout ce qu'on sentait, tout ce qu'on pensait, tout ce qu'on cherchait, de partager tous ces trésors d'imagination, de sentiments et d'idées qui se multiplient en se partageant. Dès que la France se connut, et l'on peut dire qu'elle ne se connut véritablement qu'au dix-septième siècle, elle se sentit faite pour la vie commune.

Les révolutions des mœurs se caractérisent d'ordinaire par quelque groupe actif et influent qui s'érige en modèle, et qui est surtout intéressant à étudier s'il se forme spontanément en dehors des pouvoirs officiels et des cours. Telle fut cette célèbre société de l'hôtel Rambouillet1, dont on a trop oublié les services et trop exagéré les travers. Le premier rôle appartient naturellement aux femmes

1 L'hôtel de Rambouillet était situé entre le Louvre et les Tuileries, près de l'hôtel de Longueville.

dans ces intimes transformations, que l'histoire se contente trop souvent de constater lorsqu'elles sont accomplies, et qui valent bien qu'on en recherche les sources cachées sous la poussière tumultueuse des révolutions politiques. Le nom de la marquise de Rambouillet1 revendique une belle place dans la tradition de la France. Ce ne fut pas sans doute l'œuvre d'une âme commune que de se faire le centre et de saisir la direction d'un mouvement social aussi considérable, sans autre autorité que celle que nent la beauté, l'esprit et la vertu.

don

Dans les premières années du dix-septième siècle, tandis que la cour de Henri IV gardait les façons et les mœurs des camps, la société polie et lettrée s'organisait, chez madame de Rambouillet, sur un pied tout à fait nouveau. Jusqu'alors, les lettrés sans naissance n'avaient figuré à la cour et dans le monde qu'à titre de domestiques des rois et des grands : pour la première fois, ils furent admis, a titre des gens de lettres, auprès des femmes de qualité, sur le pied de l'égalité avec les hommes les plus distingués et les plus recommandables de la haute noblesse; pour la première fois, parmi nous, si l'on excepte la dernière période de la fugitive civilisation provençale, l'esprit donna rang dans le monde. On n'a pas fait suffisamment honneur à madame de Rambouillet de cette importante innovation. Si la dignité de la profession des lettrés commença de se fonder sous le règne de Richelieu, qui déploya tant de

1 Catherine de Vivonne, fille du marquis de Pisani, un des diplomates les plus éminents de la fin du seizième siècle, et femme de Charles d'Angennes, marquis de Rambouillet.

2 Il convient de rappeler toutefois que cette domesticité, dans les idées féodales conservées à cet égard jusqu'au dix-septième siècle, n'impliquait pas l'idée d'une condition servile, et qu'une foule de gentilshommes remplissaient des fonctions domestiques chez les grands.

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