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pourtant d'être dénuées de talent; mais il faut acheter trop cher quelques morceaux remarquables, pour qu'on prenne le souci de les aller chercher à travers ces labyrinthes de bel esprit, ces étranges mascarades de l'histoire, et ces échafaudages d'allusions piquantes pour les contemporains, indifférentes à la postérité.

Toute la littérature, ainsi qu'on l'a déjà indiqué, ne s'enfermait cependant point dans le cercle de l'hôtel Rambouillet il existe toujours des esprits qui, par leurs qualités comme par leurs défauts, ne sauraient se contenir dans de tels cadres. Il y avait donc, sur la lisière de l'empire d'Arténice, quelques vassaux soumis et peu fidèles, et, au delà, un camp, ou plutôt une horde d'ennemis et de barbares. Entre les premiers, figure Sarrasin, talent apte à tous les genres et distingué dans tous, bon critique, bon poëte, savant judicieux, éloquent historien, tour à tour sérieux et élevé comme les plus graves des hôtes du salon bleu, sarcastique et cynique comme son ami, le burlesque Scaron il a eu toutes les qualités de l'écrivain, moins le souffle créateur qui fait le génie. A côté de Sarrasin, apparaît le spirituel Saint-Evremont, avant-coureur du dix-huitième siècle au milieu du dix-septième, plus disposé à railler qu'à admirer les précieuses, plus sympathique à Ninon qu'à Julie.

Plus loin sont les ennnemis déclarés de la société polie et sévère, les champions de la fantaisie effrénée et de la vie bohémienne; l'énergique Théophile, qui termina trop prématurément sa carrière tourmentée, pour pouvoir se débarrasser de la gourme de son talent'; Saint-Amand, dont la verve hardie, puisée au fond des pots, finit par

1 Voyez ci-dessus, page 365,

s'aller noyer dans l'épopée, comme son héros Pharaon dans la mer Rouge; le fantasque Cyrano de Bergerac, dont l'extravagance effleure quelquefois de si près le génie et dans ses pièces de théâtre et dans ses romans astronomiques; Scarron, enfin, l'empereur du burlesque, qui dépensa tant d'imagination et une veine si facile et si vigoureuse dans ses folles parodies, qui sont au vrai comique ce qu'est à la vraie passion le sentiment alambiqué des romans de ce temps1.

On vit donc alors en présence, au sein de la littérature, le parti de l'ordre et le parti de la licence, les uns érigean en système la liberté sans frein dans les idées et dans le style comme dans les mœurs, les autres prenant pour principe la décence et la convenance, le choix et le goût. Si ces derniers n'atteignent pas toujours le goût qu'ils poursuivent, ce n'est pas leur faute. Il faut bien du temps, bien des réflexions, bien des comparaisons, pour fixer ce Protée si difficile à saisir. En érigeant la recherche du goût en principe, les littérateurs de cette époque et de cette école préparèrent à la génération suivante les moyens de le

trouver.

Il faut avouer que les doctes et courtois champions de l'hôtel Rambouillet n'obtiennent pas toujours l'avantage dans la lice poétique contre leurs dévergondés adversaires, et que ceux-ci, dont la veine bachique ne respecte ni le ciel ni la terre, ont parfois des jets d'une étonnante vigueur. Par bonheur, un vrai poëte, le seul qui ait complétement survécu de cette période, rend la suprématie à la cause d'Arténice, devenue sa muse et la dame de ses

1 Scarron, outre ses poëmes burlesques, ses comédies et ses poésies familières, a laissé un ouvrage original et bien écrit, le Roman Comique, qui rivalise avec les plus agréables romans picaresques de la littérature espagnole, et qui est resté un des meilleurs entre les romans du second ordre,

pensées. C'est Racan, le meilleur élève de Malherbe, dont il n'a pas tout à fait le nerf ni la sévère correction, mais qu'il surpasse de beaucoup par le sentiment et la grâce. Le doux Racan est de nos poëtes du dix-septième siècle, La Fontaine excepté, celui qui a le mieux senti la nature, trop oubliée depuis de notre poésie métaphysicienne; un souffle virgilien passe dans ses vers, et son harmonie fait pressentir Racine'.

La haute poésie, cependant, n'était pas encore fondée: la région du sublime était fermée encore. Ce n'est point à l'hôtel de Rambouillet qu'il faut en faire le reproche. Les cercles littéraires, pas plus que les académies, ne sauraient créer le génie en établissant un certain niveau de goût, d'instruction, de lumières, de bon langage, ils fondent seulement le milieu le plus favorable au développpement du génie, et l'empêchent de s'égarer dans les brouillards de la barbarie, comme aussi parfois ils peuvent entraver son essor vers de plus éclatantes et lointaines lumières, en l'enchaînant à des conventions factices.

Ce n'était ni dans la lente épopée, ni dans l'artificielle pastorale, ni dans l'enthousiasme extatique de l'ode, que le génie souverainement actif et rationnel de la France du dix-septième siècle devait donner son expression poétique. L'âge de la raison ne pouvait être celui de l'ivresse lyrique, et, tandis que les écrivains médiocres, ne comprenant ni leur temps, ni leur pays, allaient se perdre dans les longs détours des récits épiques, les grands poëtes se sentirent emportés ailleurs, vers cet art savamment passionné des sociétés mûres et conscientes d'elles-mêmes, qui ne raconte

1 Entre les écrivains de la première moitié du dix-septième siècle, il ne faut pas oublier maitre Adam, le poëte-menuisier de Nevers, qui, à l'exemple des poëtesartisans d'Allemagne, ne cessera jamais de manier son outil d'une main et sa plume de l'autre.

plus la vie humaine, qui la montre toute vivante et la recrée, vers cet art, le premier de tous, qui déroule le drame des destinées devant la foule sypathique et frémissante, vers l'art du théâtre !

On a parlé ailleurs (t. IX, p. 636, et t. XII, p. 56) de l'état du théâtre français au seizième siècle : la première tentative de la Renaissance pour fonder la tragédie en France avait complétement échoué; Jodelle, Garnier et leurs émules n'avaient su nous donner que de froids pastiches calqués, pour le plan, sur le théâtre d'Athènes, pour les idées et le style, sur Sénèque le Tragique. La comédie leur avait un peu mieux réussi : ils avaient imposé parfois assez heureusement à la verve railleuse de nos vieilles farces nationales, les formes régulières de Ménandre et de Térence. Larivei, Jean de La Taille et quelques autres eurent encore plus de succès dans la comédie en prose, qu'ils importèrent d'Italie en France. Larivei, dont la veine un peu épaisse, mais vigoureuse et féconde en saillies, tient à la fois de Plaute et de Rabelais', abonde en traits d'un excellent comique, que Molière ne dédaignera pas de mettre à contribution.

La comédie régulière, pas plus que la tragédie, ne parvenait cependant jusqu'au vrai public; ce n'étaient encore que plaisirs d'érudits; les colléges, quelquefois la cour, leur servaient d'asile; mais la masse des Parisiens ne connaissait que son vieil hôtel de Bourgogne, où les confrères de la Passion, depuis la prohibition des mystères en 1548, continuaient de vivre sur le reste des genres du moyen âge, farces, moralités, bergeries, etc., et d'interdire, en vertu de leur monopole, la formation de tout autre théâtre public.

1 Sainte-Beuve, Tableau de la poésie française au seizième siècle, t. Ier, p. 280. Les six meilleures pièces de Larivei furent publiées en 1579.

La tragédie et la comédie régulières, en faveur à la cour lettrée des derniers Valois, disparurent dans la tempête de la Ligue. Lorsque la paix de religion rouvre la lice à l'art dramatique, une nouvelle école remplace à la fois la docte pléiade de la Renaissance et la grossière confrérie du moyen âge. Les confrères de la Passion abandonnent définitivement l'hôtel de Bourgogne à des comédiens dont la Comédie-Française est la postérité directe, et qui débutent par substituer à l'imitation des Grecs et des Latins l'imitation des Espagnols. L'Espagne, en perdant l'influence politique qu'elle avait eue chez nous durant la Ligue, conserve l'influence littéraire introduite par les diplomates et les soldats de Philippe II. Dans le contact de deux littératures, celle qui a trouvé sa forme et commencé à produire ses œuvres capitales, prend naturellement l'ascendant sur celle qui n'en est qu'aux essais. L'art dramatique d'outre-Pyrénées, si fécond, si facile, si varié, si brillant dans ses défauts mêmes, devait séduire surtout les gens qui vivent du théâtre, acteurs et auteurs de profession, auxquels il promettait d'épargner les longues études et les méditations d'un art plus sévère. Paris et les provinces furent inondés d'ouvrages aussi rapidement produits qu'oubliés, et Alexandre Hardi, le grand fournisseur de l'hôtel de Bourgogne, se crut le Lope de Vega français, parce qu'il comptait, comme le dramaturge castillan, ses pièces par centaines. Malheureusement, il ne ressemblait à Lope que comme un torrent d'eau tiède ressemble à un torrent de lave. Hardi n'avait, dans son abondance stérile, ni originalité, ni passion, ni vie. Eût-il eu, au reste, les qualités de ses modèles, il n'eût pas vraisemblablement réussi à fonder chez nous quelque chose de durable sur l'importation du système espagnol. Les éclatantes improvisations

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