Images de page
PDF
ePub

l'idée sur l'image, de la ligne sur la couleur1. Comme l'écueil de l'imagination est l'extravagance, les deux écueils de la raison sont le prosaïsme et la subtilité. Corneille a évité le premier de ces deux périls en élevant la raison à l'héroïsme par l'alliance du devoir et de la volonté : il n'a pas échappé au second écueil; s'il avait le principe de Descartes, la raison, il n'en eut pas assez la forme; il est resté malheureusement engagé, à cet égard, dans la vieille dialectique, compliquée parfois de la métaphysique amoureuse de l'Astrée et de l'hôtel Rambouillet. Ses raisonnements trop subtils et trop artificiels rappellent souvent les thèses de l'école, et, d'une autre part, quelque chose de tendu et de forcé résulte parfois de l'application exagérée du système admiratif: ses héros sont trop souvent tout d'une pièce, trop peu accessibles au doute, à l'hésitation, aux faiblesses humaines; c'est leur ôter une partie de leur mérite et surtout de l'intérêt qu'ils inspirent, que de leur ôter la lutte intérieure. On les admire quand ils s'élancent vers l'idéal, mais on serait plus touché, sans admirer moins, s'il leur en coûtait plus d'efforts. L'antithèse, par contre, est trop absolue dans les méchants, qui, eux aussi, sont tout d'une pièce, et s'avouent beaucoup trop franchement leur méchanceté à eux-mêmes. L'exécution, dans la plupart des œuvres de Corneille, est, en outre, fort inégale : Corneille ne sait point enlever les aspérités du marbre indestructible qu'il taille, ni en assouplir les contours; si

1 On a argué de ce caractère de notre art pour contester à la France du dixseptième siècle le don de la poésie en lui accordant celui de l'éloquence. On aura eu raison, s'il est admis que Fimagination et le sentiment des harmonies de la nature constituent exclusivement la poésic: mais n'y a-t-il pas aussi, dans le cœur et dans l'intelligence de l'homme, même abstractivement séparé de la nature extérieure, une source profonde de poésie, et la poésie n'est-elle pas partout où est l'idéal ?

prodigieusement divers dans ses créations, si savamment réfléchi dans ses plans, il semble emporté, dans l'exécu→ tion, par une force instinctive et aveugle : il a a péu de goût et peu de choix, et n'a pas le don de connaitre ni de gouverner sa veine; quand l'inspiration vient à lui manquer, il tombe rudement, tombant de si haut !

Quelles qu'aient été les imperfections du grand tragique, après lui, on ne saurait trop le répéter, si la forme exté, rieure de l'art peut se perfectionner beaucoup encore1, le ressort intime, l'âme de l'art, ne peut plus que descendre. Pierre Corneille reste le type mème de l'art dramatique, le doivent concevoir le philosophe, l'homme religieux et l'homme d'État, tel que personne, avant ni après lui, dans aucun siècle ni dans aucun pays, ne l'a réalisé, tel que Platon en eût fait, s'il l'eût connu, l'une des colonnes de sa république.

tel

que

II.

La France, au moyen âge, avait atteint et possédé le beau dans l'architecture, et aussi, ce qu'on a trop longtemps inéconnu, dans la sculpture monumentale; puis, au seizième siècle, elle l'avait touché de nouveau dans une statuaire moins dépendante de l'architecture. La peinture n'avait pas suivi le vol puissant de ses deux sœurs: l'art national du verrier, qui fut, jusqu'au seizième siècle, presque toute la peinture française, si merveilleux qu'aient été ses effets, ne fut, pour le moyen âge, il faut bien en convenir, qu'un art de décoration, qu'un art de second

1 Nous entendons la science de la composition, l'harmonie des parties et du style, non la forme du vers; car le vers cornélien, avec sa liberté bien suffisante de coupe et de césure, sa force incomparable, son jet d'une coulée immense, est vraiment l'alexandrin par excellence.

ordre le beau idéal, dans la peinture, fut un moment effleuré par la forte main de Jean Cousin; mais, autour de Cousin et après cet artiste éminent, l'on ne voit rien paraître qui rivalise avec lui ou qui le continue, en tant que peintre. A l'avénement de Richelieu, la grande peinture n'était pas encore née en France: elle allait naître, pour un moment, mais un moment qui vaut des siècles.

L'architecture, au contraire, languissait de plus en plus. Le vide laissé par la chute de l'art ogival augmentait au lieu de se combler. Il ne faut pas moins que tout un système nouveau de civilisation pour enfanter une nouvelle architecture, et, si grand que fût le dix-septième siècle, il n'était pas dans les conditions où éclosent une SainteSophie de Constantinople, une mosquée de Cordoue, une Notre-Dame de Reims; car il en était aux fondations et non au faite d'une ère nouvelle, ère qui dure toujours, et dont la consommation est encore le secret de Dieu. L'architecte le plus renommé du temps de Louis XIII, Jacques Debrosse, dépensa des facultés très distinguées en essais malheureux pour marier les trois ordres grecs superposés à un principe de construction incompatible avec le système antique le portail de Saint-Gervais (4646) n'a pu être admiré qu'à une époque où l'on avait perdu la notion de l'harmonie dans l'art. Debrosse réussit mieux dans l'architecture civile: le palais du Luxembourg (16151620), sans arriver à la complète beauté ni à la pureté du goût, conserve du caractère et un effet imposant, malgré les altercations graves qu'on lui a fait subir à deux reprises. La Grande Salle du Palais de Justice (1618), et surtout l'aquedue d'Arcueil, renouvelé des Romains, attestent aussi que Debrosse eût pu être un grand architecte à une époque plus prospère pour son art.

Ce fut quelques années plus tard que l'on commença d'introduire chez nous, dans les constructions religieuses, le système du Bramante et les coupoles on les employa

d'abord dans de petits édifices, puis à la Sorbonne et au Val-de-Grâce; mais ces dômes, le dernier surtout, n'ont point des proportions bien heureuses, et l'architecture religieuse ne fut point ravivée par cet élément exotique.

La sculpture, médiocre et lourde sous Henri IV et durant la première partie du règne de Louis XIII, se relève sous Richelieu, en nous donnant un artiste de haut mérite, Sarrasin, qui, né à Noyon, alla passer sa jeunesse à Rome, et rapporta à Paris, en 1628, un talent plein de force, d'ampleur et de dignité. On n'eût probablement pas trouvé, de ce temps, en Italie, un sculpteur capable d'exécuter ces majestueuses cariatides du pavillon de l'Horloge, qui se montrent dignes de figurer, au front du Louvre, entre les puissantes créations de Paul Ponce et les élégantes figures de Jean Goujon.

Sarrasin allait cependant être effacé par un plus grand que lui. Le Michel-Ange français, Pierre Puget, était né à Marseille en 1622. Sculpteur, peintre, architecte, Puget devait égaler les artistes italiens des beaux siècles par l'aptitude universelle, par l'étendue des connaissances comme par l'esprit créateur et la hauteur du caractère. Il débuta, en vrai Marseillais, en vrai fils de la mer, par appliquer son génie à la construction et à la décoration des navires : c'est à lui que l'on dut ces belles formes de vaisseaux, ces poupes colossales, ornées d'une double galerie saillante et de figures en bas-relief et en ronde-bosse, que nous admirons encore dans les tableaux de marine et dans les modèles du dix-septième siècle, et dont le magnifique aspect nous fait souvent regretter que l'architecture navale n'ait pas con35

T. XIII.

tinué d'associer le beau à l'utile'. Puget, ensuite, cultiva la peinture avec succès durant quelques années, et ce fut seulement à partir de 4655 qu'il se livra exclusivement à la sculpture, soit indépendante, soit associée à l'architecture. L'hôtel de ville de Toulon, construit et sculpté par lui, révéla ce qu'il aurait pu faire aux jours de gloire de l'art monumental. Comme statuaire, il ne laisse rien à désirer : il a rempli toute sa carrière; mais ses principaux chefs-d'œuvre sont postérieurs à l'époque dont on retrace ici le tableau. On retrouvera plus tard ce grand homme. L'époque de Richelieu et de Mazarin fut surtout chez nous l'ère de la peinture 2.

Fréminet, premier peintre du roi depuis Henri IV, était mort en 1619, sans avoir fondé d'école son talent rude et un peu tourmenté n'était pas assez dans les conditions de l'esprit français. Sur ces entrefaites, le fougueux génie qui régnait alors sur l'école flamande, Rubens, fut appelé à Paris par Marie de Médicis pour peindre la galerie du Luxembourg (1620-1625). Le séjour de cet homme extraordinaire n'eut pas le résultat qu'on en eût pu attendre: Rubens força l'admiration plus qu'il n'obtint la sympathie par l'espèce de brutalité sublime qui anime ses colossales compositions; sans doute, la France n'était pas destinée à être une terre de coloristes, puisque Rubens n'y fit point école, et qu'on s'aheurta plus à l'exagération in

1 Le type de ces somptueux navires fut le vaisseau la Reine, construit par Puget de 1643 à 1646, par ordre de l'amiral de Brézé, neveu de Richelieu.

2 Parmi les sculpteurs, François Anguier mérite encore une mention pour ses tombeaux du duc Henri de Montmorency et du duc de Longueville. Son frère et son émule, Michel Anguier, appartient plutôt à la période suivante. On peut citer aussi le Provençal Francin, artiste plus estimabie que connu, auteur d'un très-beau buste de Peiresc.

3 Aujourd'hui transférée au Louvre.

« PrécédentContinuer »