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Le cardinal, convaincu que toute réconciliation était impossible, résolut de ne plus rien ménager et de frapper ses ennemis, ou plutôt les ennemis de la France, jusque sur les marches du trône. Le roi, harassé des clameurs de sa mère, n'aspirait qu'à ne plus la voir ni l'entendre. On ne voulut pas chasser la reine-mère de Paris: c'eût été un trop grand éclat; on prit un détour pour arriver au même but. Le roi et le cardinal partirent pour Compiègne : Marie ne manqua pas de suivre le roi, afin de ne pas renouveler la faute qu'elle avait commise en laissant Louis seul à Versailles pendant la Journée des Dupes. Dès qu'elle fut arrivée à Compiègne, Richelieu fit auprès d'elle une dernière et vaine tentative, comme pour l'acquit de sa conscience. Le lendemain matin, 23 février, le roi et le cardinal reprirent brusquement la route de Paris, avant le réveil de la reine-mère. Marie de Médicis ne devait jamais les revoir ni l'un ni l'autre. Louis annonça par lettre, à sa mère, que le bien de ses affaires le contraignait à la prier de se retirer pour quelque temps à Moulins; qu'il lui donnait le gouvernement du Bourbonnais, et qu'elle y serait en tout honneur et liberté. Le maréchal d'Estrées était chargé d'escorter la reine-mère jusqu'à Moulins, avec un fort détachement de la maison du roi.

La princesse douairière de Conti, sœur du duc de Guise, la duchesse d'Elbeuf, sœur naturelle du roi, ennemies acharnées du cardinal, et quelques autres dames de la cabale de la reine-mère furent exilées dans leurs terres : le maréchal de Bassompierre, marié secrètement à la princesse de Conti, fut envoyé à la Bastille. On l'y traita aussi doucement que possible; mais on l'y laissa douze ans, châtiment bien sévère pour un homme de

plaisir, plus léger que malintentionné, et qui ne semble pas avoir été fort dangereux 1.

Richelieu fit appel à l'opinion publique avec la plus audacieuse franchise : une déclaration royale apprit à la France que le roi, forcé d'opter entre son ministre et sa mère, se séparait de celle-ci « pour quelque temps, »> Jusqu'à ce que Dieu eût adouci son esprit séduit par les malveillants (Mercure, XVII, 130).

Richelieu, débarrassé de la mère par ce coup de vigueur, se retourna contre le fils. L'attitude de Gaston devenait tout à fait hostile : Monsieur se cantonnait dans Orléans, levait des soldats, amassait des munitions, envoyait dans les provinces des agents de sédition, affectait de crier contre les impôts et contre les oppresseurs du peuple. On était assuré de ses intelligences avec les ducs de Guise, d'Elbeuf et de Bellegarde, gouverneurs de Provence, de Picardie et de Bourgogne; on le soupçonnait de négocier à Madrid et à Bruxelles. Il n'eut pas le loisir de préparer la guerre civile. Le cardinal de La Valette alla lui offrir, de la part du roi, l'oubli du passé, l'assurance d'un accueil fraternel et la permission de se remarier comme bon lui semblerait, pourvu qu'il revînt à la cour. Ses conseillers, craignant, non pour lui, mais pour eux, la vengeance de Richelieu, quoiqu'on leur promit toute sûreté, lui persuadèrent que le roi ne le rappelait que pour le mettre à la Bastille ou à Vincennes. Il refusa les offres de La Valette. Le roi et le cardinal marchèrent aussitôt sur Orléans avec des troupes (11 mars). Gaston n'essaya pas de résister il s'enfuit en Bourgogne avec quelques cavaliers, qui criaient sur leur passage : « Vivent

1 Mém. de Richelieu, 2e série, t. VIII, p. 343-319. — Mém. de Fontenai-Mareuil, ibid., t. V, p. 233. Mém. de Bassompierre, ibid., t. VI, p. 320-324.

Monsieur et la liberté du peuple! » Le peuple ne bougea pas toute la Bourgogne resta dans l'obéissance du roi, qui suivit de près son frère. Tandis que le roi entrait à Dijon, Monsieur passa la frontière et se retira en FrancheComté, puis en Lorraine. Le duc de Bellegarde, gouverneur de Bourgogne, n'avait pas entraîné une seule ville, et ne put que partager la fuite du prince. (Mém. de Richelieu, 2e série, t. VIII, p. 323).

A la nouvelle de la retraite de Monsieur hors du royaume, le roi alla en personne faire enregistrer au parlement de Dijon une déclaration de lèse-majesté contre tous les compagnons et les instigateurs de l'évasion de son frère (31 mars). En tête de la liste figurait un autre frère de Louis XIII, le comte de Moret, fils naturel de Henri IV et de Jacqueline de Beuil, puis les ducs d'Elbeuf, de Bellegarde et de Roannez, le président Le Coigneux et le sieur de Puy-Laurens (Mercure, XVII, 146).

Les revenus du duc d'Orléaus furent saisis. La Bourgogne, en récompense de sa fidélité, obtint ce qui lui avait été refusé l'année précédente, la permission d'acheter la suppression des élus.

Les divers parlements provinciaux reçurent sans résistance la déclaration de lèse-majesté il n'en fut pas de même à Paris. Le parlement par excellence jugea ses droits violés par la présentation à une cour de justice provinciale d'une sentence de proscription contre des pairs de France et contre un président, qui ne relevaient que de la cour suprême. Nombre de parlementaires allaient plus loin, et, n'admettant pas le flagrant délit comme une raison suffisante, se récriaient sur le fond même d'un acte qui déclarait les gens coupables sans forme de procès. La reine-mère et Monsieur comptaient beaucoup de parti

sans parmi les jeunes magistrats: il y avait, d'ailleurs, dans la majorité du parlement de Paris, peu de sympathie pour le génie novateur et absolu de Richelieu; par une sorte de cercle vicieux, les dispositions hostiles que la magistrature laissait voir au ministre poussaient celui-ci à manifester un mépris croissant pour des formes consacrées et salutaires, mais derrière lesquelles se retranchait l'esprit de faction. Malgré les efforts du premier président Le Jai, dévoué au cardinal, l'enregistrement de la déclaration royale fut suspendu (25 avril).

Richelieu n'était pas homme à reculer devant le parlement, après s'être montré si hardi contre la mère du roi et l'héritier du trône. Le 12 mai, le roi, « séant en son conseil, » cassa la délibération du 25 avril, manda au Louvre le parlement en corps, lui fit signifier, par la bouche du garde des sceaux, qu'il était fait pour rendre justice aux particuliers et non pour se mêler des affaires d'État, déchira de sa main, en présence des magistrats, la feuille du registre du parlement contenant la délibération du 25 avril, et fit insérer à la place l'arrêt du conseil.

Le conseil du roi supprima le même jour, comme calomnieuse, une requête adressée par Gaston au parlement pour demander justice contre Richelieu, que le prince fugitif n'accusait de rien moins que de vouloir entreprendre sur sa personne, sur celle de sa mère, « et ensuite sur celle du roi, et finalement envahir la France. > Une solennelle déclaration du roi rappela à la France les services éclatants du ministre que poursuivaient tant de haines (26 mai)'.

1 Mém. de Richelieu, ap. 2e série, t. VIII, p. 324. — Mercure françois, t. XVII, P. 172-478.

A défaut d'une guerre plus sérieuse, les partisans de Monsieur et de la reine-mère avaient engagé contre le ministre victorieux une violente guerre de plume: les libelles pleuvaient du fond de la Lorraine; mais là, comme ailleurs, Richelieu garda l'avantage. Un seul écrivain du parti opposé, Mathieu de Mourgues, abbé de Saint-Germain, aumônier de Marie de Médicis, a laissé un nom dans l'histoire, par son attachement opiniâtre à Marie et par sa verve d'intarissable et indomptable pamphlétaire. La cause du cardinal fut défendue par Paul Hay Du Châtelet, par Sirmond, neveu du savant jésuite de ce nom, par le Père Joseph, quelquefois par Richelieu lui-même, enfin par un littérateur dont l'éloquence compassée et un peu monotone, mais toujours noble et châtiée, toujours égale et soutenue, était quelque chose de tout nouveau dans notre langue, par Balzac, assez justement surnommé le Malherbe de la

prose.

Au commencement de juin, Monsieur ayant expédié clandestinement à Paris un manifeste furibond dans lequel il imputait tous les crimes du monde à Richelieu, le cardinal fit bravement crier cette pièce par les colporteurs sur le Pont-Neuf, en y joignant une réfutation qui mit le public à même de juger entre l'attaque et la défense. C'était fier et digne; mais ce qui ne méritait pas les mêmes éloges, c'étaient les maximes qu'étalaient certains des champions du cardinal : Balzac, esprit distingué, mais âme servile, apôtre du despotisme en religion, en politique, en toute chose, enchérissait sur ses confrères, et osait avancer, non pas seulement que « le prince, sur un léger soupçon, sur un songe, a droit de s'assurer de ses sujets factieux, » mais encore qu'il peut « prévenir le danger de sa vie par la mort de ceux qui lui sont sus

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