Images de page
PDF
ePub

sa constitution si complètement bouleversée. Depuis 1620, depuis la maladroite intervention diplomatique de Luines en Allemagne, l'Autriche avait marché de succès en succès les états héréditaires et électifs de l'empereur ramenés sous le joug', le Palatin dépouillé, l'Union Évangélique dissoute, le roi de Danemark vaincu, avaient montré la puissance autrichienne grandissant de campagne en campagne. Les efforts que tenta le Danois, en 1627, pour se relever de sa défaite de Lutter, ne lui valurent que de nouveaux désastres quarante mille soldats rassemblés par Christian IV, et parmi lesquels figuraient quatre mille volontaires français et des régiments anglais et hollandais, furent battus en détail et dissipés par Wallenstein et Tilli; le Holstein, le Schleswig, le Jutland, furent envahis, et Christian,* rejeté dans les îles, perdit tout ce qu'il possédait sur le continent, à l'exception de Gluckstadt. Les princes de Hesse-Cassel et de Brunswick étaient dépouillés d'une partie de leurs états: l'électeur de Brandebourg avait ratifié la déposition du Palatin et reçu des garnisons impériales dans ses places; tous les états protestants d'Allemagne, sauf la Saxe électorale, étaient traités en pays conquis.

Les catholiques commençaient à s'effrayer à leur tour. Pendant les premières années de la guerre, l'empereur avait dû ses victoires à l'assistance du duc

1 En 1627, l'asservissement de la Bohème fut consommé par l'interdiction d'employer la langue nationale (le slavo-tchekhe) dans les actes publics. Trente mille familles furent chassées de cette contrée pour avoir refusé d'abjurer leur religion.- En novembre 1629, la mort de Betlem Gabor rendit à l'empereur la libre disposition de la Hongrie, moins Bude et les autres places occupées par les Tures; mais Ferdinand n'osa soumettre la Hongrie au même régime que le reste de ses domaines, et il s'est toujours maintenu là des libertés détruites dans les autres états autrichiens. — W. Coxe, Hist. de la maison d'Autriche, C. LI.

[ocr errors]

de Bavière et de la Ligue Catholique il visait à s'en passer maintenant, et Albert de Wallenstein lui avait suggéré un expédient vraiment infernal pour n'avoir plus besoin de personne. Ce seigneur de Bohême, enrichi et illustré dans les guerres qui venaient de ruiner sa patrie, érigeant en système ce que les chefs protestants Mansfeld et Halberstadt pratiquaient naguère par nécessité, avait offert à Ferdinand, en 1626, de lui donner une armée de cinquante mille hommes, sans qu'il lui en coûtât autre chose qu'une patente impériale et un brevet de généralissime. Ferdinand accepta: Wallenstein fit plus que de tenir parole; il leva cinquante mille hommes, puis cent mille, puis cent cinquante mille le butin, la licence, d'énormes contributions de guerre arrachées sans cesse aux amis comme aux ennemis, tinrent lieu de solde à cette horde immense, qui promena par toute l'Allemagne la terreur et la dévastation, grossissant de marche en marche par les misères mêmes dont elle était cause, et recrutant sur son passage tout ce qu'il y avait dans la société germanique de sauvages passions, de natures violentes et d'existences troublées. C'étaient les grandes compagnies du quatorzième siècle dans des proportions colossales et sous la conduite d'un empereur des brigands. Jamais plus formidable tyrannie militaire ne foula aux pieds tous les droits et toutes les lois.

Les protestants écrasés ne résistaient plus et gardaient un silence de stupeur des cris de colère et d'effroi s'élevèrent du sein des populations catholiques. Le duc de Bavière et les électeurs ecclésiastiques pressèrent à plusieurs reprises Ferdinand d'accorder la paix aux Danois et de licencier son armée; mais, d'une autre part, ils provoquaient l'empereur à reprendre les vastes propriétés

ecclésiastiques occupées par les réformés depuis la paix de Passau, ce qui était une véritable révolution territoriale, et fournissaient ainsi à Ferdinand le prétexte le plus spécieux de rester armé.

L'empereur poursuivit ses avantages et ne désarma point. Wallenstein disait assez haut qu'il fallait réduire les électeurs au rôle des grands d'Espagne. Les projets de Ferdinand et de son généralissime se développaient sur une échelle toujours plus vaste, et il fut bientôt évident que Ferdinand visait à la conquête de la Baltique, et prétendait assujettir à l'Autriche tout ce qui s'étend de cette mer à l'Adriatique. L'empereur projetait l'invasion des îles danoises et une contre-révolution en Suède au profit du roi de Pologne, Sigismond Wasa, chassé autrefois de Scandinavie par les protestants. Il fallait une marine pour consommer ces grands desseins. Wallenstein essaya de contraindre les villes hanséatiques de la Baltique à mettre leurs navires à la disposition de l'empereur ces cités maritimes, dernier refuge de la liberté allemande, ayant résisté pour la plupart, la conquête du Mecklenbourg et de la Poméranie fut résolue; le duché de Mecklenbourg fut confisqué et engagé à Wallenstein, en garantie de ce que lui devait l'empereur; Wallenstein, créé duc de Friedland et amiral de la Baltique, envahit la Pomeranie, quoique le vieux duc de cette province n'eût pris aucune part à la guerre. La ville hanséatique de Stralsund avantageusement située comme point d'attaque contre les îles danoises et la Suède, fut sommée de livrer son port aux Impériaux. Elle refusa Wallenstein l'assaillit. Les Danois firent les derniers efforts pour sauver Stralsund, et leurs flottes détruisirent la marine qu'avait improvisée

Wallenstein avec l'aide du roi de Pologne. Les ressources des Danois s'épuisaient cependant, et Stralsund allait succomber, quand une flotte suédoise apporta de nou-veaux défenseurs à cette courageuse ville. Wallenstein, qui avait annoncé qu'il prendrait Stralsund, fût-elle attachée au ciel par des chaînes de fer! se vit réduit à lever le siége (novembre 1628).

Stralsund cut ainsi la gloire d'arrêter le flot de l'invasion autrichienne. Ce premier échec, l'attitude nouvelle de la France, les instances de l'Espagne, qui pressait l'empereur d'intervenir en Italie, décidèrent Ferdinand à abandonner le projet de conquérir la Baltique, tout en conservant un établissement sur cette mer, à octroyer la paix au roi de Danemark et à lui rendre ses provinces, à condition que le Danois abandonnât les intérêts du Palatin et des ducs proscrits du Mecklenbourg. Le Danois consentit, sacrifia ses alliés, et renonça aux anciennes possessions ecclésiastiques qu'il avait occupées dans le cercle de Basse-Saxe (l'archevêché de Bremen et l'évêché de Verden) (mai 1629). Les impériaux restèrent dans le Mecklenbourg et la Poméranie.

Une telle paix n'était ni ce que désirait Richelieu, ni ce qui pouvait sauver l'Allemagne. A l'époque où la paix se négociait à Lubeck entre Ferdinand et Christian IV, un des plus habiles et des plus courageux agents de Richelieu parcourait l'Allemagne et le Nord, afin de susciter partout des obstacles et des ennemis à la politique autrichienne. Un gentilhomme français, qui avait beaucoup voyagé dans le Nord, le sieur de Charnacé, était venu trouver Richelieu au commencement de l'année 1628, lui avait fait un magnifique éloge du roi de Suède Gustave-Adolphe, et l'avait assuré que l'union de ce prince

avec la France pourrait changer la face de l'Europe. Richelieu ajourna d'abord toute résolution à ce sujet jusqu'après la prise de La Rochelle; puis, au moment de partir pour le Piémont, en janvier 1629, il expédia Charnacé au delà du Rhin 1. L'agent français alla d'abord à Munich, et représenta vivement au duc de Bavière la nécessité de repousser un joug qui menaçait désormais les catholiques aussi bien que les protestants. Maximilien promit que les princes catholiques d'Allemagne ne prendraient aucunement parti pour l'empereur ni pour l'Espagne dans l'affaire de Mantoue, écouta volontiers les idées renouvelées de Henri IV, , que lui exposa Charnacé sur la translation du sceptre impérial de la maison d'Autriche dans celle de Bavière, mais ne voulut pas s'engager jusqu'à signer une alliance défensive avec la France. Quant à une transaction sérieuse et durable entre la Ligue Catholique et les protestants allemands, il y avait une énorme difficulté : c'était cette restitution des biens d'Église que la Ligue Catholique avait réclamée et que l'empereur ordonnait en ce moment même (mars 1629). Ferdinand, par une interprétation évidemment forcée des traités de Passau et d'Augsbourg, enjoignit aux protestants de rendre, non pas seulement les seigneuries ecclésiastiques relevant de l'Empire, qu'ils avaient envahies depuis le milieu du seizième siècle, mais les terres d'Église relevant des princes et seigneurs réformés, ce qui renversait les bases de la paix de religion et bouleversait complètement l'Allemagne. Le calvinisme était absolument proscrit; le lutheranisme était prohibé dans les villes épiscopales, qui avaient joui de la liberté religieuse

1 Mémoires de Richelieu; 2e série, t. VIII, p. 65-66. Mareuil, p. 199.

[blocks in formation]
« PrécédentContinuer »