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était inouïe, mais elle était légale : pour toute réponse, on n'eut qu'à lui montrer le Code Michau, rédigé par son frère! Les sévères ordonnances de François I" et des derniers Valois contre le péculat et la concussion y étaient renouvelées et aggravées : la peine de mort y était partout inscrite (Code Michau, art. 344-411).

Louis de Marillac fut décapité en Grève le 10 mai 1.

L'extrême rigueur de ce jugement, bien qu'elle ne dût pas déplaire au pauvre peuple des campagnes, laissa dans beaucoup d'esprits une impression pénible, et ne contribua pas à rendre l'opinion plus favorable aux commissions extraordinaires. La création de ces machines à condamnations blessait non-seulement les intelligences versées dans la notion du droit, mais le sentiment de l'équité vulgaire, et cependant le gouvernement n'était pas sans excuse. A une époque où l'idée de la séparation des pouvoirs était encore une vague utopie, et où, par la force des choses, tout tendait à la dictature, on concluait volontiers, dans les régions du gouvernement, du droit qu'avait le chef de l'État de se dire le chef de la justice et d'instituer les juges, à son droit de faire rendre la justice par qui bon lui semblait. Les parlements fortifiaient, par leurs prétentions et par leurs refus de concours, cette dangereuse tendance. Ils voulaient avoir ce qui ne leur appartenait pas, ce à quoi ils étaient impropres, la direction politique et administrative du pays, et on leur refusait, par réaction, ce qui leur appartenait, le pouvoir judi

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1 Voyez les pièces dans le Recueil N.-O. Mém. de Richelieu, 20 série, t. VIII, p. 575. Le père Griffet (t. II, p. 119-122; 182-190; 224-250) dɔnne uu très-bon résumé du procès de Marillac. L'ouvrage de ce jésuite est incontestablement le meilleur livre qu'on ait écrit, jusqu'à nos jours. sur l'histoire de Louis XIII Griffet est généralement aussi sincère et aussi judicieux que bien informé.

ciaire. Il faut bien le reconnaître, si les parlements avaient raison dans la forme, ils avaient tort dans le fond. Leur lutte contre Richelieu était en apparence la lutte de la légalité contre le despotisme, en réalité, la lutte de l'esprit stationnaire contre l'esprit de mouvement et de progrès, et, le plus souvent, de la petite politique contre la grande.

Le jour même de l'exécution de Marillac, le roi était parti pour Calais. La faction de Monsieur avait séduit le gouverneur de cette place un des favoris de Gaston, Le Coigneux, sacrifié par son patron à son rival PuyLaurens et désireux de rentrer en grâce auprès du roi, avait dénoncé le complot, auquel on mit ordre. Des lettres interceptées révélèrent, sur ces entrefaites, à Richelieu les menées de Monsieur avec le duc de Lorraine et les généraux espagnols et autrichiens. Les Espagnols avaient reçu des renforts assez considérables et repris l'offensive dans le Palatinat : ils avaient deux corps d'armée sur le territoire de l'électeur de Trèves, l'un à Trèves, l'autre à Spire, et l'on pensait que leurs chefs pourraient bien abandonner ces positions pour se réunir à Gaston et au duc de Lorraine, et tenter une brusque irruption en France. Le cabinet de Madrid faisait en outre des préparatifs menaçants dans la Catalogne et le Roussillon.

L'ennemi fut prévenu dans les derniers jours de mai, les Hollandais, aidés par les subsides de la France et renforcés de nombreux volontaires français, envahirent la Gueldre espagnole, pendant que les maréchaux de La Force et de Schomberg, qui étaient restés en Lorraine, et qui s'étaient concertés avec les généraux suédois des bords du Rhin, passaient la Sarre, entraient dans le Palatinat, et envoyaient un détachement prendre posses

sion de la forteresse de Hermanstein, conformément au traité de l'électeur de Trèves avec la France (13 juin). A cette nouvelle, le corps espagnol de Trèves marcha sur Coblentz, y pénétra par la connivence des habitants, et y jeta une garnison; mais les Espagnols ne restèrent que peu de jours à Coblentz : une division suédoise, accourue de Mayence, chassa l'ennemi et livra la place aux Français, protecteurs de l'électorat. Cette apparition du drapeau français sur le grand fleuve gallo-germanique fait époque dans notre histoire : c'était le premier pas vers l'établissement du protectorat de la France sur la rive gauche du Rhin, but secret de Richelieu 1.

La marche menaçante des Suédois et des protestants allemands, et les succès des Hollandais sur la Meuse, déterminèrent l'évacuation de Spire et la retraite, ou plutôt la fuite des principales forces espagnoles vers la Moselle et la Meuse. Le général en chef espagnol Gonçalez de Cordova ne put appuyer le mouvement de Monsieur, qui était passé du Luxembourg dans la Lorraine, à la fin de mai, avec deux mille chevaux français, wallons, napolitains, allemands et croates. Le duc de Lorraine, effrayé de se voir seul en face de Louis XIII offensé, pressa Gaston de se jeter sur-le-champ en France, ce que fit celui-ci avant le milieu de juin, et se hâta d'écrire aux généraux du roi que Monsieur avait traversé son duché sans sa permission.

La Force et Schomberg ne s'arrêtèrent pas aux belles paroles du duc : aussitôt après l'occupation de Hermanstein, ils tournèrent tète vers la Lorraine, et vinrent prendre Pont-à-Mousson sans résistance, au moment où

1 Mem. de Richelieu, 20 série, t. VIII, p 364-369,

le roi et le cardinal, arrivés de Picardie à grandes journées, entraient dans le duché de Bar avec une armée de réserve organisée en Champagne (18 juin). Quelques troupes lorraines qui se trouvaient dans le Barrois furent taillées en pièces; les villes se soumirent sans coup férir. La nouvelle de l'entrée de Monsieur en Bourgogne ne détourna pas l'orage qui fondait sur la Lorraine. Le roi et le cardinal se contentèrent de détacher le maréchal de La Force à la poursuite de Gaston, et allèrent droit à Nanci. En huit jours, la campagne de Lorraine fut terminée. Nanci fut investi le 24 juin : le 26, le duc achetait le salut de sa capitale et la paix, en remettant au roi, pour quatre ans, les places fortes de Stenai et de Jametz, et en lui vendant le comté de Clermont en Argonne, dont les défilés séparent le Verdunois de la Champagne orientale. Le traité du mois de janvier précédent fut confirmé à tout autre égard. Le roi envoya Schomberg contre Monsieur, par un autre chemin que La Force, afin que ces deux maréchaux enfermassent Gaston entre eux, chargea le maréchal d'Effiat de reprendre les opérations commencées par La Force et Schomberg dans les provinces du Rhin, et repartit pour Paris le 7 juillet.

Le maréchal d'Effiat mourut d'un refroidissement, le 27 juillet, à Lützelstein, comme il s'avançait dans le Palatinat à la tête de vingt-sept mille combattants, dont quatre mille fournis, bien à contre-cœur, par le duc de Lorraine. Ce fut une grande perte et pour Richelieu et pour la France d'Effiat, également propre à tous les emplois, était le plus distingué des hommes d'épée qui s'étaient attachés sincèrement à la fortune du grand ministre. Il fut remplacé, dans les finances, par Bouthillier et Bullion, dans l'armée, par le maréchal d'Estrées, qui

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était loin de le valoir. D'Estrées eut cependant des succès l'armée française, après avoir sommé en vain les Espagnols d'évacuer Trèves, que son prince avait placée sous la protection de Louis XIII, entreprit le siége de cette ville les capitaines espagnols du Luxembourg ne réussirent point à ravitailler Trèves, et la place capitula le 29 août. Tout l'électorat de Trèves fut nettoyé d'ennemis et occupé par les Français, tandis que les Hollandais, conduits par le prince d'Orange Frédéric-Henri, enlevaient aux Espagnols la grande position militaire de Maëstricht, sous les yeux du fameux capitaine allemand Pappenheim, qui, après avoir un peu rétabli les affaires de l'empereur dans la Basse-Saxe et la Westphalie, était accouru au secours des Espagnols (22 août). Les auxiliaires français eurent une glorieuse part à la conquête de Maëstricht'.

Monsieur cependant était entré en Bourgogne par le Bassigni, et s'était porté sur Dijon, après avoir lancé un nouveau manifeste contre « le tyran qui s'est emparé de l'autorité du roi par artifices et calomnies étranges. Malgré les prières et les menaces de Gaston, Dijon ferma ses portes, et toutes les villes de la Bourgogne suivirent cet exemple. Monsieur ne fut pas plus heureux dans le Bourbonnais ni dans l'Auvergne : ses gens se vengèrent sur les campagnes, et les prétendus libérateurs de la France promenèrent partout, sur leur passage, le meurtre, le viol, le pillage et l'incendie. Gaston arriva, au milieu de juillet, dans le Gévaudan et le Rouergue, sans avoir été arrêté par aucun corps de troupes, mais sans avoir pu se faire ouvrir une seule place

Mercure françois, t. XVIII, p. 253-325; 376-428; 455-503. lieu, 2e série, t. VIII, p. 578-398.

- Mém. de Riche

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