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forte. Il pressa Montmorenci de le recevoir en Languedoc. Les circonstances avaient poussé Gaston sur le Midi deux mois plus tôt que ne l'avait prévu Montmorenci, et celui-ci, dont la qualité distinctive n'était pas la prudence, ne s'était nullement mis en mesure. Un fatal point d'honneur ne lui permit pas de se dédire. Montmorenci se rendit à Pézénas, où les États de Languedoc, rouverts par la permission de Louis XIII, s'occupaient alors à débattre avec les commissaires du roi l'affaire de la révocation des élus. Le 22 juillet, l'évêque d'Albi, Delbène, le plus actif des partisans de Monsieur dans le Languedoc, proposa aux États de voter l'impôt suivant les anciennes formes, sans plus tenir compte de l'édit des élus, et de donner une déclaration d'union avec le duc de Montmorenci, « afin d'agir ensemble pour le service de Sa Majesté, le bien et soulagement du pays. » L'archevêque de Narbonne, président des États, s'opposa en vain à cet acte de rébellion la vieille influence du gouverneur de la province, aidée par l'intimidation, l'emporta; l'archevêque et les commissaires du roi furent arrêtés, après la séance, par les gardes du duc, puis mis hors la ville, et l'acte d'union fut publié 1.

Monsieur entra aussitôt dans la province par Lodève, dont l'évêque s'était déclaré pour lui, ainsi que les évêques d'Albi, de Nîmes, d'Usez, d'Aleth et de Saint-Pons. La déclaration des Etats n'eut pas néanmoins l'effet espéré par le parti. Les populations languedociennes, quoique mécontentes, voyaient avec effroi le retour de la guerre civile. Les maréchaux de La Force et de Schomberg, partis de Lorraine, chacun avec un corps de cavalerie,

Hist. du Languedoc, t. V, p. 578-582; et Preuves, no 475, p. 379.

s'avançaient, l'un par le Lyonnais et le Dauphiné, l'autre par le Limousin et la Haute-Guyenne, se renforçaient, chemin faisant, des troupes cantonnées dans l'intérieur du royaume, contenaient la noblesse, qui avait commencé à remuer çà et là, et s'apprêtaient à serrer le Languedoc entre leurs deux corps d'armée comme entre des tenailles. Leur approche raffermit bien des fidélités incertaines. Richelieu recueillit le fruit de sa modération envers les réformés : les ministres protestants de Nîmes conservèrent leur ville au roi malgré les efforts de l'évêque, frère du maréchal de Toiras, et les Cévennes ne se déclarèrent bien que pas, les insurgés y recrutassent quelques troupes mercenaires. Montpellier échappa aux factieux, ainsi que Beaucaire, Carcassonne et Narbonne, qui avait été promise aux Espagnols, comme place de sûreté, par Montmorenci. La capitale de la province, Toulouse, fut également retenue dans le devoir par son parlement, qui lança, le 7 août, un arrêt contre les États Provinciaux et le gouverneur rebelle. Les gouverneurs de Guyenne et de Dauphiné, Epernon et Créqui, dont Monsieur avait espéré l'assistance, protestèrent de leur fidélité au roi.

Montmorenci avait fait les mêmes protestations quasi jusqu'au dernier moment, et Richelieu eut d'abord peine à croire à sa défection. Quand il ne fut plus possible d'en douter, le cardinal prit, avec sa célérité habituelle, toutes les mesures nécessaires pour resserrer et étouffer l'insurrection dans le Languedoc. Les officiers royaux et les corps de ville montraient un peu d'hésitation à prendre l'offensive contre l'héritier du trône : Richelieu jugea la présence du roi nécessaire pour encourager tout le monde et porter les coups décisifs. Le roi alla, le 12 août, faire enregistrer au parlement de Paris une nouvelle

déclaration de lèse-majesté contre les adhérents de son frère; Louis accordait personnellement, à Gaston seul, six semaines pour se remettre en son devoir et recevoir grâce entière; ce délai passé, le roi se réservait d'ordonner contre son frère ce qui serait nécessaire « pour la conservation de l'État, sûreté et repos des peuples 1. »

Le roi et le cardinal partirent, le jour même, pour Lyon, après avoir confié au comte de Soissons le commandement de Paris et des provinces du nord, au prince de Condé, le commandement des provinces du centre. Ces faveurs accordées aux Condé étaient encore une menace pour Gaston. Louis XIII reçut en chemin la nouvelle d'un premier avantage remporté par le maréchal de La Force sur les rebelles, qui cherchaient à insurger le Vivarais plusieurs seigneurs et gentilshommes avaient été pris; ordre fut expédié de les mettre en jugement. Trois d'entre eux furent exécutés.

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La discorde était déjà au camp de Monsieur : Montmorenci, Puy-Laurens, le duc d'Elbeuf, le comte de Morel, se disputaient le commandement; Gaston reprochait à Montmorenci de s'être vanté d'une puissance

1 Richelieu ajoute, dans ses Mémoires (Collection Michaud, 2 série, t. VIII, p. 407), un bien remarquable commentaire à ce passage de la déclaration royale. Croire que, pour être fils ou frère du roi ou prince de son sang, on puisse impunement troubler le royaume, c'est se tromper. Il est bien plus raisonnable d'assurer le royaume et la royauté que d'avoir égard leurs qualités... Les fils, frères et autres parents des rois sont sujets aux lois comme les autres, et principalement quand il est question du crime de lèse-majesté. »

Richelieu est tout entier dans ces bautes maximes de salut public et d'égalité devant la loi. Le droit que s'arrogeaient les princes de prendre part au gouvernement en vertu de leur naissance, avec l'espèce d'inviolabilité qu'ils s'attribuaient, était le plus grand de tous les obstacles au progrès de la France vers l'ordre et l'unité. Richelieu dégagea et isola la royauté pour l'élever à la hauteur d'une idée vivante et l'identifier avec l'État.

T. XIII.

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qu'il n'avait pas, et de ne lui avoir pas livré les principales villes de la province; Montmorenci reprochait au prince d'être arrivé trop tôt, et avec des forces bien inférieures à celles qu'il avait annoncées. Le gouvernement espagnol, qui avait promis d'envoyer un gros corps de troupes par le Roussillon en Languedoc, hésitait à prendre l'initiative de la guerre directe contre la France, pour soutenir une insurrection qui s'annonçait d'une manière assez peu imposante. Monsieur avait dépêché à Madrid le comte du Fargis, accompagné d'un personnage qui, sans avoir rien livré à l'imprimerie, commençait à se faire un grand renom de bel esprit par ses lettres et ses vers, et à rivaliser de célébrité littéraire avec Balzac : c'était Vincent Voiture. Ce littérateur diplomate fut fort goûté et fort caressé d'Olivarez1, mais son parti n'en profita guère. Les choses, d'ailleurs, allèrent trop vite en France pour que le cabinet espagnol eût le temps de se préparer à une intervention sérieuse.

Montmorenci, qui commençait à concevoir de sombres pressentiments, avait tenté de négocier avec le cardinal; mais Richelieu, soit qu'il eût résolu de repousser toute transaction, soit qu'il crût que le duc voulait seulement gagner du temps, renvoya le négociateur sans l'entendre (17 août). Quelques jours après, une déclaration royale enjoignit au parlement de Toulouse de faire le procès au duc de Montmorenci, pour crime de lèsemajesté quinze jours étaient accordés aux prélats, barons, consuls et députés des villes qui avaient pris part aux délibérations des États à Pézénas, pour désavouer ce qu'ils avaient résolu ou consenti (23 août). La déclara—

• Voyez les lettres de Voiture, citées par Levassor, t. IV, p. 435.

tion fut signée par le roi à Cosne sur Loire. Avant que Louis, qui traînait après lui une artillerie formidable, fût arrivé à Lyon, la lutte fut terminée en Languedoc.

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Les rebelles, principalement établis dans le centre de la province, où ils tenaient Béziers, Lodève, Alais, Usez, Agde, Lunel, Pézénas, avaient divisé leurs forces pour s'opposer aux maréchaux de La Force et de Schomberg. Le duc d'Elbeuf s'était chargé de tenir tète à La Force sur le Rhône, où le château de Beaucaire avait pris parti pour Monsieur Gaston, Montmorenci et Moret se portèrent dans le Haut-Languedoc au devant de Schomberg, qui n'avait encore que fort peu de troupes avec lui. Les deux petites armées se rencontrèrent, le 1er septembre, auprès de Castelnaudari, qu'elles prétendaient également occuper. Schomberg, par une habile manoeuvre, passa le premier la petite rivière du Fresquel, qui était entre les deux armées et la ville, et se plaça entre l'ennemi et Castelnaudari. La cavalerie des rebelles franchit à son tour le Fresquel, et l'escarmouche s'engagea parmi des fossés, des fondrières et des ravins, qui rendaient, de part et d'autre, l'attaque très-difficile. Les rebelles avaient trois à quatre mille cavaliers, deux mille fantassins et trois canons. Les cardinalistes compensaient par l'ordre et la discipline leur infériorité numérique, tandis que l'anarchie régnait parmi leurs adversaires. Gaston et Montinorenci venaient de se quereller, et Gaston avait, dit-on, menacé de faire sa paix particulière. On se raccommoda néanmoins au moment de combattre, et l'on convint de ne point attaquer à fond que l'artillerie ne fùt arrivée. Cependant, à peine le comte de Moret, qui commandait l'aile gauche, vit-il paraître un escadron cardinaliste, qu'il courut au devant, et se fit tuer à la première dé

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