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L'AN 420.

SAINT JEROME, qui mérite à bien des titres d'être regardé comme le plus savant des Pères de l'église latine, eut pour patrie la petite ville de Strinonium ou Sdrigny, voisine d'Aquilée (a). Il naquit vers l'an 331 (6). Il eut un frère qui ne vint au monde que plusieurs années après lui, et qui se nommoit Paulinien. Eusèbe, son père, jouissoit d'une fortune assez considérable, et il en consacra une partie pour procurer une excellente éducation à .son fils.

Jérôme apprit les premiers élémens des sciences dans la maison paternelle, après quoi il fut envoyé à Rome. Il y eut pour maître de grammaire le célèbre Donat, si connu par ses commentaires sur Virgile et sur Térence. A force de lire les bons auteurs qui avoient écrit en grec et en latin, il acquit une parfaite connoissance de ces deux langues. Ses progrès dans l'étude de l'éloquence furent si rapides qu'il se vit bientôt en état de paroître au barreau avec distinction; mais à l'école d'un maître païen qui n'exigeoit qu'une décence extérieure de

(a) Cette ville ne doit point être confondue avec celle de Strigonium ou de Gran, qui est située sur le Danube, dans la Basse-Hongrie. La ville de Strinonium n'étoit point, selon saint Jérôme, dans l'Illyrie ou dans la Dalmatie: elle ne faisoit point non plus partie de l'Italie, comme quelques Italiens l'ont prétendu; mais il paroît certain qu'elle étoit en Pannonie.

(6) Selon la chronique de saint Prosper, qui en ce point n'est pas trop d'accord avec elle-même, saint Jérôme mourut en 420, âgé de 91 ans. Il étoit donc né en 329, comme 'ont cru Cave et Fleury. Martianay met sa naissance en 331; Tillemont, d'après Baronius, la met en 342, et ces deux savans fondent leur opinion sur quelques passages de saint Jérôme, ainsi que sur diverses circonstances de la vie du saint docteur Mais le P. Stilting prouve assez bien que l'opinion de Martianay mérite la préférence, et que le Saint mourut à l'âge de 89 ans.

la part de ses disciples, il oublia peu à peu les saintes maximes que ses parens lui avoient inspirées. Dans les premiers temps de son séjour à Rome, il alloit tous les dimanches, avec quelques-uns de ses compagnons d'étude, visiter les catacombes, afin de nourrir sa piété par le souvenir du courage qui avoit éclaté dans les martyrs; mais des idées toutes mondaines, et un éloignement marqué pour les exercices de religion, succédèrent bientôt à cette sainte pratique. Il s'abandonna aux impressions de l'orgueil et de la vanité; et pour n'avoir pas réprimé d'abord ses passions, il en devint le jouet et l'esclave. Cet exemple prouve le danger des écoles publiques, lorsque les jeunes gens, livrés à eux-mêmes, n'ont point de guides pieux et éclairés qui leur fassent sentir que la vertu est le plus précieux des trésors. Jérôme, à la vérité, ne tomba point dans les vices grossiers; mais il n'avoit point cet esprit de christianisme qui fait les véritables disciples de Jésus-Christ.

Quand il eut atteint l'âge viril, il voulut parcourir les contrées où il pouvoit se perfectionner dans les sciences. Cette méthode de voyager est fort ancienne et fort utile, si l'on s'est mis en état de profiter de tout ce que l'on voit, si l'on prend de sages précautions pour se prémunir contre le danger de la séduction, et si l'on a soin de se fortifier par les exercices de la piété, pour conserver son innocence au milieu des vices qui souvent sont autorisés par une foule d'exemples. Les premiers philosophes sortoient de leur pays pour acquérir des connoissances nouvelles, ou pour augmenter celles qu'ils possédoient déjà. Les solitaires voyageoient aussi anciennement; mais leurs courses se bornoient à parcourir les monas

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tères ou les déserts, afin d'y visiter les serviteurs de Dieu, de s'y édifier avec eux, et de s'y instruire, par leurs discours et leurs exemples, des véritables maximes de la perfection.

Les lettres florissoient alors dans les Gaules plus que par-tout ailleurs. Les Romains y avoient établi plusieurs écoles. Les plus célèbres étoient celles de Marseille, de Toulouse, de Bordeaux, d'Autun, de Lyon et de Trèves (c). Saint Jérôme visita la plupart de ces écoles. Son plus grand plaisir à Rome avoit été de se former une bibliothèque choisie, et de lire assidument les grands modèles. Plaute et Cicéron étoient ses auteurs favoris. Son amour pour la lecture alloit si loin, qu'il oublioit quelquefois le soin de son propre corps. Non content d'avoir acheté beaucoup de livres, il en copia plusieurs de sa propre main, et en fit copier plusieurs autres par ses amis (1). On met son arrivée à Trèves peu après l'année 370. Il étoit accompagné d'un de ses amis nommé Bo

(c) Trèves, réputée ville impériale, étoit alors honorée souvent de la présence des empereurs, qui ne se plaisoient plus à Rome, parce que plusieurs sénateurs puissans étoient attachés à l'idolâtrie, et témoignoient publiquement leurs regrets sur la perte de l'ancienne liberté et de leurs privileges. L'empereur Gratien, qui étoit savant, et qui protégeoit les sciences, assigna un revenu fixe aux maîtres publics de rhéthorique, ainsi qu'à ceux qui enseignoient dans les grandes villes les lettres grecques et latines. Cod. Theod. 13, t. III, t. 11, p. 39, 40. Il accorda des priviléges particuliers aux écoles des Gaules, et sur-tout à celles de Trèves, dont les professeurs avoient des revenus plus considérables que partout ailleurs. Il fit venir Ausone, de Bordeaux, dans cette ville. Persuadé que les sciences ne peuvent manquer de devenir pernicieuses sans la vertu, il fit de sages réglemens pour maintenir la pureté des mœurs parmi les étudians; il leur défendit de se trouver au théâtre et aux autres divertissemens publics. L'école de Trèves avoit pour professeurs d'éloquence, Harmonius et: Ursuleas, dont Ausone fait le plus grand éloge, ep. 18, p. 644.

(1) S. Hier., ep. 4, p. 6.

nose. Ce fut dans cette ville que se réveillèrent ses anciens sentimens de piété, qu'il renonça pour toujours aux vanités qui l'avoient séduit, et qu'il prit la résolution d'embrasser l'état de continence perpétuelle (2). Il commença dès-lors à changer l'objet de ses études. Il copia à Trèves le traité des synodes et les commentaires sur les psaumes, par saint Hilaire (3). Il enrichit encore son trésor littéraire de diverses collections qu'il fit dans les Gaules, et se retira ensuite à Aquilée, ou il y avoit alors des hommes d'un rare mérite.

Saint Valérien, évêque de cette ville, en avoit banni l'Arianisme, qui y avoit été introduit par son prédécesseur ; il avoit en même temps formé des ecclésiastiques savans et vertueux, et son clergé avoit une telle réputation, qu'il passoit pour le plus recommandable de l'Occident. Les liaisons de saint Jérôme avec plusieurs de ces ecclésiastiques, le confirmèrent de plus en plus dans la résolution qu'il avoit déjà prise à Trèves. Il conserva toujours beaucoup d'attachement pour quelques-uns d'entre eux, dont on voit souvent les noms dans ses écrits ; il en a même dédié plusieurs à saint Chromace, qui, en 387, succéda à saint Valérien (d), et qui mourut le 2 Décembre vers l'an 406 (e). On compte parmi

(2) S. Hier., ep. 1. p. 3. Voyez D. Rivet, Hist. littér. de la Fr. t. 1, part, 2, p. 12.

(3) S. Hier., præf. 2 in lib. 2 in Gal., et ep. (d) Fontanini a prouvé, Hist. lit. Aquil. l. 3 que saint Valérien mourut le 26 Novembre 387.

4

,p. 6.
.3, p. 124,

C. 2

(e) Nous avons dix-huit homélies de saint Chromace sur saint Matthieu. On y trouve une explication de l'oraison dominicale, et d'excellentes maximes sur l'aumône, le jeûne et les autres vertus chrétiennes. L'auteur s'exprime d'une manière correcte: il a de la justesse et de la précision dans les idées: ses réflexions tendent toujours au bien des lecteurs.

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les grands hommes qui, dans le même temps, illustroient l'église d'Aquilée, Jovin et Eusèbe frères de saint Chromace, l'un archidiacre, et l'autre diacre; Héliodore ( qui fut sacré évêque d'Antino, du vivant de saint Valérien); Nicétas, sousdiacre, et Chrysogone, moine. Il paroît par la chronique et les lettres de saint Jérôme, qu'Héliodore, Nicétas et Florence étoient moines aussi. L'état monastique avoit été introduit depuis peu en Italie par saint Athanase (4). Le cardinal Noris a prouvé (5) que ce célèbre patriarche fit un long séjour à Aquilée. Ce qu'il y publia de la vie de saint Antoine, et de celle des autres moines d'Egypte, engagea plusieurs personnes à embrasser le même état. On vit bientôt un grand monastère à Aquilée, dont on met la fondation en 370, et le savant Fontanini pense que c'est le premier qu'il y ait eu en Italie; mais nous regardons comme plus probable le sentiment de ceux qui croient que saint Eusèbe de Verceil en fit bâtir un dans sa ville épiscopale en 362, après son retour de l'Orient. On en fonda vers le même temps à Rome, à Milan, et dans d'antres villes. Enfin, saint Athanase, dans sa vie de saint Antoine, fait mention de plusieurs monastères déjà existans en Italie.

Rufin, qui n'étoit encore que catéchumène entra dans celui d'Aquilée, en 370, comme il nous l'apprend lui-même (6). Saint Jérôme s'y C'est fort mal à propos qne les 18 homélies de saint Chromace ont été rédigées en un ou en trois traités, dans la plupart des éditions. Voyez Ceillier, t. X, p. 86; Fontanini, Hist. lit. Aquil. l. 3, c. 4, p. 133, et Sollier, l'un des continuateurs de Bollandus, sous le 17 Août.

(4) S. Hier., ep. 96, aliàs 16 ad principiam.

(5) Hist. Pelag., l. 2, c. 3.

(6) Apol. 1 S. Hier. Apol. 1 et 2, Chron, ad an. 376, etc. Tome IX.

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