Images de page
PDF
ePub

retira aussi. Rufin, avec lequel il s'unit d'une amitié fort étroite, et dont il fut dans la suite un des plus ardens antagonistes, étoit né à Concordia, dans le territoire d'Aquilée (f). Il reçut le baptême dans cette dernière ville pendant le séjour qu'y fit saint Jérôme, et saint Valérien lui administra ce sacrement dans sa cathédrale, en présence de saint Chromace, de Jovin et d'Eusèbe, qui lui servirent de parrains (7), et c'est pour cela que dans la suite il les appeloit ses trois pères (g).

Saint Jérôme, en se retirant dans le monastère, s'étoit proposé de continuer ses études avec plus d'ardeur et de liberté. Ce ne fut qu'à regret qu'il se vit obligé d'en sortir, et de se séparer de Rufin, son ami (8). On ignore quelle fut la véritable cause de sa sortie; on l'attribue communément à des raisons de famille. En effet, il dit, en parlant d'une visite qu'il rendoit à ses amis, qu'il

(f) Il y a une autre ville du même nom près de Mirandole.

[ocr errors]

(7). Voyez Fontanini, Hist. Aquil. l. 4, c. 1, p. 156, 157. (g) De ces trois parrains, l'un étoit pour l'instruction l'autre pour le baptême, et le troisième pour la confirmation. Ce fait détruit l'opinion de Martène et de Gérard Maestricht (l. 1 de Antiq. Eccl. Ritibus, c. 16, §. 12. Munster in Schediasmate, de susceptoribus, p. 69), qui ont avancé qu'il n'y avoit jamais qu'un parrain pour la même personne.

Du Pin, Bib. t. 3. Ceillier, t. X, p. 2, et quelques autres écrivains, se sont trompés, en disant que Rufin fut baptisé dans une chapelle du monastère. Fontanini, ibid., p. 157, prouve que ce fut dans la cathédrale d'Aquilée. Le baptême d'ailleurs ne s'administroit jamais solennellement que dans les cathédrales ou les églises paroissiales. Bertoli, Antichita d'Aquileia, p. 366, parlant de la chapelle de SaintJérôme, qui est dans la cathédrale d'Aquilée, donne la description d'un ancien monument érigé à la mémoire de Rufin, qui avoit recu là le baptême. Le nom de saint Jérôme a été substitué à celui de Rufin par quelque moderne.

(8) S. Hier., ep. 1 alias 41, etc.

[ocr errors]

apprit que sa sœur s'étoit écartée de la voie du salut mais il eut le bonheur de la ramener à son devoir, et il la convainquit tellement de la vanité du monde, qu'elle fit vœu de chasteté perpétuelle. Il paroît que cette affaire lui suscita beaucoup d'embarras, et que ce fut là la cause qui l'obligea de quitter le pays.

Il retourna à Rome, bien résolu de vivre dans la retraite, et de ne s'occuper que de ses études. Nous voyons par ses lettres au pape Damase, qu'il reconnoissoit avoir reçu le baptême dans cette ville. Tillemont pense qu'il n'y fut baptisé qu'après son retour d'Aquilée, parce que le saint date sa conversion du temps où il demeuroit dans le voisinage du Rhin (9); mais Martianay et Fontanini soutiennent, avec plus de vraisemblance, qu'il avoit reçu le baptême à Rome avant de voyager dans les Gaules, quoique ce ne soit qu'à Trèves qu'il ait fait vœu de vivre dans une continence perpétuelle.

Peu de temps après son arrivée à Rome, il comprit que le séjour de cette ville n'étoit pas plus favorable que celui de sa patrie, au dessein qu'il avoit formé de vivre dans une entière solitude; il résolut, en conséquence, d'aller s'ensevelir dans quelque lieu fort éloigné. Bonose, son compatriote et son parent, qui avoit été jusquelà le fidèle compagnon de ses études et de ses voyages, refusa cette fois d'entrer dans ses vues, il se retira dans une île déserte, située sur les côtes de la Dalmatie, et s'y consacra aux exercices de la vie monastique.

Il y avoit alors à Rome un prêtre célèbre, que les affaires de l'église d'Antioche y avoient appelé. Il se nommoit Evagre. Saint Jérôme ayant lié (9) S. Hier., ep. 1 aliàs 41.

[ocr errors]

connoissance avec lui, et profitant de l'offre qu'il lui faisoit de lui servir de guide, partit pour l'Orient, accompagné d'Innocent, d'Héliodore et d'Hylas. Ils traversèrent ensemble la Thrace, le Pont, la Bithynie, la Galatie, la Cappadoce et la Cilicie. Dans tous les lieux où le Saint passoit, il ne manquoit pas de visiter les anachorètes et les autres personnes d'une piété éminente, dont la conversation pouvoit l'édifier et l'instruire. Il se trouvoit un grand nombre d'illustres serviteurs de Dieu, sur-tout dans les déserts de l'Egypte, de la Syrie et de la Palestine. Rufin, qui les visita, nomme les plus célèbres de ceux dont il reçut la bénédiction: les deux Macaire en Egypte, Isidore dans le désert de Scété, Pambon dans les cellules, Pémen et Joseph, dans le désert de Pispir, appelé la montagne d'Antoine. Saint Jérôme, de son côté, fait mention d'Amos, de Macaire, disciple de saint Antoine, et de plusieurs autres. Il nous apprend qu'une de leurs règles étoit de ne point admettre dans les monastères d'Egypte ceux qui ne pouvoient travailler des mains; et en cela l'on avoit moins égard à la nécessité de pourvoir à leur subsistance, qu'à la sanctification de leurs ames (10). Lorsque saint Jérôme fut arrivé à Antioche, il s'y arrêta quelque temps pour suivre les leçons d'Apollinaire, qui expliquoit l'écriture avec beaucoup de réputation, et qui n'avoit point encore rendu publique l'hérésie à laquelle on a depuis donné son nom.

En partant de Rome, il n'avoit emporté avec lui que sa bibliothèque, et l'argent nécessaire pour le voyage. Evagre, qui étoit riche, ne le laissa manquer de rien; il lui facilita même les moyens de continuer ses études, en lui fournis(10) S. Hier., ep. ad Rustic.

sant des secrétaires qui travailloient sous ses ordres. Quelque temps après, il quitta Antioche pour se retirer dans un désert affreux qui séparoit la Syrie de l'Arabie, et qui étoit sous la domination des Sarrasins. Ce désert s'appeloit Chalcis, d'une ville de ce nom située en Syrie, et dans le diocèse d'Antioche. Il n'y avoit que peu de temps que saint Jérôme y demeuroit, lorsque la mort lui enleva Innocent et Hylas. Héliodore le quitta pour retourner en Occident; pour lui, il passa quatre ans dans cette solitude, uniquement occupé de l'étude et des pratiques de la pénitence. Il fut attaqué de divers genres de maladies; mais ses plus grandes souffrances vinrent des tentations violentes auxquelles il fut souvent exposé. La peinture qu'il fait lui même de l'état où il se trouvoit, montre quelle étoit la grandeur de ses peines. «Combien de fois, dit-il, depuis que j'ha

bite le désert, me suis-je imaginé être encore » au milieu des délices de Rome! Le jeûne avoit >> rendu mon visage tout pâle, et cependant mon » ame brûloit des ardeurs de la concupiscence » dans un corps qui n'avoit plus de chaleur. Ma » chair n'ayant point attendu la destruction de > l'homme entier, étoit déjà morte, et mes pas»sions étoient encore toutes bouillantes. Ne sa>> chant donc plus où trouver du secours, j'allois > me jeter aux pieds de Jésus, que je baignois » de mes larmes, et je tâchois de réduire cette D chair rebelle en restant des semaines entières » sans manger. Je me souviens d'avoir souvent » passé le jour et la nuit à crier et à me frapper » sans cesse la poitrine, jusqu'à ce que Dieu, » commandant à la tempête, rendit le calme à » mon ame. Je n'approchois de ma cellule même » qu'avec peine, comme si elle eût connu mes

[ocr errors]

» pensées; puis, prenant contre moi-même des » sentimens d'indignation et de rigueur, je m'enfonçois seul dans le désert. Si j'apercevois quel» que vallée sombre, quelques rochers escarpés, » c'étoit le lieu que je choisissois pour aller prier, » et pour en faire la prison de ce misérable » corps; et Dieu m'est témoin qu'après avoir » ainsi répandu beaucoup de larmes, et avoir » tenu long-temps les yeux levés au ciel, je » croyois quelquefois me voir au milieu des >> chœurs des anges; alors, plein de joie et d'al» légresse, je chantois au Seigneur : Nous cour» rons après vous à l'odeur de vos parfums (11).» C'est ainsi que Dieu permet souvent que la fidélité de ses serviteurs soit mise à de rudes épreuves; mais, d'un autre côté, il les fortifie par sa grâce, et couronne de ses dons leur zèle et leur constance.

Saint Jérôme, pour fixer plus facilement les égaremens de son imagination, et rompre entièrement sa volonté, joignit aux austérités de la pénitence, la plus pénible de toutes les études, celle de l'hébreu. Il se fit disciple d'un Juif converti, se proposant non-seulement l'intelligence des livres saints, mais d'apprendre encore la prononciation de la langue hébraïque qu'on sait être très-difficile. Ce travail lui coûta d'autant plus, qu'il ne s'étoit occupé jusque-là que d'études agréables. Ecoutons - le lui-même décrire les difficultés qu'il éprouva. « Lorsque j'étois

jeune, dit-il, quoiqu'enseveli dans le désert » j'étois si tourmenté par la violence de mes » passions et par l'ardeur de la concupiscence » que je ne me sentois point assez de force pour y résister. Je faisois ce que je pouvois pour (11) Ep. 22 ad Eustoch. de Virgin. c. 3.

« PrécédentContinuer »