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» éteindre ce feu par de grandes abstinences; mais >> cela n'empêchoit pas que mon esprit ne fût >> continuellement agité par de mauvaises pensées. » Pour me vaincre, je me fis le disciple d'un » moine, qui de Juif s'étoit fait chrétien ; et moi, >> qui avois tant aimé les sages préceptes de Quin» tilien, l'éloquence majestueuse de Cicéron, le >> style grave de Fronton, et la douceur de Pline, je me mis à apprendre l'alphabet, et à étudier >> une langue dont les mots sont si rudes et si >> difficiles à prononcer. Il n'y a que moi et ceux » avec qui je vivois alors, qui sachions quelles peines, quelles difficultés j'eus à surmonter; > combien de fois je me sentis rebuté, déses» pérant d'en venir jamais à bout, et combien de » fois, après avoir tout abandonné, je recom>> mençai tout de nouveau, par l'ardeur que j'avois » d'apprendre. Je rends grâces à mon Dieu de » ce que je recueille maintenant de cette étude » des fruits d'autant plus doux, que la semence » en a été plus amère (12). »

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Il continua cependant de lire les auteurs classiques avec un plaisir et une ardeur qui dégénérèrent en passion. Ce goût excessif pour la littérature profane lui donna enfin des remords; il s'aperçut que c'étoit une affection désordonnée qui s'opposoit au parfait établissement du règne de Dieu dans son ame; il vint à bout de la réprimer avec le secours du ciel, comme il le raconte lui-même dans la lettre où il exhorte la vierge Eustochium, qui avoit embrassé l'état religieux, à ne lire que l'écriture sainte et les livres de piété. Il rapporte que dans un accès de fièvre brûlante qu'il eut dans le désert, il tomba en syncope, crut être cité devant le tribunal de Jésus-Christ; (12) Ep. 95 ad Rustic. p. 769.

que

là on lui demanda quelle étoit sa profession; et qu'ayant répondu qu'il étoit chrétien, le juge lui avoit dit : « Vous mentez, vous êtes Cicére» nien, car les ouvrages de Cicéron possèdent > tout votre cœur (13); » qu'en conséquence il avoit été condamné à recevoir une rude flagella-、 tion de la main des anges, et que le souvenir de ce châtiment avoit fait sur son ame une impression si forte, qu'il lui en étoit resté, après sa maladie, un sentiment profond de sa faute. Il promit au juge de ne plus lire d'auteurs profanes. «Et depuis ce temps-là, dit-il, je me suis appliqué à lire les divines écritures avec plus d'ar» deur et d'attention que je n'en avois jamais mis >> dans la lecture des écrivains pour lesquels » j'avois été jusque-là si passionné. » Il déclare, à la vérité, que ce n'étoit là qu'un rêve (14) ; mais il le regarda comme un avertissement du ciel sur une faute incompatible avec l'ardeur que doit montrer pour la perfection tout chrétien, et principalement un moine. Depuis ce temps-là, il fut très-attentif à modérer son goût pour la littérature profane, et s'il lui arriva dans la suite de lire les auteurs païens, ce que pour la beauté du style (h).

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ne fut

(13) Ep. 18, aliàs 22 ad Eustoch. de Virgin.

(14) Apol. i. 1.

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(h) La faute que se reprochoit saint Jérôme consistoit, non dans les soins qu'il se donnoit pour se former un bon style, mais dans la passion excessive qu'il avoit pour la littérature profane. Lorsque Rufin lui objecta qu'il avoit violé son serment, puisqu'il lisoit encore les auteurs profanes, il lui répondit qu'à la vérité il n'avoit pas oublié ce qu'il avoit lu auparavant, mais qu'il n'avoit plus rouvert les livres dont il s'agissoit, et qu'après tout, ce n'étoit qu'en rêvant qu'il avoit fait le serment qu'on lui objectoit. Dans ses commentaires sur l'épître aux Galates, l. 3, il dit à Paule et à Eustochium, qu'elles savoient bien qu'il y avoit plus de quinze ans qu'il n'avoit ouvert ni Cicéron, ni aucun autre

Les épreuves intérieures ne furent pas les seules qu'il eut à combattre; le monde lui en suscita plusieurs, et c'est à l'occasion de celles-ci qu'il dit: « Plût à Dieu que tous les infidèles s'éle>> vassent à la fois contre moi : Je voudrois que le » monde entier se réunît à blâmer ma conduite, > afin de pouvoir obtenir, par ce moyen, l'appro»bation de Jésus-Christ. Vous vous trompez, si » vous pensez qu'un chrétien puisse vivre sans » persécution. La plus grande que l'on puisse > souffrir est de n'en avoir aucune. Rien n'est » plus à craindre qu'une trop longue paix; c'est » dans le temps de la tempête qu'un homme se >> tient sur ses gardes, et qu'il fait tous ses efforts » pour sauver son navire. »

L'église d'Antioche fut alors exposée aux malheurs d'un schisme. Le patriarche étant mort il fut question de lui donner un successeur. Les uns nommèrent Mélèce, les autres Paulin. La division devint encore plus grande, lorsque les Apollinaristes eurent élu pour remplir le même siége, Vital, homme attaché à leur secte. Chacun se décida d'après l'impression qu'il suivoit. Les moines du désert de Chalsis prirent aussi parti, et vouloient que saint Jérôme fît connoitre ouvertement quels étoient ses véritables sentimens.

Cette division n'étoit point encore terminée lorsqu'il s'éleva une dispute pour savoir s'il falloit admettre en Jésus-Christ une seule hypostase, ou s'il y en avoit trois. Ce terme étoit alors ambigu à cause de la double signification qu'on lui donnoit, les uns entendant par hypostase, la nature, les autres, la personne, où la sub

auteur païen, et que lorsqu'il lui en revenoit quelque chose dans l'esprit pendant qu'il écrivoit, c'étoit comme un songe qu'il avoit eu depuis long-temps.

Tome IX.

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sistance, comme on l'entend généralement aujourd'hui. A la faveur de cette ambiguité, les Ariens d'un côté, et les Sabelliens de l'autre, cherchoient à séduire les fidèles. Saint Jérôme, attentif à leurs artifices, répondit que si par hypostase on entendoit la nature, il n'y en avoit qu'une en Dieu, mais que si l'on entendoit la personne, il y en avoit trois.

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Fatigué cependant de toutes ces disputes, et pressé par le dérangement de sa santé, il résolut de quitter sa solitude, et de retourner à Antioche auprès d'Evagre; mais avant d'exécuter son projet, il écrivit au pape Damase, qui avoit été élevé sur le saint siége en 366, pour le consulter sur la dispute dont nous venons de parler. « Je suis, lui man> doit-il, uni de communion à votre sainteté, c'est» à-dire, à la chaire de Pierre. Je sais que l'église » est bâtie sur cette pierre. Quiconque mange >> l'agneau hors de cette maison, est un profane. >> Quiconque n'est point né dans l'arche de Noé, périra dans le déluge.... Je ne connois point » Vital; je ne communique point avec MéÏèce, j'ignore ce que c'est que Paulin. Quiconque ne >> ramasse pas avec vous, disperse, c'est-à-dire, » que quiconque n'est point à Jésus-Christ, ap» partient à l'antechrist.... Nous demandons ce » qu'ils croient qu'il faut entendre par trois hy» postases; ils disent qu'il faut entendre trois par>>sonnes subsistantes, et nous répondons que telle » est notre foi; mais ils ne se contentent pas du » sens, ils veulent, outre cela, l'expression qui >> cache je ne sais quel venin, et parce que nous ne proférons pas ce terme, ils nous taxent d'hé » résie.... Je supplie donc votre sainteté, au nom de Jésus crucifié, le Sauveur du monde, au nom » de la Trinité consubstantielle, de m'autoriser

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» par lettres à employer ou à ne pas employer le » mot hypostase (15).

Damase n'ayant point répondu à temps à cette lettre, qui lui avoit été envoyée sur la fin de l'année 376, ou au commencement de l'année suivante, saint Jérôme lui en écrivit une seconde peu de temps après. Il le conjuroit de répondre à sa demande, et de ne pas dédaigner une ame pour laquelle Jésus-Christ étoit mort. « D'un

côté, disoit-il, la rage des Ariens soutenue par » la puissance du siècle, frémit autour de moi; » de l'autre, chacun des trois partis qui divisent » l'église d'Antioche, tâche de m'attirer à lui.

Pour moi, je ne cesse de crier, en attendant » que je sois éclairci. Celui-là est à moi, qui est uni à la chaire de Pierre (16). »

Quoique nous n'ayons plus la réponse de Damase, il n'est pas moins certain qu'il reconnut, avec toute l'église d'Occident, Paulin pour patriarche d'Antioche. Saint Jérôme le reconnut aussi, et ce fut de ses mains qu'il reçut le sacerdoce avant la fin de l'année 377. Il refusa d'abord son consentement, lorsque Paulin voulut l'ordonner; mais il le donna ensuite, à condition toutefois qu'il ne seroit attaché à aucune église en particulier.

Peu de temps après son ordination, il se retira dans la Palestine, en visita les lieux saints, et fit sa principale demeure à Bethlehem. Il eut recours aux plus habiles Juifs du pays, pour s'instruire de toutes les particularités relatives aux lieux dont il est parlé dans l'écriture (17), et ne négligea rien pour se perfectionner dans la connoissance de la

(15) Ep. 14, aliàs 57 ad Damas. p. 19, t. IV.
(16) Ep. 16, aliàs 58 ad Damas, p. 22.
(17) S. Hier. Præf. in Paralip.

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