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frappées d'aucun bruit, si ce n'est du chant des » psaumes. De quelque côté que l'on se tourne, » on entend le laboureur qui, la main à la char» rue, chante Alleluia, ou le moissonneur qui » se délasse de ses travaux par le chant des » psaumes (35). » Tel étoit le lieu que saint Jérôme avoit choisi pour sa demeure. Il s'y étoit retiré, dit-il, pour y pleurer ses péchés dans le fond d'une cellule, en attendant le jour du jugement. Il préféroit les vêtemens les plus grossiers et la nourriture la plus vile. Il ne vivoit que de pain bis et de quelques herbes, encore n'en prenoit-il qu'en petite quantité. Son application à l'étude ne le cédoit point à son austérité. Jour et nuit il s'occupoit à lire ou à écrire (36).

Au milieu de ces travaux, il ne perdit jamais de vue l'étude de l'hébreu. Tout autre se seroit peut-être imaginé qu'il étoit suffisamment instruit en ce genre; mais il en jugeoit bien différemment. Quoique déjà avancé en âge, il ne dédaigna point de prendre encore des leçons d'hébreu d'un savant rabbin dont il payoit les peines. Ce rabbin, nommé Bar-Ananias, dans la crainte d'être découvert par ses çonfrères, n'alloit que la nuit trouver saint Jérôme, et conférer avec lui (37). Le Saint s'appliquoit aussi avec beaucoup d'ardeur à l'étude de l'histoire ecclésiastique, que l'on a toujours regardée à juste titre comme un des yeux de la théologie. Il n'eut pas moins de zèle pour la défense de la foi; on le vit toujours attentif et infatigable à réfuter toutes les hérésies de son temps.

Déjà il avoit essayé sa plume contre les Lucifériens pendant qu'il habitoit le désert de Chalcis.

(35) Ep. 17, p. 126.
(37) S. Hier., ep. 85.

(36) Sulp. Dial. 1, c. 4.

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L'erreur de ces schismatiques provenoit de l'obstination de leur chef, qui étoit le fameux Lucifer, évêque de Cagliari. Ce prélat, d'ailleurs recommandable par ses écrits et par son zèle contre l'arianisme, sous le règne de Constantin, n'avoit pu souffrir l'indulgence dont on avoit usé envers les évêques du concile de Rimini. Les marques de repentir et de catholicité qu'ils avoient données, sembloient pourtant les rendre dignes du traitement que saint Athanase leur avoit accordé dans le concile tenu à Alexandrie, en 362. Il y avoit été décidé que ces évêques seroient admis à la communion; mais Lucifer ne voulut point se conformer à cette décision. A ce premier grief s'en joignit bientôt un second. Il avoit sacré Paulin, patriarche d'Antioche, et plusieurs évêques d'Orient refusèrent d'abord de le reconnoître. Les choses en vinrent au point qu'il rompit tout commerce avec les Pères de Rimini, et suscita un schisme dans lequel il entraîna plusieurs chrétiens d'Antioche, de Sardaigne et d'Espagne. De retour à Cagliari, il persista dans son opiniâtreté jusqu'à sa mort, arrivée en 370, huit ans après qu'il fut revenu de l'Orient où il avoit été exilé pour la foi. On ne lui a jamais imputé aucune erreur sur le dogme; mais ses disciples furent moins réservés. Il y avoit entre autres un diacre de Rome, nommé Hilaire, qui soutenoit que les Ariens, ainsi que les autres hérétiques et les schismatiques devoient être rebaptisés lorsqu'ils revenoient à la foi catholique. Saint Jérôme le réfuta solidement dans le Dialogue qu'il publia contre les Lucifériens, et par dérision il l'appela le Deucalion du monde (38). Il prouva, dans ce même ouvrage, que les Pères du concile de Rimini (38) S. Hier. Op. t. IV. part. p. 2, 289.

n'avoient péché que par surprise, et que leur cœur n'avoit point été complice de leur foiblesse. Ses preuves sont principalement tirées des actes même du concile.

Vers l'an 384, pendant qu'il étoit encore à Rome auprès du pape Damase, il avoit donné au public son livre de la virginité perpétuelle de la bienheureuse vierge Marie (39). Ce traité avoit pour but la réfutation d'Helvidius, l'un des sectateurs d'Arius, et des disciples d'Auxence, de Milan. Helvidius étoit prêtre, et à ses autres erreurs il avoit ajouté celle-ci, que la vierge Marie n'avoit point conservé sa virginité après la naissance de Jésus-Christ, et qu'elle avoit eu des enfans de saint Joseph. Jovinien qui, après avoir passé les premières années de sa vie à Milan dans les austérités de la vie monastique, avoit quitté son monastère pour aller à Rome fut des plus ardens à répandre cette erreur; il enseignoit aussi que le démon n'avoit plus de pouvoir sur ceux qui avoient été régénérés par le baptême avec une foi parfaite; que tous ceux qui auroient conservé la grâce baptismale, auroient une même récompense dans le ciel; que le mérite des vierges aux yeux de Dieu n'étoit pas plus grand que celui des femmes mariées, dont la vertu égaloit d'ailleurs celle des vierges; enfin, que l'abstinence de certains mets étoit entièrement inutile (40). Il autorisoit ses erreurs par la vie sensuelle qu'il menoit à Rome au milieu des plaisirs, des festins et du luxe de cette grande ville. Il avoit quitté l'habit pauvre des moines pour se couvrir des étoffes les plus riches, et il (39) Ibid. p. 130.

40) S. Ambros. ep. 42; S Aug. de Hæret. c. 82; S. Hier. l. 1 in Jovinian.

se dédommageoit de ses anciens jeûnes par la bonne chère et par les vins les plus exquis. Une conduite aussi peu chrétienne ne fut pas un moindre sujet de scandale pour les fidèles, que l'éclat de ses erreurs. Saint Pammaque et plusieurs autres seigneurs laïques fort zélés pour la foi, dénoncèrent un de ses ouvrages au pape Sirice, lequel ayant assemblé son clergé en 390, excommunia Jovinien avec huit de ses partisans, qui passoient pour les auteurs de la nouvelle hérésie. Leur condamnation fit grand bruit à Rome, et ils furent obligés d'en sortir. Ils cherchèrent inutilement un asile à Milan. Le pape envoya leur condamnation à saint Ambroise, avec une courte réfutation de leurs erreurs. Ils furent bientôt chassés de cette ville. Saint Ambroise s'assembla avec quelques évêques qui étoient alors à Milan, et condamna de nouveau Jovinien et ses disciples (41).

Ce fut deux ans après cette époque que saint Jérôme écrivit ses deux livres contre Jovinien (42).

Dans le premier, il prouve le mérite et l'excellence de la virginité chrétienne par saint Paul, et par plusieurs autres passages du nouveau Testament, ainsi que par la tradition et le sentiment de l'église, qui impose le joug du célibat à ses ministres; et quoiqu'il reconnoisse bien positivement la sainteté du mariage, il montre cependant que l'état de virginité a beaucoup plus d'avantages relativement à la piété, et sur-tout par rapport à l'exercice de la prière. Jovinien reconnoissoit lui-même l'obligation étroite où étoient les évêques, de garder la continence, et il avouoit qu'on se rendoit coupable d'un inceste (41) S. Ambr. ep. 42 ad Siricium, p. 968. (42) T. IV, part. 2, p. 144.

spirituel en violant le vœu de chasteté (43). Le second livre du saint docteur est employé à réfuter les autres erreurs de cet hérésiarque. On reprit à Rome quelques expressions de saint Jérôme, qui ne paroissoient point assez exactes, et que l'on jugeoit contraires au respect dû au mariage. Saint Pammaque l'ayant averti de l'espèce de scandale qu'il avoit causé, il publia aussitôt son Apologie à Pammaque, qu'on appelle quelquefois le troisième livre contre Jovinien (44). Il y prouve par l'ouvrage même que l'on censuroit, qu'il avoit toujours regardé le mariage comme honorable et saint, et il proteste que loin de le condamner, il ne blâme pas même les secondes ni les troisièmes noces. Il répète à peu près les mêmes raisons dans une lettre qu'il écrivit à Domnion sur ce sujet.

Peu de temps après, il adressa à Népotien cette lettre célèbre sur les devoirs de la vie cléricale. Il insiste particulièrement sur le désintéressement que doivent avoir les ecclésiastiques pour les biens du monde, sur l'obligation où ils sont d'éviter la conversation des femmes, ainsi que tout ce qui pourroit mettre en danger leurs mœurs ou leur réputation, et de s'instruire de la loi du Seigneur, pour l'enseigner ensuite au peuple avec simplicité. Il veut que le clergé soit soumis à l'évêque par amour, et que l'évêque ne domine pas le clergé, mais l'honore et le gouverne. Il ajoute à cela d'excellens préceptes par lesquels il consacre à la postérité l'union qui régnoit entre Népotien et lui.

Népotien étoit neveu du saint évêque Héliodore, qui, comme nous l'avons observé, étoit un des plus intimes amis de saint Jérôme. Sa haute nais(43) Ibid. p. 175. (44) Ibid. p. 244.

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