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des ravages que les troupes d'Alaric avoient faits dans l'Occident. Rome avoit été pillée, saccagée, et presque renversée de fond en comble l'an 410. Une affreuse famine avoit achevé d'y répandre la désolation. On vit des familles entières s'enfuir sans habits, sans vivres et sans argent. Les personnes les plus qualifiées de Rome furent réduites à la mendicité. Les hommes et les femmes quittant leur patrie pour se soustraire à la mort ou à l'esclavage, s'enfonçoient dans les marais ou dans les déserts. Un grand nombre se réfugièrent à Béthlehem. Saint Jérôme ne put retenir ses larmes à la vue de tant de malheureux. Il n'épargna rien les nourrir, les consoler et leur procurer

pour
un asile.

Démétriade, fille du consul Olibrius, prit le voile à Carthage, vers ce temps-là. Julienne, sa mère, et Probe, son aïeule, écrivirent à saint Jérôme pour le prier de lui donner quelques règles de conduite, relativement à l'état qu'elle venoit d'embrasser. Le Saint les lui donna dans une lettre qu'il lui adressa; il lui recommande surtout les saintes lectures, les pratiques de la pénitence, les jeûnes continuels, mais modérés, l'obéissance, l'humilité, la modestie, l'aumône, la prière à toutes les heures du jour, et le travail des mains. Enfin il lui témoigne qu'il eût mieux aimé la voir demeurer dans un monastère, que dans une maison particulière, comme quelques autres vierges le faisoient alors.

Tant de zèle pour la religion auroit suffi pour rendre à jamais célèbre dans l'église la mémoire de saint Jérôme; mais ses travaux sur l'écriture lui ont donné un bien plus grand lustre. Il a toujours passé pour le plus habile des Pères en ce genre, et on le regarde comme celui de tous les

docteurs que le ciel semble avoir le plus favorisé par rapport à l'intelligence des divins oracles. Le pape Clément VIII ne balançoit pas d'assurer qu'il avoit été assisté et inspiré d'en haut pour traduire les saintes écritures. D'un autre côté, il avoit tous les moyens naturels pour réussir dans ce travail. Il vivoit sur les lieux où s'étoient opérés les mystères de notre salut : on s'y souvenoit encore des usages, des coutumes, et de mille autres choses dont il est parlé dans les livres saints. Le chaldéen et le grec étoient alors des langues vivantes : il est vrai qu'on ne parloit plus l'hébreu depuis la captivité; mais il étoit parfaitement entendu des rabbins; on l'étudioit avec soin dans la fameuse école que les Juifs avoient formée à Tibériade, et plusieurs d'entre eux le prononçoient avec autant de grâce que de facilité. Le Saint prit un des docteurs de cette école pour se faire expliquer les endroits les plus difficiles de l'écriture. Il ne seroit pas possible de notre temps d'avoir les mêmes secours. On n'a plus qu'une connoissance imparfaite de l'hébreu, encore cette connoissance se borne-t-elle aux mots de la Bible, le plus ancien livre qui ait été écrit en cette langue; et les rabbins d'aujourd'hui seroient plus propres à nous égarer qu'à nous conduire dans l'étude des divins oracles (m). Ajoutons à cela

(m) Il y a une certaine analogie entre les langues orientales qu'on parloit anciennement dans les pays voisins de la Chaldée; conséquemment l'étude en peut être utile jusqu'à un certain point; mais il faut s'y appliquer avec précaution, sans quoi on s'exposeroit à de grandes méprises, et l'on pourroit attribuer la même signification à divers mots qui en ont pourtant une toute différente, quoiqu'ils paroissent se ressembler.

Les écrits des rabbins fourniront peu de secours pour l'intelligence de l'écriture; la plupart même ne seront d'aucune utilité. Leur langue est entièrement différente de l'ancien hébreu: c'est du chaldéen fort barbare. Il faut pourtant convenir

que saint Jérôme avoit entre les mains une copie fidèle des hexaples d'Origène, et qu'il pouvoit

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que la paraphrase d'Onkelos sur le Pentateuque, qu'on feroit peut-être mieux d'appeler version, est écrite avec plus de pureté, que le style en est correct et qu'on y retrouve à bien des égards la langue de Daniel et d'Esdras. La paraphrase de Jonathan sur les premiers prophètes, c'est-à-dire sur Josué, les Juges et les Rois, a aussi beaucoup de rapports avec la même langue; mais il n'y a pas autant de précision que dans l'ouvrage d'Onkelos. Les six autres targums ou paraphrases que nous avons encore, sont remplis de fables impertinentes. Le chaldéen dans lequel elles sont écrites, est mêlé de persan, d'arabe, de grec et de latin. On donne cependant la préférence, pour la pureté du langage, au targum de Jérusalem, ainsi appelé, parce qu'il fut écrit dans le chaldéen que parloient les Juifs à Jérusalem après le retour de la captivité; mais qui, dans le temps dont nous parlons, avoit beaucoup dégénéré de ce qu'il étoit primitivement. Voyez Morin, l. 2, exercit. 8, et Helvicus, . de Paraphras. chaldaïc.

Les deux thalmuds, ou recueils de traditions, paroissent être du sixième siècle. Il en est fait mention pour la première fois dans la loi par laquelle l'empereur Justinien les condamna. S. Jérôme, ep. ad Algas. et in c. 8. Isai, parle des traditions absurdes des Pharisiens. Elles contenoient des fictions monstrueuses et de prétendus miracles relativement à Moïse, etc. Elles furent écrites, vers le sixième siècle, par R. Jehuda, surnommé par les Juifs Hakkadosh ou le Saint, et on les appela Mishna ou Misna, c'est-à-dire, la seconde loi. La Ghemare ou le supplément est un commentaire sur la Misna, et il y fut ajouté peu de temps après. Ces deux ouvrages s'appellent thalmuld ou doctrine.

Le thalmuld de Jérusalem est le plus ancien, mais celui de Babylone, , que les rabbins Osé et Jésé compilèrent en Perse après l'année 700, est d'une plus grande utilité, et plus estimé parmi les Juifs, le premier étant obscur, et souvent inintelligible. L'un et l'autre sont remplis de fables extravagantes et de blasphemes contre Jésus-Christ. Voyez Sixte de Sienne. Bibl. sanct. l. 2, tit. Thalmud, p. 134; et la Rabbinicale litterature de M. Stephelin, imprimée à Oxfort en 1725.

La Misna fait cependant connoître un certain nombre de rites, de proverbes et de maximes qui jettent du jour sur certaines coutumes et allusions qu'on trouve dans l'écriture. Voyez les Discours mêlés de Wotthon sur les traditions et les usages des Scribes et des Pharisiens, lesquels furent imprimés à Londres en 1718.

Les Caraïtes, ainsi appelés de Caraï, qui signifie un savant, étoient une petite secte de Juifs de l'Orient, qui avoient pour

conférer sa traduction avec celle d'Aquila, de Théodotion et de Symmaque; et nous voyons par

les autres Juifs une haine implacable. Ils rejetèrent le thalmud ou les traditions de la seconde loi. ( Voyez l'histoire des Caraïtes, de Stupart, imprimée à Gênes en 1701.) Scaliger et les deux Buxtorfs prétendent que les Caraïtes descendent des Sadducéens; mais il est visible qu'ils se trompent, puisque ces Juifs reconnoissent des esprits, etc. Voyez Richard Simon, Crit. du V. Testament, l. 1, c. 29; Lamy, etc.

Les Thalmudistes sont postérieurs à saint Jérôme; mais le saint docteur condamnoit les fables sur lesquelles ils appuient leur systême, dont on dit que le principal auteur est le fameux R. Akiba, qui suivoit le parti de Barcochebas dans sa révolte contre l'empereur Adrien. Voyez Brutker, Hist. crit. philos. L. II, p. 820.

Les docteurs Massorètes, qui florissoient à Tiberiade après la mort de saint Jérôme, inventèrent des règles critiques pour conserver le texte hébreu dans son intégrité. On dit qu'ils comptèrent le nombre des versets et des mots de chaque livre de l'écriture,

La première massore fut composée avant l'invention des points-voyelles, et consiste en certaines marques marginales appelées keri ou kerib, que l'on inventa pour montrer comment il falloit lire certains mots. La seconde massore fut faite après l'invention des points-voyelles. Les règles que l'on y trouve sont entièrement inutiles; mais celles que contient la première massore auroient été de quelque utilité, si les Juifs les avoient entendues, ou qu'ils y eussent fait attention.

La massore et les rêveries contenues dans le thalmud, sont les seuls monumens qui nous restent de l'ancienne littérature rabbinique. L'ignorance régna'parmi les Juifs depuis le sixième siècle jusqu'on onzième, dans lequel ils recommencèrent à s'appliquer à l'étude, à l'exemple des Chrétiens et des Sarrasins musulmans. Voyez Morin, Fleury et Brucker.

R. Juda, surnommé Chuig, compila le premier dictionnaire hébraïque (qu'il écrivit en caractères arabes) vers l'an 1030. A peu près dans le même temps, R. Jona composa une bonne grammaire hébraïque. Ces deux ouvrages n'ont jamais été imprimés; on vit paroître ensuite un grand nombre de livres écrits par des rabbins, mais qui sont remplis de subtilités puériles, de fictions im pies, d'interprétatious mystiques contraires au bon sens, et des extravagances de la cabale. Il n'y a presque pas un seul de ces livres qui mérite quelque attention.

Nous allons rapporter les noms des principaux rabbins qui se firent une réputation dans le temps dont nous parlons. R. Aben-Ezra, qui mourut en 1168, et R. Moses Beu-Maimon appelé Maimonides, qui a fait un abrégé du thalmud, et qui

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les fragmens qui nous restent de ces versions, qu'il y eut souvent recours, et sur-tout à celle de Symmaque (51): mais il réunissoit à tous ces secours une qualité bien essentielle à tous ceux qui étudient l'écriture, et qui veulent en acquérir une parfaite intelligence; c'étoit une piété sincère, et un ardent amour pour la prière. Sans cela on ne peut se promettre les lumières du Saint-Esprit, dont on a besoin pour entrer dans le sanctuaire des oracles sacrés, et pour dévoiler les mystères augustes qui y sont cachés. Saint Jérôme s'étoit préparé à l'entreprise importante qu'il exécuta avec tant de succès par une grande pureté de cœur, ainsi que par une vie passée dans la pénitence et dans la contemplation.

Dès le temps des apôtres, la Bible avoit été traduite en latin d'après le grec; et il paroît que cette traduction avoit été approuvée ou ordonnée par quelques-uns d'entre eux, notamment par saint Pierre, si l'on en croit Rufin, qui fait siéger cet apôtre vingt-cinq ans à Rome (52). Cette mourut au grand Caire en 1205 (ils florissoient tous deux à Cordoue); R. Kimchi, qui vivoit dans le douzième siècle, et qui a donné une bonne grammaire hébraïque; R. Elias, Lévite, né en Allemagne, qui enseigna l'hébreu à Venise et Rome, et dans les ouvrages duquel on trouve en général de la critique.

R. Kimchi et les auteurs du thalmud montrent que les rabbins apprenoient la signification de plusieurs mots de l'arabe et de quelques autres langues; mais ils suivoient en cela des règles fort incertaines. Voyez Morin, Exercit. bibl. 6, c. 5, et le P. Honoré dé Sainte-Marie, Crit. t. 1, diss. 5, p. 124.

Jean Forster, savant protestant d'Allemagne, dit que les livres et les commentaires écrits en hébreu par les Juifs, ont apporté plus d'obscurité et d'erreur, que de lumière et de vérité dans l'étude du texte hébreu de l'écriture. Voyez Forster, in Diction. hebraic., et Calmet, Diss. sur les écoles des Hébreux, p. 22.

(51) Voyez Calmet, Diss. sur la Vulgate. (52) Rufin, invectiv. a.

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