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version étoit l'ouvrage de plusieurs mains (53). Insensiblement les différentes copies de cette version occasionnèrent des variantes qui se multiplièrent au point que, dans le quatrième siècle, les exemplaires ne se ressembloient plus en beaucoup d'endroits, selon saint Jérôme (54). C'est que plusieurs personnes qui savoient le grec avoient traduit à leur manière, les uns une partie, les autres une autre, et qu'ainsi le vrai sens de l'original s'étoit trouvé altéré en certains passages (55). Parmi toutes ces traductions, on en distinguoit une dont on se servoit plus communément, et qu'on appeloit pour cela Vulgate. Il y en avoit une aussi qu'on nommoit Italique, probablement parce qu'elle étoit en usage en Italie. C'étoit, au jugement de saint Augustin, la moins imparfaite dé toutes.

Comme on se plaignoit depuis long-temps de cette multitude de variantes, et des fautes qui s'étoient glissées dans plusieurs exemplaires par le négligence des copistes, le pape Damase chargea saint Jérôme de réviser sur le texte grec la traduction latine des évangiles. Le Saint s'acquitta de ce travail avec l'applaudissement de l'église (56). Il suivit le même plan pour la correction du reste du nouveau Testament (57), et son travail à cet égard diffère beaucoup de la version italique. Le cas que l'on en fit dans les églises

(53) Voyez Calmet, Diss. sur la Vulgate ; Blanchini, Præf in evangelium quadruplex ; et Milles, qui employa 30 années à examiner et à comparer toutes les éditions et toutes les traductions du texte sacré qu'il put découvrir. Voyez Prolégo

mènes.

(54) Præf. in Josue.

(55) S. Aug. de Doct. chr. t. 2, c. 11.

(56) Hier. Præf. in Evang. að Damas. t. I; Ș. Aug. ep. 71 ad Hieron.

(57) Hier. in Catal. c. 135,

d'Occident, fut cause que l'on adopta sa traduction, qui devint bientôt la seule en usage. Nous l'avons encore toute entière dans le nouveau Testament de notre vulgate (n). Enhardi par ses premiers succès, le saint docteur s'appliqua à revoir aussi la traduction de l'ancien Testament; et d'abord il se contenta d'en corriger plusieurs livres dans l'ancienne version italique, d'après le grec qui étoit dans les hexaples d'Origène, et qui contenoit le texte le plus exact que l'on connût. Ses corrections tombèrent principalement sur le Psautier, qu'il révisa deux fois en entier, la première fois à Rome, vers l'an 382, par l'ordre du pape Damase, la seconde à Bethlehem, vers l'an 389; mais la nouvelle traduction qu'il entreprit sur le texte hébreu, de tout l'ancien Testament, offrit à ses talens un champ beaucoup plus vaste, et de bien plus grandes difficultés (o).

(n) Luc de Bruges rappporte Annot. t. IV, part. 3, p. 32, qu'il avoit vu dans l'abbaye de Malmédi un manuscrit contenant toutes les épîtres de saint Paul de l'ancienne version italique. Dom. Martianay a publié l'évangile de saint Matthieu et l'épître de saint Jacques, de cette version, ainsi que les livres de Job et de Judith.

On a découvert depuis, quatre manuscrits de tous les évangiles de la même version, le premier, à Corbie, le second, à Verceil (de l'écriture de saint Eusèbe, évêque de cette ville, et martyr; le troisième, à Bresse, et le quatrième, à Vérone. Blanchini les fit imprimer à Rome avec soin en 1748, in-fol. On peut espérer de voir en entier toute l'ancienne version italique de l'écriture, d'après la lettre du P. Burriel sur les monumens littéraires trouvés en Espagne. Ce savant Jé; suite y annonce deux manuscrits gothiques de la Bible, en latin, lesquels sont à Tolède. Il prétend que l'un d'eux contient la traduction de saint Jérôme, copiée par saint Isidore.

(0) Il est certain que du temps de saint Jérôme, on ne connoissoit pas les points-voyelles. Il est assez probable qu'ils furent inventés à Tibériade, environ 50 ans après la mort du Saint, par les docteurs juifs qui voulurent fixer la manière de lire la Bible qui leur étoit venue de la tradition. Encore aujourd'hui les Juifs se servent dans leurs synagogues de Bibles sans points. Les Samaritains ne les connoissent pas non plus.

Plusieurs motifs l'engagèrent dans cette pénible carrière. De toutes parts ses plus intimes amis le

25.)

(Voyez Bianconi, Dess. de antiquis litteris Hebræorum, p. Lelon Richard Simon, l. 1, c. 2, les Juifs ont emprunté ces points des Arabes, qui en inventèrent de semblables pour tenir lieu de voyelles, sous le calife Omar I, afin de fixer la manière de lire l'alcoran. L'usage de ces sortes de voyelles étant si moderne, il est libre aux critiques de le suivre on de le changer; il y a même aujourd'hui plusieurs savans qui le rejettent. Voyez Calmet, et la dissertation de l'abbé de Vence sur ces points-voyelles, qui est à la tête du commentaire français sur Esdras.

Mais comment, dira-t-on, pouvoit-on lire l'hébreu, et l'entendre sans points-voyelles qui déterminassent la prononciation et le sens des mots ? Cette difficulté ne paroît considérable que parce qu'on veut juger de l'hébreu par analogie avec les autres langues, qu'il seroit impossible d'entendre sans le secours des voyelles écrites: mais en cela on se trompe, et c'est ce qu'ont démontré Cappel dans son Arcanum ponctuationis revelatum, an, 1624; Masclef dans sa nouvelle grammaire, pour étudier l'hébreu sans points; le père Houbigant, etc. L'expérience d'ailleurs prouve qu'avec une sagacité ordinaire, on peut par le contexte juger du sens d'un mot que l'absence des points-voyelles rend équivoque, de même que dans toutes les langues. Le contexte de la phrase suffit à un homme de bon sens pour déterminer la signification des mots homonymes, c'est-à-dire, qui signifient des choses tout-à-fait différentes. Enfin on ne peut raisonner contre un fait ; et puisqu'il est démontré que les points-voyelles sont plus récens que saint Jérôme, on pouvoit donc entendre l'hébreu, et le traduire correctement sans le secours de ces points, ainsi que l'a fait ce Père, et que l'avoient fait avant lui les Septante.

Quelques savans pensent que les six consonnes aleph, he, vau, jod, cheth, ain, tenoient lieu de voyelles. Le D. Kennicot, si connu par son érudition, prétend, diss. 1, que les Juifs, après l'invention des points-voyelles, omirent quelquesunes de ces consonnes mères en copiant la Bible, et qu'ils y substituèrent les points comme des équivalens, ce qui d'ailleurs leur facilitoit le moyen d'écrire avec plus de célérité. Le P. Giraudeau, Jésuite, ajoute dans sa Praxis Linguæ sanctæ imprimée à la Rochelle en 1757, que dans tous les endroits où il n'y a point de ces voyelles, on doit sous-entendre l'o.

Mais est-il raisonnable de rejeter le systême de prononciation d'une langue, pour y en substituer un autre qui n'est fondé que sur des conjectures? Que l'on affranchisse, si l'on peut, la grammaire hébraïque des difficultés dont elle est hérissée; on applaudira à cette découverte, pourvu qu'on Tome IX.

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pressoient d'y entrer: il falloit d'un autre côté répondre aux Juifs, qui rejetoient toutes les versions, et ne cessoient d'objecter le texte hébreu aux Chrétiens. Le saint docteur étoit enfin persuadé que quelque respectable que fût une version, l'original méritoit toujours la préférence. II commença par les livres des Rois, vers l'an 390; il traduisit ensuite les autres parties de la Bible en différens temps, et finit, vers l'an 407, par le Pentateuque, Josué et Esther. Sa traduction étoit ne tombe pas dans de plus grands inconvéniens; autrement il vaudroit mieux s'en tenir à ce qui est établi, que de tendre à une perfection où il est impossible d'arriver. Pourroit-on même se flatter aujourd'hui de parler le grec et le latin avec assez d'exactitude, et d'en prendre si bien l'accent, qu'on n'auroit point paru barbare, et peut-être inintelligible, à Démosthène et à Cicéron ?

Nous devons avouer que nous ignorons l'ancienne prononciation de l'hébreu : c'est ce qui paroit sur-tout dans la poésie de l'écriture. Josephe, Philon, Eusèbe et saint Jérôme, nous assurent que la versification des psaumes et des autres ouvrages poétiques de la Bible, est admirable pour la mesure et la rime; et cependant plusieurs savans ont avancé qu'elle ne consistoit que dans le tour poétique des phrases, et dans l'élévation des sentimens. Voyez Calmet et Fleury, sur la poésie des Hébreux, et Floridi, diss. 17, p. 502.

Mais le docte et ingénieux Louth montre clairement que les psaumes et les autres ouvrages poétiques de la Bible hébraique sont en beaux mètres; ce qui paroît par le nombre mesuré des syllabes, et 'par certaines licences qui n'étoient permises que dans ces occasions, telles que l'élision ou l'addition des lettres, etc. On prouve d'ailleurs par l'écriture même (Eccli. XLIV, 5, 3; Reg. IV, 31, etc.), que l'étude de la poésie sacrée étoit une profession parmi les Juifs. Voyez le savant et élégant ouvrage de M. Louth. Il fait parfaitement connoître les beautés de la sublime et inimitable poésie de nos livres divins. Il est encore enrichi de notes véritablement neuves, et offre d'excellens modèles de traductions latines de quelques endroits de l'original, comme de l'ode d'Isaïe sur la destruction de Babylone, XIV, 4, p. 277 de la première édition. En un mot, les Prælectiones de sacrâ poesi Hebærrum, sont ce que nous avons de mieux sur cette partie de la littérature sacrée. On verra aussi avec plaisir les observations sur la versification hébraïque, dans le traité de Roberston, sur la véritable ež ancienne méthode de lire l'hébreu.

d'usage en plusieurs églises sous le pontificat de saint Grégoire-le-Grand, qui lui donnoit personnellement la préférence sur l'ancienne version (58). Elle fut adoptée peu de temps après par toutes les églises, suivant saint Isidore de Séville (59). On conserva cependant quelque chose de la version italique en différens endroits; en sorte que dans plusieurs livres de l'ancien Testament, notre Vulgate est un mélange de cette traduction et de celle de saint Jérôme. On retint aussi l'ancienne version italique pour le Psautier, à cause de l'habitude où l'on étoit de s'en servir dans le chant des psaumes; mais on y admit par degrés plusieurs des corrections que saint Jérôme avoit faites à deux différentes fois d'après le grec des Septante. Le Psautier, ainsi corrigé, est celui de la Vulgate dont on se sert par-tout, excepté dans l'église du Vatican et dans celle de Saint-Marc de Venise, où l'on chante encore les psaumes suivant l'ancienne version italique. Les livres de la Sagesse et de l'Ecclésiastique, les deux livres des Machabées, la prophétie de Baruch, la lettre de Jérémie, les additions qui sont à la fin du livre d'Esther, les treizième et quatorzième chapitres de Daniel, et le cantique des trois enfans dans la fournaise, sont de l'ancienne Vulgate, parce qu'ils ne furent points traduits par saint Jérôme, qui n'avoit pas le texte hébreu ou chaldaïque. Quant au reste de l'ancien Testament tel que nous l'avons, il est de la traduction de saint Ĵérôme, à l'exception de quelques passages qui sont de l'ancienne version vulgate ou italique (p).

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(58) Saint Greg. M. hom. 10 n. 6, in Ezech. l. 20 mor. in cap. 30, Job. c. 32, n. 62.

(59) L. 1 de offic. eccles.

(p) La traduction latine de la bible par saint Jérôme, fai

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