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celle de la vallée de Fabriano, et il s'y retiroit souvent. Il y reçut plusieurs grâces extraordinaires qu'il cachoit aux hommes avec grand soin. Nous lisons dans saint Bonaventure et dans les autres historiens de sa vie, qu'on le vit souvent élevé de terre dans la prière; le P. Léon, son secrétaire et son confesseur, assure qu'il le vit luimême plusieurs fois tellement élevé, qu'il ne pouvoit atteindre qu'à ses pieds, qu'il tenoit fondant en larmes. Il ajoute qu'il le vit d'autres fois élevé beaucoup plus haut (7).

Vers la fête de l'Assomption de la sainte Vierge de l'année 1224, François se retira dans le lieu le plus solitaire du Mont-Alverne, où ses compagnons lui préparèrent une petite cellule (n). Il retint le P. Léon avec lui : mais il déclara en même temps qu'il ne verroit nulle autre personne avant la fête de saint Michel. C'étoit alors un de ses carêmes dont nous avons parlé, il vouloit le passer entièrement dans les exercices de la contemplation. Il dit à Léon de lui apporter tous les soirs un peu de pain et d'eau, et de le laisser à l'entrée de sa cellule. « Quand vous viendrez pour ma» tines, ajouta-t-il, n'entrez point; dites seule»ment à haute voix : Domine, labia mea ape»ries. Si je réponds, et os meum annuntiabit

(7) Voyez les vies de saint Philippe de Néri, de sainte Thérèse, etc. Voyez aussi le P. Chalippe, dans la vie de saint François.

(n) Le Mont-Alverne est près de Borgo di San-Sepulcro, ville épiscopale qui étoit anciennement soumise au pape, et qui appartient présentement au grand-duc de Toscane. Élle est à 50 milles de Florence, et sur les frontières de l'état ecclésiastique. On a laissé subsister l'ancienne chapelle de SaintFrançois, par respect pour ce Saint; mais on a bâti auprès une nouvelle église, avec un couvent auquel plusieurs papes ont accordé de grands priviléges. La dévotion y attire un nombreux concours de pèlerins.

» laudem tuam, vous entrerez, sinon vous vous re>> tirerez. » Le pieux disciple exécuta ponctuellement ce qui lui étoit prescrit. Il étoit souvent obligé de s'en retourner, parce que le Saint étant en extase n'entendoit point sa voix. Un jour qu'il ne lui répondoit point, il eut la curiosité de regarder par quelques ouvertures qui se trouvoient à la porte. Il le vit prosterné à terre, et environné d'une lumière éclatante. Il l'entendit répéter souvent ces paroles : « Qui suis-je, ô mon Dieu et >> mon très-doux Seigneur? Et qui suis-je moi? Un » vermisseau, et votre indigne serviteur. » François dit depuis à Léon que rien ne lui avoit fait connoître plus parfaitement son néant que la contemplation de l'abîme des perfections divines, et que la connoissance qu'on a de soi-même est proportionnée à celle qu'ona de la bonté, de la grandeur et de la sainteté de Dieu. Les visions et les communications du Saint-Esprit lui étoient familières; mais il n'en fut jamais plus favorisé que dans sa retraite sur le Mont-Alverne. Ce fut là qu'il mérita par son humilité et son ardent amour pour Jésus crucifié, de recevoir sur son corps l'impression des cinq plaies de Notre-Seigneur.

« Vers la fête de l'Exaltation de la sainte Croix » (8), François étant le matinen priè res du côté de » la montagne, s'élevoit à Dieu par l'ardeur séra» phique de ses désirs, et se transformoit par les » mouvemens d'une compassion tendre et affec» tueuse, en celui qui par l'excès de sa charité a » voulu être crucifié pour nous. Il vit comme un » séraphin, ayant six ailes éclatantes et toutes de » feu, qui descendoit vers lui du haut du ciel. Ce

(8) Voyez Chalippe qui ne fait que traduire saint Bonaventure, et dont nous adoptons la traduction presque sans aucun changement.

Tome IX.

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» séraphin vint d'un vol rapide se placer dans » l'air auprès de lui. Entre ses ailes paroissoit la » figure d'un homme crucifié, qui avoit les mains » et les pieds étendus et attachés à une croix. Ses » ailes étoient disposées de manière qu'il en avoit » deux sur la tête, qu'il en étendoit deux pour » voler, et qu'il se couvroit tout le corps avec les » deux autres. A ce spectacle, François fut ex» traordinairement surpris, une joie mêlée de tris>>> tesse remplit son cœur. La présence de Jésus>> Christ, qui se montroit à lui, sous la figure d'un séraphin, d'une manière si merveilleuse et si » tendre, lui causoit une joie inexprimable; mais >>ce douloureux spectacle de son crucifiement le » pénétroit d'une vive compassion, et il en avoit » l'ame transpercée comme d'un glaive. Réflé»chisssant que l'état des souffrances ne pouvoit >> convenir à l'immortalité d'un séraphin, une lu» mière intérieure lui découvrit que l'objet de >> cette vision étoit de lui faire comprendre que » c'est moins le martyre de la chair que le feu » de l'amour qui transforme en une parfaite ressemblance avec Jésus-Christ crucifié. Après un › entretien secret et familier, la vision disparut; » mais son ame resta embrasée d'une ardeur séraphique, et son corps fut extérieurement marqué d'une figure semblable à celle d'un crucifix, » comme si sa chair, amollie et fondue par le feu, a avoit reçu l'impression d'un cachet; car aussi» tôt les marques des clous commencèrent à pa» roître dans ses mains et dans ses pieds, telles » qu'il les avoit vues dans l'image de l'homme » crucifié. On vit ses pieds et ses mains percés de >> clous dans le milieu : les têtes des clous, ron> des et noires, étoient au-dedans des mains et >> au-dessus des pieds; les pointes, qui étoient un

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» peu longues, et qui paroissoient de l'autre » côté, se recourboient, et surmontoient le reste >> de la chair dont elles sortoient. François avait » aussi à son côté droit une plaie rouge, comme » s'il eût été percé d'une lance; cette plaie jetoit » souvent du sang qui trempoit sa tunique et ce » qu'il portoit sur les reins (o). »

François prit le plus grand soin pour dérober à la connoissance des hommes ce qui s'étoit passé on lui. Il s'enveloppoit les mains, et portoit une chaussure qui empêchoit qu'on ne vit ses pieds (p). Il s'adressa cependant au frère Illuminé, et

(0) Saint Bonaventure, duquel est tirée cette histoire des stigmates de saint François, appelle cicatrice la plaie de son côté ; ce qu'il entend non d'une cicatrice fermée, mais d'une cicatrice ouverte, et il l'a décrite comme telle d'après le témoignage de ceux qui la virent lorsque le Saint fut mort. Voyez saint Bonaventure , c. 13, 14, 15) Elle est d'ailleurs représentée comme une plaie qui jetoit souvent du sang; circonstance qui ne peut convenir à une cicatrice qui auroit été fermée. Voyez le P. Chalippe, qui relève solidement les fautes dans lesquelles Baillet est tombé par rapport à cet article de la vie de saint François.

Le miracle dont il s'agit s'opéra tandis que l'entendement du Saint étoit frappé vivement de l'idée de Jésus-Christ crucifié, et que l'amour appliquoit fortement les affections de sa volonté à ce grand objet, en lui faisant désirer d'être conforme à son bien-aimé dans cet état de souffrance. Il put donc se former dans son imagination un second crucifix, d'où il résulta une impression puissante sur son corps. Quant aux marques des plaies du Sauveur imprimées sur sa chair elles eurent un autre principe. Le Séraphin, ou plutôt JésusChrist lui-même qui s'apparut à lui dans la vision, forma extérieurement sur son corps, par les rayons pénétrans qui sortoient de ses plaies, ce que l'amour avoit intérieurement imprimé dans son ame. Cette explication est de saint François de Sales. Tr. de l'amour de Dieu.

(p) Wadding vit dans le monastère des Clarisses d'Assise cette espèce de chaussure que sainte Claire avoit faite pour François, et cela avec tant d'adresse, que le dessus couvroit la tête des clous de ses pieds, et que le dessous s'élevant un peu, leurs pointes ne l'empêchoient point de marcher. On garde du sang qui sortoit de son côté dans la cathédrale de Recanati. Voyez Chalippe.

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à quelques autres personnes pieuses, pour leur demander conseil sur la conduite qu'il devoit tenir mais s'il leur parla de la vision qu'il avoit eue, ce fut avec beaucoup de circonspection; il ajouta ensuite qu'il avoit vu plusieurs choses qu'il ne découvriroit jamais. Ces secrets, dit saint Bonaventure, étoient probablement tels qu'il ne trouvoit point de termes propres à les exprimer, ou qu'ils ne pouvoient être compris que par des hommes éclairés d'une lumière surnaturelle. Malgré tant de précautions, plusieurs personnes virent, du vivant même du Saint, les plaies miraculeuses imprimées sur son corps (q).

(9) Le vicaire général de l'ordre en publia la relation dans une lettre circulaire adressée à tous les frères immédiatement après la mort de saint François. Wadding avoit vu l'original de cette lettre.

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Luc de Tuy, évêque de la ville de ce nom en Espagne dit dans l'ouvrage qu'il composa contre les Albigeois en 1231, 1. 2, c. 11, Bibl. Patr. t. XV, qu'ayant été à Assise l'année d'après la mort du Saint, la vérité de la vision lui fut attestée par plusieurs religieux, et par un grand nombre de personnes tant ecclésiastiques que laïques, qui toutes avoient vu les clous de chair dans les mains et les pieds de saint François, ainsi que son côté ouvert, et qui avoient même touché ses plaies. Il conclut de là que Jésus-Christ fut attaché à la croix avec quatre clous, et que ce fut son côté droit qui fut ouvert d'un coup de lance. Il confirme le miracle par la vie du Saint, que Thomas de Célano, son disciple et son compagnon, avoit écrite par l'ordre du pape Grégoire IX. C'est de l'ouvrage de Thomas de Célano que saint Bonaventure a tiré ce qu'il dit de la vision. Voyez Grégoire IX, Constit. 12, et les savantes notes de Sbarala, in Bularium Franciscanum t. I, an. 1759. \

Quelques personnes de Bohême ayant révoqué en doute le fait dont il s'agit, Grégoire donna contre eux, en 1237, une bulle dans laquelle il atteste la vérité du miracle sur la connoissance personnelle qu'il en avoit, et sur celles qu'en avoient plusieurs cardinaux. Il atteste la même chose dans deux lettres rapportées par Wadding et par Chalippe ; il y dit qu'après la mort du Saint, ses stigmates furent vus par tous ceux qui voulurent les voir.

Le pape Alexandre IV déclara, dans un sermon qu'il prêcha en 1254, qu'il avoit vu lui-même les stignates sur le corps du

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